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Être formateur et professionnel de l’entreprise, un double statut gagnant

6. L’impact de la crise sanitaire sur leur organisme de formation

6.7. Être formateur et professionnel de l’entreprise, un double statut gagnant

La quasi-totalité des OF enquêtés fonctionne en employant presque exclusivement des formateurs aussi professionnels de l’entreprise. Leurs responsables ont indiqué avoir connu une gestion quantitative de l’emploi sans tension particulière, avec absence de licenciements. Seulement deux organismes sur vingt déclarent avoir mis un terme à quelques CDD en anticipé. Cette relativement faible tension sur l’emploi s’est accompagnée d’une faible mobilisation des dispositifs publics existants. Seuls trois organismes sur vingt ont déclaré avoir eu recours à une communication active autour du CPF/CEP, ou avoir bénéficié de l’élaboration d’un dossier de FNE formation par l’entreprise dont un n’a pas été jusqu’à son achèvement.

Concernant la gestion des niveaux d’emploi et le devenir des formateurs au cours de cette période, les OF enquêtés ont un point en commun. Contrairement à d’autres organismes privés ou publics, leurs responsables ont unanimement loué l’existence d’une importante marge de flexibilité grâce à la polyvalence de leurs formateurs, aussi professionnels salariés de l’entreprise d’origine. Durant leur fermeture, ces OF ont donc pu compter sur la réintégration de leurs formateurs au sein de l’entreprise sur leurs postes de travail habituels, allégeant d’autant pour eux les coûts de gestion de la crise.

En complément de cette réintégration des formateurs au sein de l’entreprise, l’ensemble des OF répondants a eu recours au chômage partiel. En général, cela a concerné très peu de salariés de l’OF, principalement le directeur et deux ou trois personnes, permanents du service administratif.

Nombreux ont été les témoignages des responsables d’OF décrivant les bienfaits en période de crise du double statut des formateurs, aussi professionnels d’entreprise.

Le directeur de l’OF de la filiale spécialiste des grues reconnaît que l’année 2020 a dû être compliquée pour les autre organismes privés, sans le soutien d’une entreprise qui, comme dans son cas, a permis de garantir la stabilité à son personnel : « [...] ils [les autres centres] ont dû souffrir, mais nous comme il est adossé complètement à l'entreprise, nos salariés sont polyvalents, ils sont salariés de l'entreprise et ne sont pas salariés du centre de formation, ils font de la formation mais pas que, donc de ce côté-là ils n'ont pas eu à souffrir compte tenu que l'activité formation a été réduite pas à zéro mais pas loin… Il est certain que si c'était un organisme indépendant il aurait des difficultés ».

De son côté, le responsable de l’OF de SIGMA, firme des travaux publics, estime que : « [...] crise ou pas crise, ça nous aide tout le temps, on a les formateurs sur place qui travaillent dans l’entreprise on est très content de les avoir. En gros ça a été bénéfique d'être adossé à l'entreprise pendant le Covid parce qu'en fait nos gens sont polyvalents, les formateurs peuvent faire autre chose ; c'est vrai qu'on ne pouvait pas dispenser de formation pendant cette période-là donc effectivement ils ont été réintégrés, ce sont des gens qui sont internes à nous ».

Même constat pour l’OF de SPICA, la société de logiciel 3D du constructeur aéronautique, où son directeur précise que : « [...] nos formateurs sont des collaborateurs internes à notre société, qui viennent de différentes entités, de plus ils sont des experts d’un domaine particulier sur nos logiciels, et donc en fait ce sont des gens qui travaillent par ailleurs sur des projets en R&D ou dans différentes activités de l'entreprise et que l'on sollicite pour exécuter nos formations auprès de nos clients. Donc ce sont des gens dont l'activité formation est une activité occasionnelle mais essentielle pour notre fonctionnement ».

Dans les spécialités de l’agroalimentaire, les formateurs de l’OF de la firme CIBUS sont aussi des salariés occupant divers postes en son sein, ce qui a facilité la régulation des emplois lorsque l’activité du centre a été mise à l’arrêt par les restrictions sanitaires. Comme l’indique Elise : « [...] en fait nos formateurs, ce sont nos conducteurs de lignes donc ils sont polyvalents, ils ont continué à travailler car du côté production on avait vraiment besoin d’eux, pendant le Covid, la demande de GMS [grandes et moyennes surfaces] a fortement augmenté [...] ils sont formateurs pour le CQP conducteur de ligne qu’ils ont suivi en général aussi et chaque année on leur propose des modules de pédagogie pour les renforcer. Pour eux, c'est déjà très valorisant pour les personnes d’être des formateurs, des tuteurs et les accompagnateurs des gens à former, ça permet de renforcer aussi leurs compétences ; on est très satisfaits ».

Encadré 5. Un exemple d’organisme d’entreprise basé sur la polyvalence de ses formateurs Le responsable de l’OF de la PME d’édition de logiciels pour magasins de sport décrit l’avantage que représente le fait de pouvoir mobiliser des formateurs en interne, disponibles et qualifiés pour répondre aux demandes de formation des clients : « [...] on ne fait pas appel à la sous-traitance pour réaliser nos formations. Ce sont des salariés de notre entreprise qui la font, deux personnes et en fonction des besoins, trois, ça nous donne de la souplesse, jusqu’à quatre quand c'est vraiment le coup de bourre. Il y a quatre ans, cinq ans quand ils ont commencé à se déployer vers les magasins de sport, là on était monté à quatre formateurs parce que c'était plus de 120 sites de vente à équiper et à former. Et une fois que c’était installé et tout ça s'est calmé c'est redescendu donc on est revenu à deux formateurs. Les personnes c'était déjà des gens qui étaient là, il y en a une qui était formatrice pendant deux ans, elle venait de notre support client de la hotline et elle est retournée à la hotline une fois que la vague était passée ». Conçu dès le départ comme un principe de base, les formateurs de cet OF sont tous polyvalents. Cela est la clé du fonctionnement de l’OF et de la flexibilité de son offre de formation. Comme pour l’OF SPICA, derrière la logique de vente des logiciels de la PME, il y a l’idée de rendre le client autonome. Une fois formés par l’OF, les salariés des magasins de sport, leurs clients, prennent le relai et organisent à leur tour en interne la formation aux logiciels de leurs autres collègues. Certes il y a toujours la demande de nouveaux clients mais pas suffisante pour alimenter de manière permanente la croissance de l’OF. Ce moindre besoin des clients pourrait signifier un redéploiement de ses formateurs vers d’autres activités au sein de l’entreprise. Rien d’inquiétant dans cette perspective puisqu’aucun entre eux ne verra son emploi supprimé. Le

responsable de l’OF confirme qu’il sera possible de les réintégrer grâce à leur polyvalence sur différentes tâches et leurs compétences dans divers domaines complémentaires « [...] c’est vrai que là franchement depuis trois, quatre ans, notre volume d’activité ça se réduit. On a deux personnes, au pire on les mettra au [fonction] support, on leur retrouvera un poste. On arrive à les réintégrer parce qu’ils ne font pas que ça, heureusement d’ailleurs. Ils ont un lien aussi avec les clients. Comme les clients les connaissent, des fois quand il y a des choses qui ne vont pas ou des demandes, le client dit "on aimerait bien un truc parce que ça le logiciel ne le fait pas mais ça serait bien si vous pouviez le faire" et des fois ça peut nous donner des idées. Et puis les clients du coup aiment bien parce que contrairement à des commerciaux les formateurs n’ont rien à leur vendre ; ce sont des formateurs qui vont au-delà du métier de formateur tel qu’on l’entend. Ils peuvent dépanner, comme ils les connaissent bien quand ils sont embêtés dans l’utilisation des logiciels. Mais c’est comme ça qu’on les voulait, on ne voulait pas juste des gens qui déboulent "bonjour on fait une formation…".

On a toujours été comme ça, on a gardé cette philosophie ».

Pour l’OF de la filiale productrice d’explosifs, ce sont aussi des salariés de l’entreprise, en général avec une ancienneté élevée, qui sont sollicités pour les apprentissages. Comme le confirme son directeur :

« [...] nos formateurs, ce sont principalement nos techniciens à nous, nous sommes tous des techniciens et des formateurs. Ça nous a permis de continuer un minimum d’activité durant le Covid au moins pour nos formations sécurité obligatoires [...] ».

Chez PANIFEX le réseau de meuniers et de boulangers, lorsque son OF a dû annuler les formations prévues à partir de mars 2020, les formateurs ont rejoint leur poste, notamment au sein du laboratoire d’analyse. Cette réaffectation a eu pour effet positif d’éviter aux formateurs permanents d’être mis en chômage partiel avec la baisse de revenus que cela implique. Comme l’évoque Adélaïde, la personne en charge du centre de formation : « [...] pour que le formateur ne soit pas en chômage partiel, puisque physiquement il n'avait pas d'élèves, il est allé travailler à notre laboratoire de panification ».

Dans le même secteur d’activité, l’OF du producteur de farines fait également appel à des professionnels de l’entreprise pour assurer ses formations. Sa directrice exprime sa satisfaction de disposer des personnes expérimentées spécialisées dans chaque domaine requis par les apprentissages, ce qui à ses yeux constitue le capital renommée du centre. Ces personnes travaillent le plus souvent dans l’entreprise mais peuvent être aussi d’anciens artisans boulangers. Cependant, elle ajoute que son souci est de mettre l’excellence des compétences des professionnels – certains sont stars d’émission TV – au service de projets réalistes, tous les formés n’ayant pas pour ambition de décrocher la cocarde du meilleur pâtissier de France. Elle fait partager ses convictions et évoque le bénéfice d’avoir des professionnels formateurs : « [...] nos formateurs sont essentiellement des professionnels ou en tout cas des gens qui sont dans la profession depuis des années. Par exemple en formation vente on a une ancienne boulangère ; qui mieux qu’une ancienne boulangère pour former les futures personnes à la vente ? Après on a un formateur qui a travaillé longtemps en tant que cadre commercial dans nos moulins, qui connaît bien les problématiques de la boulangerie, de la vente, des problématiques de mise en avant des produits, de commercialisation, on a aussi des formateurs qui sont des anciens boulangers installés. Au total, nous avons six formateurs internes, après il nous arrive de faire appel à des formateurs extérieurs qui sont connus dans la profession, des meilleurs ouvriers de France. Mais il faut faire attention à qui on fait venir parce qu’il y a des gens qui sont un peu déconnectés de la réalité, quand on a un col bleu, blanc, rouge, ça donne des ailes. Si vous apprenez à faire à des boulangers lambda qui sont dans des petits villages ou dans des villes moyennes des produits où le coût de revient du produit va être à 4,50 € et donc pour gagner sa vie il doit faire un coefficient de 3 et donc il va vendre 12 € une pâtisserie, on arrête ; c’est invendable. Donc nous on cherche des formateurs qui se mettent à la place des boulangers, souvent qui ont des boutiques qui connaissent la problématique terrain et qui font du beau, du bon et du vendable ».

Enfin, pour l’OF de la multinationale de gestion des ressources, les effectifs de plus de cent mille personnes que la firme emploie constituent un vivier quasi inépuisable de formateurs, en mesure de transmettre des savoirs professionnels pointus. Par ailleurs, l’OF n’a pas eu à engager de grands investissements pour ses installations. Il accède à celles de la firme pour organiser les plateaux

techniques nécessaires à la partie pratique de ses formations. Isabelle, la responsable d’un des campus, souligne que faire appel aux salariés de la firme pour assurer les formations peut avoir aussi un avantage en termes de politique de RH. Recherché par les salariés, devenir formateur peut être une chance pour certains d’entre eux d’avoir un contenu de travail plus intéressant. Pour d’autres, la perspective de devenir formateur peut venir dynamiser des fins de carrière somnolentes : « [...] j'en ai quelques-uns, ceux qui sont presque à la retraite, qui végètent et qui à la fin me disent "Isabelle, je veux faire ça, formateur" ; j'aime bien ce profil moi. C'est très positif et la personne sait pourquoi elle vient sur notre campus ; et puis généralement c'est VEGA qui n'a pas voulu les mettre là, il y a quelqu'un on m'a dit "tu ne vas pas l'embaucher, lui il est tout timide" ; le monsieur était tout timide en effet, mais il était très bien, ça s'est super bien passé, pointu techniquement, très bien. Je pense que c'est là où il faut tabler : avoir un pool des formateurs ».

Comparée à la situation de ces professionnels d’entreprise formateurs, celle des formateurs professionnels d’autres OF privés a peut-être été moins favorable lors de la crise sanitaire. En effet, ces derniers n’ont pas bénéficié de cette sécurité de pouvoir réintégrer une entité à salaire constant. Grâce à la polyvalence entre activités, elle a pu être une réalité pour les formateurs de ces OF d’entreprise.

La pandémie aura-t-elle été le moment pour ces formateurs professionnels d’entreprise de prendre leur revanche ? Moins reconnus en tant que pédagogue ou évaluateur que leurs homologues exerçant le métier à part entière, les événements de 2020 auront peut-être eu pour effet de remettre en cause les préjugés (Frétigné, 2019), et de redistribuer les cartes pour une plus grande parité d’estime entre ces deux catégories de formateurs.

Être lié à une entreprise a été, pour ces OF, un facteur de protection de leurs emplois. Cela a été aussi l’instrument de leur perdurance lors de la crise sanitaire et au-delà.