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La conception itérative est une solution peu optimale pour intégrer des données

2.5 Limites des méthodes existantes de l’analyse des usages

2.5.1 La conception itérative est une solution peu optimale pour intégrer des données

Notre état de l’art a souligné (partie 2.3.2.1) que l’approche de la conception centrée utilisateur était fondée sur la multiplication d’itérations du cycle. Chaque itération donne lieu à la production d’objets intermédiaires aux spécifications de plus en plus précises. C’est la mise en scène de ces objets dans des situations jugées représentatives de l’usage futur qui va permettre de recueillir des données sur l’usage et de faire avancer la conception vers un objet de plus en plus détaillé.

Plus le projet est avancé, plus les connaissances disponibles sur le produit sont précises, mais moins grandes sont les marges de manœuvre décisionnelles (Figure 2-26). Ce constat vaut aussi pour les usages du produit. Les concepteurs sont donc, souvent, piégés entre deux extrêmes :

– attendre d’avoir suffisamment précisé le concept pour le matérialiser sous la forme d’objets intermédiaires physiques, (maquettes, prototypes) mis en scène dans des situations caractéristiques de l’usage futur ;

– choisir un mode d’analyse s’appuyant sur des objets intermédiaires et des situations productibles rapidement et à moindre coût.

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Figure 2-26 – Avancement du projet, accroissement de la précision des choix de conception et réduction de la capacité d’action des concepteurs (Midler, 1993)

La problématique d’optimisation se traduit alors ainsi. Comment s’assurer que le recueil de données soit « rentable », c'est-à-dire produise des résultats pertinents pour la conception dans le plus faible nombre d’itérations possible ? Ceci rappelle le débat du high vs. low fidelity prototyping. Rudd, Stern et Isensee (1996) synthétisent les avantages et inconvénients de l’une et l’autre de ces approches (Tableau 2-12).

Type de prototype Avantages Inconvénients

Basse fidélité (ex. prototypage

papier)

 Faible coût de développement

 Possibilité d’évaluer des concepts multiples

 Outils utiles à la communication entre acteurs du projet

 Outils utiles pour identifier les besoins du marché

Documents de type proof of concept

 Peu de possibilités pour repérer des erreurs

 Faible puissance pour assister la conception détaillée

 Travail guidé par un animateur

 Peu utiles une fois que les besoins ont été définis

 Peu utiles pour tester l’utilisabilité

 Faible interactivité Fidélité élevée (ex. maquette fonctionnelle)  Fonctionnalités complètes  Objets intermédiaires très interactifs

 Processus orienté par les usagers

 Définition claire du schème de navigation

 Utilisation à des fins exploratoires et confirmatoires

Accès au look and feel du produit final

 Illustre de manière vivante les spécifications du produit

 Outil pour le marketing et la vente

 Plus coûteux à développer

 Plus long à développer

 Peu efficace pour prouver la pertinence d’un concept de produit

 Peu efficace pour le recueil des besoins

Tableau 2-12 - Avantages et inconvénients des protoypes de basse vs. haute fidélité en conception IHM (adapté de Rudd et coll., 1996)

Coyette, Kieffer et Vanderdonckt (2007) soulignent qu’il est très difficile de parvenir, en conception centrée utilisateur, à un résultat bon du premier coup. La pratique en conception IHM a longtemps obéi à une logique de « mono-fidélité » avec le positionnement suivant : la conception itérative est un élément central de la conception centrée utilisateur. Plus elle progresse, et plus les concepteurs s’appuient sur des prototypes à « fidélité élevée». Dans le

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cas général, le concepteur commence par produire des prototypes à basse fidélité pour obtenir des données d’usage et faire évoluer le concept vers une définition plus fine. Mais même la production de prototypes low-fi nécessite d’avoir, au minimum, débattu de quel prototype il s’agissait, de l’identité des usagers cibles, par exemple. C’est dans cette phase que nous constatons un vide méthodologique.

A l’heure actuelle, ces décisions sont outillées par 1) la recherche exploratoire sur des activités existantes, puis 2) la génération de connaissances sur les usages dans le cadre de la conception itérative. Concernant ce dernier point, le cycle itératif décrit dans la norme ISO 13407 implique d’avoir défini une amorce du contexte d’usage en entrée du cycle, autrement dit d’avoir au moins partiellement défini les usagers et le concept de produit. Chaque itération du cycle permet alors de générer des connaissances de plus en plus précises sur l’usage et des revendications de plus en plus fines sur le produit.

Le manque d’outils pour aider les concepteurs à définir les produits et les usages futurs dans les phases idéatives du processus entraîne deux symptômes sur le plan de la pratique de l’analyse des usages dans les projets d’innovation (Kankainen, 2003) :

(1) L’idée que les experts du domaine (et notamment les ergonomes) sont peu à même de contribuer aux phases idéatives du processus ;

(2) La perception de ces acteurs métier comme des « inspecteurs des travaux finis ». Toute remise en question du concept de produit par l’analyse des usages revient en quelque sorte à un constat d’échec. Elle entraînera des coûts, sans que l’analyse permette facilement d’élargir la réflexion à d’autres concepts plus intéressants. L’analyse des usages sert donc, in fine, surtout à ajuster la conception détaillée du produit par incrémentations.

La première limite majeure des méthodes d’analyse des usages vient donc du fait que pour générer des connaissances sur les usages, il faut engager la conception dans une voie donnée, en figeant certains éléments du travail de conception : notamment l’identité des

usagers et le concept de produit. Il devient alors difficile de remettre en question un concept figé sans augmenter les coûts financiers et temporels de l’analyse au travers d’itérations surajoutées.

Cette limite de la conception itérative est à l’origine par exemple du développement de méthodologies agile en conception centrée utilisateur (Sy, 2007), mais aussi d’un discours centré sur le nécessaire développement d’une anticipation des opportunités et problématiques d’usage avant la validation d’un concept de produit.

2.5.2 Les usages émergents : un objet ambigu pour la conception