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2. ANALYSE ÉCONOMIQUE DE L’OFFRE DE BOUQUET

2.3 La gouvernance de la production des bouquets

2.3.3 Les formes hybrides

Il résulte donc de l’analyse rapide qui vient d’être menée que le besoin de cohérence est une incitation à l’internalisation, alors que la recherche de la malléabilité incite à l’externalisation. Pourtant, il est fréquent que l’offreur de bouquet ressente simultanément le besoin de cohérence et de malléabilité. Nous avons évoqué, par exemple, le fait que la recherche de la flexibilité productive pouvait inciter à l’externalisation mais que, simultanément, l’optimisation des flux logistiques impose une étroite

coordination entre les ventes et la production. Plus lourdement encore, lorsque le progrès technique rend possible des innovations architecturales régulières, le besoin de reconfigurer régulièrement la composition du bouquet plaide pour l’externalisation mais, simultanément, si les nouvelles architectures appellent la redéfinition de la matrice associant les fonctionnalités élémentaires aux éléments du bouquet, une étroite coordination est requise au niveau de la conception.

Les modes de gouvernance polaires que sont le marché et la "hiérarchie" (l’internalisation) souffrent de limites qui peuvent les rendre inadaptés à la problématique de la construction de l'offre de bouquet. La gouvernance par le marché offre un fort degré de malléabilité et permet d’accéder au produit de compétences extrêmement diverses et non librement accessibles (ce qui est particulièrement utile pour l’élaboration d’une offre composite) ; toutefois, la relation marchande ordinaire n’autorise par le type de coordination qu’exige l’élaboration d’une offre de bouquet, en particulier lorsque l’on est confronté à une imparfaite modularité dans la production et dans la conception. L’internalisation, en donnant la maîtrise de la définition des mécanismes de coordination, offre un très fort degré de cohérence. La contrepartie est un risque de rigidification de l’offre de bouquet entravant sa capacité d’adaptation à son environnement et la menaçant de "verrouillage" dans une position non optimale du point de vue de l’évolution des attentes des clients et des nouvelles potentialités offertes par le progrès technique. L’internalisation pose en outre le problème de la mobilisation d’une palette de compétences potentiellement très ouverte, dont chaque composante doit pouvoir évoluer de manière à demeurer sur la frontière technologique.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les offreurs de bouquets puissent se trouver particulièrement incités à mobiliser des modes de gouvernances hybrides, empruntant au marché sa malléabilité et à l’internalisation sa cohérence. L’idée générale est de placer sous "l’autorité" de l’offreur de bouquet un réseau de partenaires maîtrisant les compétences requises pour la conception/production de chacun des éléments. Selon les configurations, ces partenaires pourront être des entreprises indépendantes ou bien des filiales de l’offreur de bouquet. La filialisation autorise une plus forte cohérence, mais dispose d’un moindre degré de malléabilité (qui reste toutefois supérieur à celui d’une internalisation pure et simple). Ce n’est sans doute pas par hasard que le contexte qui a favorisé le développement des offres de bouquets a également stimulé le développement très rapide de ces deux formes d’organisation en réseau.

En France, par exemple, les groupes ont très significativement accru leur emprise sur le système productif [Moati, 2002 ; Picart, 2006]. Mais ce sont des groupes qui ont modifié leurs structures et leurs modes de fonctionnement comparé aux formes dominantes des décennies précédentes. En forçant le

de l’activité est souvent associé à la maîtrise de compétences spécifiques, disposant d’une relative autonomie de gestion. La forme groupe constitue une manière de tenter de combiner cohérence et malléabilité : la maison mère élabore le bouquet et confie à ses filiales le soin de concevoir et de produire, en interaction avec elle et les unes avec les autres si besoin est, les différentes composantes de l’offre. La malléabilité est assurée, à un premier niveau, par l’efficacité de la coordination qui permet de transmettre efficacement les demandes de changement et de coordonner la convergence des trajectoires d’innovation à l’échelle des éléments et, à un second niveau, par le jeu de cessions et de rachats de filiales.

Parallèlement au développement des groupes (mais, malheureusement plus difficilement évaluables sur le plan quantitatif), se sont diffusés les réseaux d’entreprises indépendantes orchestrés par une firme pivot. La décentralisation confère au réseau une forte malléabilité, car il est plus facile (plus rapide, moins coûteux) de cesser une coopération et d'en démarrer une nouvelle avec un autre partenaire que de céder une filiale et d’un acquérir une autre. En dépit de cette décentralisation, ce mode de gouvernance autorise une plus forte cohérence par la mise en place de relations de coopération. Ces relations se distinguent des relations de marché ordinaires par la densité des interactions, la richesse des échanges d'information, l'inscription de la relation dans une durée autorisant des apprentissages mutuels et la formation d'un "capital relationnel", une convergence des représentations et la construction de procédures permettant d'articuler le travail de conception associé à chacun des éléments, en faisant de la qualité de la gestion des interdépendances un levier d’effets d'intégration. La contrepartie des bénéfices associés aux relations partenariales réside dans la difficulté à imposer aux membres du réseau la "vision" de l’offreur du bouquet et des priorités qu’elle implique, les mécanismes de coordination transmis en dehors de relations hiérarchiques, à gérer les conflits d’intérêt, à définir des règles de partage de la valeur créée…

L’opposition que nous venons d’opérer entre le groupe et le réseau orchestré par une firme pivot n’a qu’une portée analytique. Dans la pratique, un offreur de bouquet peut décider de filialiser la production de certains éléments et de recourir à des alliances pour d’autres éléments.

En généralisant, chaque offreur de bouquet est susceptible de combiner les différents modes de gouvernance (marché, coopération, filialisation, internalisation) en fonction de la spécificité de son bouquet et de son hétérogénéité sur le plan de la modularité, des conditions de production, des bases de compétences requises…, sans oublier les considérations transactionnelles et stratégiques. Afin de tenter de remettre en peu d’ordre devant l’ouverture et la complexité des champs du possible, nous allons tenter de bâtir une typologie des offreurs de bouquets.