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1 De la formulation de la stratégie à la formation des stratégies

1.2 La formation de la stratégie : une perspective pratique

Dans les années 1990, le practice turn, issu de la philosophie, a dévoilé des théories autorisant un nouveau regard sur les recherches. Pour certains scientifiques, spécialistes du management stratégique, l’objectif a été de comprendre comment la stratégie s’élaborait concrètement, dans la pratique.

La recherche sur la formation de la stratégie a alors pu, par un pas de côté, faire de nouvelles avancées et renouveler les représentations de la formation de la stratégie, en passant de l’implémentation stratégique à la pratique stratégique.

Nous allons dans une première partie présenter le courant strategy-as-practice dans ses grandes lignes, ainsi que ses fondements issus de la théorie des pratiques, car ces points serviront notre propos méthodologique.

Puis dans une seconde partie, nous nous centrerons sur les avancées du courant strategy-as- practice en matière de fabrique de la stratégie.

1.2.1 Le courant strategy-as-practice

Cette partie reprendra de façon succincte les origines du courant strategy-as-practice, puis son ancrage avec la théorie des pratiques.

1.2.1.1 Une approche complémentaire à l’étude de la formation de la stratégie

Le texte séminal de Whittington (1996) pose les bases d’un courant qui va se préciser au cours des années, jusqu’à trouver son identité propre sous le nom de « strategy-as-practice » au début des années 2000. L’auteur considère la stratégie comme une pratique sociale, il cherche à comprendre comment les praticiens de la stratégie agissent et interagissent dans les faits, et précisément dans la fabrique de la stratégie.

Originellement, Whittington argumente sa réflexion en la centrant sur le management stratégique, et en particulier sur l’évolution en quatre étapes de la planification stratégique qu’il décrit sous les termes de planning, policy, process puis practice (Fig. 4). L’étape practice, sur laquelle il va se focaliser, est celle qu’il faut maintenant étudier pour toujours mieux comprendre la planification stratégique.

Figure 4 : Four perspectives on strategy. (Whittington, 1996, p. 732)

D’un point de vue chronologique, la première étape est celle des années 1960, elle se base sur des techniques et des outils pour aider les managers à prendre des décisions. La seconde est à partir des années 1970 plus centrée sur l’analyse des avantages à suivre telle ou telle direction stratégique. Les années 1980 valorisent une approche processuelle sur le changement

stratégique. Enfin la dernière étape, l’approche pratique, s’appuie pour beaucoup sur l’approche par les processus mais s’axe plus volontiers au niveau des managers et se préoccupe de comprendre comment ces derniers font de la stratégie.

Whittington lie alors l’inspiration, la vision stratégique, et ce qu’il nomme la perspiration15,

c’est-à-dire les routines, tel le fait de préparer un budget, de planifier, de faire des présentations formelles ou de rédiger des documents stratégiques.

A l’instar des théoriciens de la sociologie de la pratique (et en particulier Reckwitz et Schatzki16) avec lesquels il se reconnait une certaine filiation (Whittington, 2002 ; Vaara et

Whittington, 2012) comme nous le verrons dans la partie suivante, Whittington formalise la fabrique de la stratégie en utilisant la forme progressive du verbe ; il institue ainsi l’utilisation de « strategizing » (l’action de faire de la stratégie), terme qui sera dès lors adopté par la communauté impliquée dans le questionnement de la stratégie et utilisant une perspective pratique.

Dès lors, les chercheurs s’identifiant au courant strategy-as-practice vont, d’une façon assez générale, remplacer le terme de « strategy-making » par celui de « strategizing », exception faite de l’article prospectif de Vaara et Whittington (2012) où le terme de strategy-making est à nouveau employé, au côté et de façon plus large que strategizing.

L’idée est d’offrir dans le domaine de la gestion une alternative aux études centrées sur la performance.

Dès lors, le courant strategy-as-practice argumentera son positionnement scientifique en spécifiant que la stratégie n’est pas quelque chose que l’organisation a mais quelque chose que les gens font (Johnson et al., 2003 ; Johnson et al., 2007). Et puisque l’humain est au cœur de la fabrique de la stratégie, il faut alors se concentrer sur le « qui » et le « comment ». Quelques années après, Jarzabkowski et Wilson (2002) vont réconcilier pratiques et processus, considérés à l’origine par Whittington (1996) comme deux évolutions distinctes (voir Fig. 4).

Pour mieux comprendre la pratique de la stratégie, les auteurs considèrent l’influence réciproque et complémentaire des routines localisées au niveau de l’équipe de direction et de 15 Perspiration (nf) : ensemble des échanges respiratoires qui se font à travers la peau. Le Petit Larousse, 1993. 16 Nous reviendrons plus précisément sur l’apport de ces auteurs dans la partie suivante.

la structure-même de l’organisation, cette dernière à la fois produisant et étant le produit d’actions stratégiques. Ce rapprochement des concepts posera problème pour des auteurs comme Carter, Kornberger et Clegg (2008) qui reprochent au courant strategy-as-practice une confusion sémantique et une interchangeabilité entre les concepts de process et de practices. Les auteurs voient alors la pratique de la stratégie comme un moyen par lequel les acteurs mettent en œuvre (enact) la stratégie dans un contexte organisationnel, et aussi comme le résultat (ou actions stratégiques réalisées) qui découle de ce processus d’interaction (Jarzabkowski et Wilson, 2002 ; Vaara et Whittington, 2012).

Pour autant, ces questionnements ont pour conséquence un déplacement méthodologique, et les chercheurs passent de méthodes majoritairement statistiques à des méthodes qualitatives, ce qui leur permet de rester au plus près des praticiens. L’étude de cas est la plus spontanément choisie, avec en particulier l’observation de réunions stratégiques et la réalisation d’interviews.

Pour autant, d’autres stratégies de recherche sont recherchées, entre autres l’étude des agendas des praticiens, la mise en place de recherches-action et, plus rarement, l’utilisation de méthodes éthnographiques (Rouleau, 2013 ; Vaara et Whittington, 2012 ; Cunliffe, 2015) voire éthnométhodologistes (Samra-Fredericks, 2005).

Le courant strategy-as-practice a ainsi installé son périmètre de recherche : s’intéresser à la fabrique de la stratégie, c’est à dire quels sont les acteurs de la stratégie, ce qu’ils font, comment ils le font, ce qu’ils utilisent et quelles sont les implications sur la formation de la stratégie (Jarzabkowski and Spee, 2009). Le courant se fait (re)connaître par son focus sur les micro-pratiques qui, souvent invisibles dans le spectre de la recherche « traditionnelle » en stratégie, ont néanmoins des conséquences significatives pour l’organisation et ceux qui y travaillent (Johnson et al., 2003). Le terme de micro-pratiques va dès lors souvent imprimer les recherches.

Pour le courant strategy-as-practice, il devient important de comprendre comme les managers font de la stratégie (« do strategy »), c’est à dire comment ils agissent et interagissent au quotidien.

Il inscrit une partie de sa légitimité conceptuelle dans un courant plus vaste, le Practice Turn. Décrire ce dernier nous permet de mieux définir les appuis du courant strategy-as-practice.

1.2.1.2 Une origine revendiquée : les théories de la pratique

Il nous parait important de comprendre, au-delà du courant strategy-as-practice au sens strict, quels sont les fondamentaux théoriques de cette approche par les pratiques. Ces derniers nous permettent notamment de mieux assoir théoriquement notre cadre conceptuel.

Le Practice Turn est un mouvement plus fortement (re)connu à la fin des années 1990, entre autres grâce au livre éponyme The practice Turn in Contemporary theory (Schatzki, Knorr Cetina, & von Savigny 2001). Il donna un cadre à ceux qui souhaitaient mettre la pratique au cœur de l’activité sociale (Soulier et Clavez, 2013).

La théorie des pratiques, dont les traductions anglaises sont theories of practices, theory of

practice, theories of social practices ou practice theories17, provient principalement de la

recherche anglo-saxonne, et plus particulièrement des travaux et définitions du philosophe des sciences Theodore Schatzki et du sociologue culturaliste allemand Andreas Reckwitz.

Ce courant sociologique s’inspire d’écrits philosophiques, en particulier de Martin Heidegger et de Ludwig Wittgenstein, mais aussi de théories sociologiques comme celle de Bourdieu, Giddens ou Latour, que Reckwitz décrira particulièrement en 2002. Les racines du Practice Turn sont aussi à chercher dans le courant du pragmatisme qui a appelé praxis une réalisation par l’action, c’est à dire une réalité concrète opposée à une théorie abstraite. Ce courant affirme qu’une connaissance peut aussi se lire comme une activité pratique18, donc que penser

est un acte (Catinaud, 2016 ; Frega, 2016, Morandi, 2004).

17 On trouve suivant les auteurs une volonté de mettre au singulier ou au pluriel l’un au moins des deux mots.

Par exemple, Nicolini (2012) tient explicitement à pluraliser le terme ‘theories’ et à singulariser le mot ‘practice’ dans la locution ‘practice theories’. Dans les écrits en langue française, nous trouvons indifféremment la/les théorie(s) de la/des pratique(s). Comme nous ne souhaitons pas nous engager spécifiquement dans ce débat, nous choisissons de façon arbitraire d’utiliser la locution « la théorie des pratiques » dans notre écrit.

18 « La division du monde en deux sortes d’Êtres, un supérieur, accessible uniquement à la raison et de nature

idéal, l’autre inférieur, matériel, changeant, empirique et accessible par l’observation sensible, aboutit inévitablement à l’idée que la connaissance est par nature contemplative. Elle présuppose une distinction entre la théorie et la pratique qui est entièrement au désavantage de cette dernière (…) Connaître, pour les sciences expérimentales, signifie une certaine forme d’action menée avec intelligence ; la connaissance cesse donc d’être contemplative et devient véritablement pratique. » (Dewey, 1920, p.69-70, cité par Catinaud, 2016).

Cette palette non exhaustive d’auteurs laisse à penser que les origines intellectuelles de ce courant sont dans les faits assez variées : « Le courant des pratiques frappe par sa plasticité » (Dubuisson-Quellier & Plessz, 2013, p.19)19.

La théorie des pratiques20 est un courant qui investit naturellement le terrain de la sociologie

de la consommation et en particulier de la consommation durable, dont un des points centraux est le changement de pratiques par les consommateurs (par exemple énergie, environnement). Les grands acteurs sont en particulier Warde (2005) et Shove (Shove et Pantzar, 2005), qui souhaitent remettre en question la théorie du consommateur autonome et souverain se construisant au travers de sa consommation (Dubuisson-Quellier & Plessz, 2013).

Et, nous l’avons vu précédemment, il a aussi investi les sciences du management, en donnant lieu à des publications plus empiriques non spécialement centrées sur la stratégie au sens du courant strategy-as-practice. A titre d’exemple il donne lieu à des questionnements plus centrés sur les pratiques en action ou en situation extrême (Bouty et Drucker-Godard, 2011 ; Bouty et al., 2012).

Les ressorts de la théorie des pratiques :

Les auteurs s’accordent à dire que le Practice Turn émerge comme une troisième voie explicative de l’action humaine car certains penseurs n’étaient satisfaits ni de l’explication donnée par l’individualisme, ni de celle donnée par le holisme. L’individualisme considère que les comportements individuels créent le contexte social (ce qui suppose l’intentionnalité de l’agent) alors que pour le holisme, ce sont à l’inverse les structures sociales qui déterminent les comportements des agents.

La théorie des pratiques met en avant l’importance de l’activité et du comportement dans la réalisation et la reproduction du social, c’est à dire des phénomènes comme « les individus,

les (inter)actions, le langage, les systèmes signifiants, le monde de la vie, les

19 Reckwitz (2002) précise qu’il n’est pas facile de justifier de grouper des auteurs si variés sous une même

étiquette, celle des théories de la pratique, puisque que l’on retrouve des éléments de la théorie des pratiques chez Bourdieu, chez Giddens avec la théorie de la structuration, chez Michel Foucault (qui dans les années 1960 et 1970 testa plusieurs options théoriques, dont le structuralisme) ainsi que chez Nietsche, alors qu’il remettait en question la dualité âme/corps.

institutions/rôles, les structures ou systèmes qui définissent le social » (Schatzki et al., 2001,

p.12).

Tous ces phénomènes ne peuvent être analysés qu’au travers du champ des pratiques. Par exemple, « installer une démocratie », des élections libres, a non seulement à voir avec des principes de libre choix, mais aussi avec des pratiques telles le fait de faire campagne, de voter, de choisir les lieux où seront installés des bureaux de vote, leurs horaires d’ouverture, les garanties de recomptage (Nicolini, 2012).

Décrypter le contexte social à partir de la pratique permet donc d’articuler le niveau micro et le niveau macro (Fig. 5), tout en se localisant dans une dimension meso (Frega, 2016), c’est à dire d’affirmer à la fois que les agents sont rationnels mais aussi que les structures ont un impact sur les agents.

Figure 5 : Le rôle de la pratique dans le « tournant pratique » en sciences sociales. (Catinaud, 2016, p.70)

Nicolini reconnaît qu’aucun cadre théorique unifié n’existe encore aujourd’hui, et parle plutôt « d’une famille assez large d’approches théoriques reliées par un réseau de similitudes

historiques et conceptuelles » (Nicolini, 2012, p.1)21. Il insiste pour parler de plusieurs

théories basées sur les pratiques : « practice-based theories » ou « ways of theorizing

practice ». Préférant combiner que synthétiser les différentes théories basées sur la pratique, il

les réunit autour de 5 points communs (Nicolini, 2012, p. 3) :

• Les approches basées sur la pratique sont fondamentalement processuelles et tendent à voir le monde comme une réalisation récurrente et routinisée, construit à partir de pratiques. Le social n’est pas construit de plusieurs niveaux mais bien de d’assemblages, de nexus de pratiques.

21 « Practice theories constitute, in fact, a rather broad family of theoretical approaches connected by a web of

• Toute pratique lie activités et ressources matérielles, qui sont connectées dans l’espace et le temps.

• L’agent est au cœur des pratiques.

• Les pratiques s’appuient sur une connaissance intégrée des contextes sociaux et de règles et sur le sens donné aux intentions. Le discours est en lui-même une pratique qui permet d’agir sur le monde, mais n’est pas suffisant pour l’expliquer.

• Les pratiques mettent en en lumière ce que l’homme a le pouvoir de faire ou de penser.

Ainsi la théorie des pratiques est une des manières de comprendre le monde. L’expression

Practice turn souligne un tournant intellectuel, dans lequel les pratiques se substituent d’une

part au holisme d’autre part à l’individualisme pour appréhender le monde social. Les pratiques deviennent « les objets sociaux primaires » (Frega, 2016, p.325).

Le courant strategy-as-practice mobilise une majorité d’auteurs préoccupés par le concept de pratique, qu’ils soient sociologues (entre autres Schatzki, Giddens ou Bourdieu), philosophes (Foucault) ou l’éthnométhodologiste Garfinkel (Vaara et Whittington, 2012). Il ne s’appuie pas sur une certaine théorie de la pratique spécifique, mais utilise le cadre donné par la théorie des pratiques pour mieux prendre en considération les pratiques quotidiennes. Notre recherche se devra donc de préciser le cadre conceptuel le plus adapté.

Il ressort de cette filiation de nombreuses recherches, dont certaines mettent particulièrement l’accent sur les moments-clé de la fabrique de la stratégie.

1.2.2 La fabrique de la stratégie

Ancrées à la fois dans des appuis philosophiques, sociologiques et managériaux, les recherches sur la fabrique de la stratégie vont révéler de nouvelles connaissances, tant au niveau individuel qu’organisationnel.

C’est pourquoi nous souhaitons faire une synthèse des connaissances acquises par le courant strategy-as-practice en séparant dans un premier temps celles qui relèvent de la fabrique de la stratégie via les acteurs de la stratégie et les pratiques individuelles, puis dans un second temps celles liées à quelques moments stratégiques.

1.2.2.1 La fabrique de la stratégie via les acteurs et leurs pratiques

Le courant a initialement mis un accent sur les processus détaillés et sur les pratiques constituant les activités quotidiennes de la vie de l’organisation en lien avec les résultats stratégiques. Le propos est alors de faire un focus sur les micro-pratiques qui, souvent invisibles dans le spectre de la recherche « traditionnelle » en stratégie, ont néanmoins des conséquences significatives pour l’organisation et ceux qui y travaillent (Johnson et al., 2003).

En tout état de cause, ce courant est donc en opposition avec ceux qui considèrent que la stratégie ne se crée qu’au niveau du top management, pensée que l’on peut toujours trouver de nos jours. A titre d’exemple, l’article de Seung-Hwan et Harris (2017) fait un lien entre la performance financière à long terme de l’entreprise et la représentativité des femmes dans le top management. Ce faisant, ils semblent circonscrire la formation stratégique à l’équipe du top management.

Si le courant strategy-as-practice voit donc les acteurs au sens large, il fait de même avec les pratiques. Elles sont généralement contextualisées, dans l’espace ou dans le temps.

Les pratiques les plus observées sont les pratiques communicationnelles.

Ainsi les pratiques discursives seront au centre de certaines études (Vaara et al., 2004 ; Hoon, 2007 ; Balogun et al., 2014). De La Ville et Mounoud soulignent que la stratégie se forme sur une diversité de constructions langagières, discursives et textuelles et que le processus stratégique se traduit alors « par un effort communicationnel permanent en vue de faire

accepter de nouvelles orientations stratégiques à l’ensemble des parties prenantes » (de La

Ville et Mounoud, 2005, p.347). Vaara, Kleymann et Seristö (2004) montrent comment se fabrique la stratégie en tant que construction discursive, en particulier lors d’alliance de compagnies aériennes. Il ressort de l’étude les principales pratiques discursives qui légitimisent cette alliance, par exemple la remise en question des stratégies traditionnelles, non adaptées au moment, ou encore la valorisation d’un discours tourné vers le maintien de l’indépendance de l’entreprise. L’importance des compétences rhétoriques des stratèges sont entre autres mises en valeur par Samra-Fredericks (2005). Le discours, une fois décrypté, permet de montrer comment le stratège utilise le verbe pour développer des directions stratégiques et un projet futur dans lesquels les membres de l’organisations peuvent se projeter. Dans l’exemple cité, le stratège utilise l’humilité, puis fédère autour d’émotions

telles que la frustration, l’inquiétude voire la colère. Enfin, il utilise sa « responsabilité morale » afin de répondre aux problèmes (Samra-Fredericks, 2003).

Les pratiques textuelles seront aussi particulièrement questionnées.

La construction discursive des documents stratégiques est, elle aussi, creusée. Pour Spicer (2013), les documents stratégiques des entreprises ne sont écrits qu’avec des mots vides de sens, voire même avec des foutaises22. Il reconnait pourtant que ces mots peuvent avoir des

conséquences positives, mais éphémères, telles que favoriser une confiance en soi ou provoquer une bonne image auprès des parties prenantes. Cependant ils fragiliseraient l’entreprise sur le long terme en la décalant des processus qui fabriquent sa ‘réelle’ valeur ajoutée, au quotidien.

Cornut, Giroux et Langley (2012) font une analyse textuelle des plans stratégiques des organisations non gouvernementales et du secteur public et les comparent à neuf autres corpus tels les rapports annuels publics, les sermons religieux, les articles de recherche ou mêmes les rapports annuels de Standard & Poor’s. Ils en déduisent que le plan stratégique emploie d’une part plus de termes faisant référence à la communauté que tous les autres corpus, et d’autre part des termes plus positifs que les autres corpus -à l’exception de celui des Horoscopes. Et pour Abdallah et Langley (2014), l’ambiguïté contenue dans les constructions discursives des plans stratégiques permettrait une certaine liberté de lecture et d’implémentation. Ces écarts seraient à l’origine de l’évolution stratégique, qui pourraient paradoxalement générer des difficultés de cohésion collective. Dans cet exemple encore, la fabrique de la stratégie est questionnée au regard de ce qui est affiché.

Nous pouvons souligner que les analyses textuelles des documents stratégiques proviennent bien souvent de l’étude des plans stratégiques.

Mais les pratiques peuvent aussi concerner des éléments cognitifs.

Regner (2003) confirme que la typologie de l’organisation et principalement son implantation physique ont bien une influence sur la fabrique de la stratégie. Basant son travail de recherche sur 4 entreprises multinationales, l’auteur cherche à comprendre comment se crée la stratégie dans la pratique.

Il observe alors que la fabrique de la stratégie du siège se fait de façon déductive et utilise des outils tels la planification, l’analyse et l’utilisation de routines standardisées. Au contraire, la