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Formulation de la problématique de recherche

Notre problématique repose avant tout sur le constat que, pour être utile à la conception,

l’analyse des usages doit intégrer la variabilité de l’activité humaine. Ce constat est très

présent dans la littérature en ergonomie (Daniellou, 2004), particulièrement dans le champ de la conception de produits (Dejean et Naël, 2004; Valentin et coll., 2010a). Cependant il acquiert une autre signification dans le champ de l’ergonomie prospective (Robert et Brangier, 2009; Brangier et Robert, 2010). Le concepteur doit devenir force de proposition

sur les usages futurs dans les phases initiales du processus d’innovation. En confrontant un

concept de produit à des scénarios d’usage futur possibles, le concepteur peut valider, rejeter, ou faire évoluer ce concept. A ce stade, l’usage n’est pas concret car le concept n’est pas suffisamment précis pour permettre la fabrication d’objets intermédiaires de la conception. L’innovation centrée sur l’Homme se caractérise donc, dans les phases initiales du processus, par un passage de la génération de données sur les usages à la génération de propositions

sur les usages. Dans l’annexe 2.1, nous formalisons cet argument en faisant appel à la théorie

C-K de la conception (Hatchuel et Weil, 2002) que nous présentons. Cet argumentaire figure en annexe pour deux raisons. Premièrement, nous avons souhaité alléger la structure du texte pour en faciliter la compréhension par le lecteur. Deuxièmement, la théorie C-K n’est pas au cœur de notre problématique : elle permet simplement d’illustrer le positionnement de notre

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travail. Ainsi, si l’on considère, comme le fait la théorie C-K, que toute l’analyse des usages vise à développer les connaissances (ici, sur le produit et ses usages possibles) pour orienter l’expansion d’un concept de produit, alors on peut tirer les conclusions suivantes :

(1) L’ergonomie corrective n’a pas pour seul objectif de corriger des défauts d’usage. De manière plus générale, elle vise à générer de la valeur d’usage en conception. Il peut simplement s’agir de faire évoluer un concept pour tirer davantage parti de ses avantages en termes d’usage, par ex. concevoir une expérience utilisateur encore plus positive. (2) Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur l’étude de situations d’activités réelles pour

faire avancer la conception. On peut, plus simplement, s’appuyer sur des propositions que le concepteur fait sur les usages futurs. Pour nous, ces propositions correspondent aux revendications générées au fil du Scenario-Based Design, sur les avantages et inconvénients d’un concept en termes d’usage (cf. partie 2.4.2.2).

Notre problématique de recherche devient donc :

Comment, pour outiller l’analyse des usages de manière plus adaptée aux caractéristiques de la conception innovante, permettre aux concepteurs d’anticiper les problématiques et

potentialités d’usage d’un produit, c'est-à-dire de générer et d’organiser des propositions sur l’usage futur du produit, avant la validation d’un concept ?

(3) La définition des usages peut s’appuyer sur une démarche créative. L’expansion des concepts C − de produits, mais aussi de tout autre objet de conception − s’appuie sur un processus créatif alternant la divergence (production d’idées) et la convergence (sélection d’idées) comme le montre la Figure 3-1 ci-dessous. Si l’on considère, avec Marlier (2007) que les produits et les usages sont co-conçus, alors il est possible d’utiliser un schéma analogue pour générer des propositions sur l’usage futur d’un produit nouveau.

Figure 3-1 - Modèle de l’activité de conception, d’après Cross (2000)

(4) Les propositions sur l’usage peuvent aussi être générées par l’analyse rétrospective : les

deux modes de production de connaissance sont complémentaires (Brangier et Robert,

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Notre démarche intègre donc la définition des usages dans la phase idéative du processus d’innovation, en s’appuyant sur des séances d’analyse prospective des usages réalisées à partir du brief design. Se pose la question de quelles méthodes et quels outils utiliser lors de ces séances d’analyse prospective des usages. Les hypothèses que nous proposons sont les suivantes :

H1. Les biais sociocognitifs de l’anticipation des usages peuvent être levés par l’utilisation de

méthodes de créativité.

Plusieurs outils, comme nous l’avons dit, ont été testés pour opérationnaliser cette hypothèse théorique :

H1A. Dans le champ de TRIZ, l’analyse multi-écrans.

H1B. Dans le champ du CPS, l’association d’une méthode de divergence, le brainwriting, et d’une méthode de convergence, la matrice de découvertes.

H2. La prise de décision associée à l’analyse prospective des usages peut être guidée par les outils de la fiabilité industrielle.

La démarche que nous proposons pour assister l’analyse prospective des usages dans les phases initiales du processus d’innovation est illustrée à la Figure 3-2.

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Quels outils proposer pour assister le raisonnement créatif du concepteur ? Cavalucci (1999) nous donne une grille de lecture, illustrée à la Figure 3-3. Dans la suite de ce chapitre, nous examinerons successivement les apports possibles, à l’analyse prospective des usages :

 de deux paradigmes de la créativité, TRIZ (colonne de gauche) et le CPS (colonne de droite) (parties 3.3 et 3.4) ;

 de l’ingénierie de la fiabilité (partie 3.5).

Comme pour la théorie C-K qui nous a permis de formuler plus précisément notre problématique, les aspects théoriques relatifs à ces trois paradigmes figurent dans l’annexe 2. Dans ce chapitre, nous allons décrire comment ces paradigmes ont été concrètement mobilisés dans notre démarche, et en particulier quelles méthodes, quels outils ont été choisis pour l’analyse prospective des usages.

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3.3 Hypothèse H1A : TRIZ comme paradigme pour lever l’inertie