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Rappel de l’hypothèse :

Une réponse possible à la raison pour laquelle les gens se sentent libres de s’éloigner des codes urbains est la sensation de liberté et d’intimité qui peut être créée grâce au fleuve ( distance de la rive d’en face, personnes assises dans le même sens…)

En effet ces lieux, étant de fait au bord de la rivière, créent une distance entre l’usager et la ville, rien ne se trouve entre l’usager et la ville, mis à part quelques bateaux qui ne sont que de passage. D’ailleurs aucun lien à part la vue n’existe entre les bateaux et les « plagistes », puisque les uns et les autres ne peuvent, dans les lieux cités, se rencontrer physiquement.

Un autre point remarqué lors de mes observations est que la plupart des usa- gers font face à la rivière et à la rive d’en face, même lorsqu’il s’agit d’un groupe de plus de quatre personnes. Malgré le fait que le cercle paraisse être la disposition spatiale la plus efficace à la communication dans ces cas-là, les gens s’orientent pratiquement toujours vers l’eau et forment un U. On peut en déduire qu’où que l’on soit sur ces « plages », personne ne croise notre regard. Soit les gens sont derrière nous, soit l’on voit le dos des gens devant nous. A l’instar d’un enfant qui met les mains devant les yeux pour se cacher, nous trouvons peut-être une forme d’intimité dans le fait de ne pas croiser de re- gards, une sensation d’être seul malgré le fait d’être entouré.

Plusieurs témoignages, la majorité d’entre eux en fait, nous ré- vèlent une vision intéressante sur ce sentiment d’intimité qui peut se créer dans ces lieux-là. Surtout lorsque l’on demande aux interviewés si les gens autour d’eux, ou leurs regards, les dérangent. Il y a en réalité, d’après les entretiens quatre phé- nomènes différents qui permettent d’expliquer ce sentiment d’intimité que l’on peut ressentir ou tout au moins supposer pourquoi l’usager n’est pas dérangé par la présence des autres utilisateurs de l’espace.

Le premier élément que je vais citer et dont parlent 5 sur 9 des interviewés (Anna - Pierre - Norman - Maëldan et Javiera) est le fait que les gens sont en groupes et qu’ils ne regardent donc pas les autres. « Les gens sont entre eux, en groupe, plus que tournés vers l’extérieur en train de regarder les autres gens. »

décrit Maeldan. Il me semble que ce qu’il faut entendre par là est que tout le monde est venu pour profiter du lieu et pas pour regarder les autres, ni pour une autre raison d’ailleurs. On décrit ici plus une entité, qui en réalité peut être une personne seule

Figure 32 :

Photographie d’une chaude journée, terrasse des vents Source : personnelle

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ou plusieurs en groupe qui viennent profiter de cet espace. Ces entités se répartissent sur l’espace, c’est ce qu’on a vu lors des observations d’ailleurs, et profitent du lieu sans se soucier des autres. Je pense que l’on peut expliquer cela par le fait que les gens ne se baladent pas par hasard entre les personnes : on vient et on s’assied, on ne regarde pas tellement ce qui se passe autour, on est entre nous. Les gens qui passent par ha- sard ou se baladent passent derrière les gens assis (cf figure

Figure 33 : ci-dessus

Photographie sur la pelouse de l’école d’architecture Source : personnelle

33). Personne ne passe, regarde, et continue. Tout le monde se répartit et on reste entre soi. On ne ressent alors pas le regard des autres, car on est en quelque sorte seul sur notre espace personnel.

Un autre élément qui est décrit dans l’hypothèse et vérifié dans quelques interviews, notamment celles ou des étudiants en architecture sont questionnés, est que les gens se placent en ligne vers la Loire, ce qui fait que peu de gens se font face. On ne voit pas les gens derrière nous qui nous voient, et les gens que l’on voit devant ne nous voient pas, puisqu’ils sont eux

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aussi tournés vers la Loire. Citons Camille par exemple : « Tout le monde est orienté dans le même sens vis-à-vis de la Loire, donc je n’ai pas l’impression d’être gênée par le regard des gens parce qu’au final on ne regarde pas les gens qui sont à côté, on regarde ce qui nous entoure. » On voit ici que le re- gard des autres n’est pas perçu du tout comme pesant, d’où le sentiment d’intimité. Toutes les autres personnes interviewées parlent de ce phénomène, même si certains n’arrivent pas tou- jours à mettre des mots dessus. Anna par exemple nous dit que

« même s’il y a des gens autour, je n’ai pas l’impression d’être regardée ». Ce sentiment se retrouve dans chaque interview. En réalité le regard est attiré par la Loire, Maeldan décrit l’es- pace comme orienté, Pierre dit être guidé, tout le monde ou presque regarde effectivement la Loire et la rive d’en face. Les regards, alors, ne se croisent pas.

Un autre élément qui peut participer à cette intimité est comme mentionné ci-dessus : que personne ne passe devant nous. On ne voit pas tellement de gens en face. Et on ne voit pas non plus ce qui passe derrière. On pourrait effectivement se demander si les gens d’en face, sur l’autre rive, ne pourraient pas nous voir, nous regarder, et donc peut-être nous priver de ce sen- timent sécurisant de ne pas être observé. On remarque dans les entretiens que lorsque les gens décrivent ce qu’ils voient, ils parlent de différents éléments sur leur rive et de la Loire, puis du panorama, mais personne ne décrit précisément ce qu’il y a sur l’autre rive, c’est un paysage, on ne parle ni des voitures, ni des passants. En fait on ne voit pas, ou plutôt on ne fait pas at- tention à la vie en face. Cela peut s’expliquer d’une part par le fait qu’il n’y a pas, en face des deux espaces étudiés, d’amé- nagement piétonnier particulier. On peut aussi imaginer que la distance entre les deux rives, sur la Loire, est assez important pour que le mouvement en face soit négligeable dans notre champ de vision. L’Erdre aurait peut-être donné une autre sen- sation à ce niveau-là. D’ailleurs, Pierre, qui explique qu’il aime beaucoup les bords de l’Erdre, parle des gens en face à cet endroit-là : on ressent plus le mouvement d’en face, là-bas. En tout cas on remarque qu’aucun de ces lieux n’a de réel vis-à- vis, en tout cas dans le ressenti.

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Le quatrième et dernier élément qui participe à cette intimité est décrit par Norman. Il décrit le fait que tout le monde est plus ou moins en ligne (cf figure 34), donc ce phénomène se retrouve non seulement à l’échelle du groupe mais aussi de la plage entière. Norman dit que tout le monde « est à peu près au même niveau » en parlant de la pente et de la distance à la rivière, le ressenti est donc que « là au moins on est à peu près tous en ligne et on regarde tous là-bas (Loire) donc ... on ne se voit pas en fait ! ». Joséphine aussi met des mots sur cette hypothèse : « Je trouve qu’en fait les gens sont directement orientés, ce n’est pas circulaire, les gens sont alignés en fait. Ils regardent la Loire. On a quelque chose à regarder en fait. Donc on se regarde les uns et les autres mais on va pas regar- der une personne en particulier parce qu’il n’y a pas de point central en fait. » Cette disposition n’est cependant décrite que sur la pelouse devant l’école d’architecture et n’est possible que grâce à la forme en longueur de l’espace. Ce n‘est pas le cas sur la Terrasse des Vents. La spatialité a donc certainement un impact sur les usages et l’utilisation des lieux.

En tout cas toutes ces réponses expliquant que l’on ne se sent pas dérangé par le regard des autres prouve qu’il existe bien un sentiment d’intimité, d’être en quelque sorte seul dans sa bulle existe bien. Il est également possible que l’on apprécie ces espaces pour cela. Camille explique d’ailleurs qu’elle n’aime pas venir quand l’espace est bondé. Ce ressenti peut donc disparaitre si l’espace entre les groupe diminue trop. Il serait intéressant de voir à quel moment, ou à partir de quelle distance notre impression passe de « non les gens ne me dé- rangent pas, on ne se voit pas » à « je ne veux pas m’asseoir ici, c’est trop bondé ».

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