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Chapitre 2. Résultats des simulations numériques

2. Formation des traînées chimiques

Un des points que nous souhaitions évidemment vérifier était que les simulations pouvaient bien prédire la formation des traînées chimiques dont nous avions fait l’hypothèse (cf. 1ère Section du 1er Chapitre de cette Partie), c'est-à-dire que les microtubules dont nous n'avons décrit que la cinétique générale aux extrémités étaient capables de 'treadmilling' (comportement non programmé). En outre, il fallait surtout s'assurer que ces traînées chimiques jouaient bien le rôle que nous leur prêtions, à savoir la communication entre les microtubules et la formation de faisceaux de microtubules regroupés dans ces traînées.

Il est, bien entendu, impossible d’étudier ce phénomène dans une population composée de plusieurs milliers de microtubules aux directions très variées et complètement enchevêtrés dans tout l’espace réactionnel. Pour tester cela, nous avons donc réalisé une simulation simple dans un espace réactionnel de 100 µm par 60 µm de coté et contenant seulement 5 microtubules. Dans cette simulation nous n’avons pas permis à la nucléation

d’autres microtubules de se faire. Deux microtubules préformés de 10 µm de long (a,b) ont été placé l’un à coté de l’autre et de façon parallèle, leurs deux extrémités croissantes pointant dans la même direction. A 10 µm derrière les extrémités décroissantes de ces microtubules, nous avons placé trois autres microtubules (c,d,e). Ces derniers étaient également disposés de façon parallèle entre eux et par rapport aux deux premiers microtubules (a et b), mais espacés entre eux de 5 µm. Leurs extrémités croissantes étaient toutes dirigées dans le même sens, vers les extrémités décroissantes des deux premiers microtubules a et b afin tous les cinq aient la même direction de croissance. Les concentrations en tubuline-GTP et en tubuline-GDP étaient initialement uniformes. N’étant pas dans des conditions réalistes, c'est-à-dire avec un très grand nombre de microtubules, il était impossible dans des conditions standard de faire en sorte que les cinq microtubules soient en phase de treadmilling. Les concentrations en tubuline-GTP et tubuline-GDP ont été choisies pour qu’il en soit ainsi, à savoir une concentration de 4 mg.ml-1 pour la tubuline-GTP et une concentration nulle sur tout l’espace de réaction pour la tubuline-GDP. Les paramètres de réaction utilisés étaient ceux qui permettent d’obtenir un ‘overshoot’ dans la cinétique d’assemblage.

Figure 42. Formation de traînées chimiques et de faisceaux de microtubules dans les simulations

numériques. En (A), on suit le devenir de 5 microtubules. En (B) et (C), on peut suivre l'évolution spatiale des concentrations respectives en tubuline-GTP et en tubuline-GDP. Initialement, 5 microtubules ont été disposés comme cela est montré à t=0 sec. Les extrémités croissantes des microtubules forment des régions déplétées en tubuline-GTP tandis que les extrémités décroissantes libèrent localement de la tubuline-GDP. Les microtubules (a) et (b) s'éloignent l'un de l'autre, car ils se dirigent vers les zones les plus concentrées en tubuline-GTP et évitent la déplétion causée par leur

voisin. Inversement, les microtubules (c), (d), (e) dévient progressivement et s'allongent dans la traînée concentrée de tubuline-GTP produite par les extrémités décroissantes de (a) et (b).

La figure 42 montre la position des microtubules et les profils de concentration en tubuline-GTP et en tubuline-GDP tels qu’ils ont été calculés à différents temps de la réaction. L’ajout de tubuline-GTP à l’extrémité croissante et le rejet de tubuline à l’extrémité décroissante provoquent le déplacement des microtubules à une vitesse de l’ordre de 5 µm par minute. Comme les microtubules consomment de la tubuline-GTP pour avancer, l’espace de réaction au niveau des extrémités et à leurs alentours est déplété en tubuline-GTP. En conséquence, les deux microtubules de devant (a et b) qui étaient initialement collé l’un contre l’autre et parallèles entre eux, s’éloignent l'un de l'autre. Cela s’explique parce qu’il est plus favorable pour eux de dévier de leurs trajectoires pour croître dans les régions riches en tubuline-GTP, plutôt que dans les régions qui en sont déplétées, notamment à cause de l’assemblage de leur proche voisin. Les extrémités décroissantes, quant à elles, libèrent de la tubuline-GDP qui est progressivement convertie en tubuline-GTP. De ce fait, juste derrière l’extrémité décroissante, se forme une petite zone contenant de la tubuline-GDP concentrée. Cette zone est suivie d’une longue traînée de tubuline-GTP qui diffuse peu à peu, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’extrémité décroissante. Nous avons observé que les trois microtubules c, d, e, ont dévié de leur trajectoire pour se réunir progressivement dans la traînée concentrée de tubuline-GTP libérée par les deux microtubules de tête. Dans les conditions appropriées, ceci est donc très efficace pour regrouper des microtubules dans une même direction. Ce phénomène fourni une explication sur la façon dont se forment les faisceaux de microtubules, rassemblements de quelques microtubules alignés entre eux.

Un autre phénomène important observé dans cette simulation concernait la façon dont se comportaient les microtubules au voisinage des parois. Nous avons dit que les deux microtubules de tête s’éloignaient les uns des autres parce qu’ils cherchaient à éviter la déplétion de tubuline-GTP qu’ils produisaient eux-mêmes. Si on laisse la simulation évoluer plus longtemps, jusqu’à ce que les microtubules de tête arrivent au voisinage des limites de l’espace de réaction, on observe le même phénomène : un microtubule qui arrive au niveau d’une paroi va dévier peu à peu pour éviter la déplétion de tubuline-GTP qu’il provoque lui-même (Figure 43). C’est grâce à ce processus que les microtubules parviennent à ‘sentir’ les limites de l’échantillon. Sachant ceci, on comprend que les parois des échantillons puissent rompre la symétrie de la réaction et induire une auto-organisation, au moins partielle, de la solution.

Figure 43. Phénomène d'évitement des parois par les microtubules. Deux microtubules (A) ont été

initialement disposés de façon parallèle, comme les microtubules (a) et (b) de la figure 42. Après avoir dévié, ils finissent par arriver au niveau des parois imperméables qui simulent les parois en verre d'une cuve. À ce moment, ils dévient de leur trajectoire pour s'éloigner de la déplétion de tubuline-GTP (B) qu'ils créent pour se diriger vers les zones favorables à leur croissance.