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CHAPITRE VII DISCUSSION GÉNÉRALE

7.3 Force musculaire et paralysie cérébrale

La force musculaire est un facteur fréquemment étudié chez les enfants ayant une PC. Cependant, les résultats sont très variables d’une étude à l’autre concernant l’association des capacités de marche et de la force des différents groupes musculaires. Ce manque de consensus sera discuté en considérant l’hétérogénéité du niveau de force musculaire et des patrons de marche des participants.

7.3.1 Effet de la force musculaire sur la distance parcourue

Plusieurs études ont établi des relations entre la force musculaire et différentes capacités de marche chez des enfants ayant une PC, à savoir la vitesse de marche (Dallmeijer et al., 2017), la distance de marche (Ferland et al., 2012 ; Gillett et al., 2018) ou le GMFM (Eek et Beckung, 2008 ; Ross et Engsberg, 2007). Cependant la variabilité au niveau de la sélection des participants ainsi que des paramètres sélectionnés pour représenter les capacités de marche n’a pas permis d’identifier un groupe musculaire spécifique ayant un impact déterminant sur les capacités de marche. L’utilisation d’un indice global de force musculaire par Pouliot-Laforte et al. (2020) a mis en évidence des relations entre la force globale des membres inférieurs et différentes capacités de marche, incluant la vitesse et l’efficience de la marche. Cependant, ces relations n’ont été observées que dans le sous-groupe constitué des participants ayant les valeurs de force les plus faibles (Pouliot-Laforte et al., 2020). Ces résultats suggèrent un effet plafond du niveau de force sur les capacités de marche et soulignent l’intérêt d’inclure des enfants moins fonctionnels qui présentent un faible niveau de force dans les analyses mettant en relation la force musculaire et les capacités de marche.

Parmi les différents paramètres représentant les capacités de marche, la distance parcourue lors d’un exercice continu de marche de 6 minutes est représentative des déplacements quotidiens (Graham et al., 2004). La force musculaire isométrique des fléchisseurs de la hanche et des fléchisseurs plantaires ainsi que la force concentrique des fléchisseurs plantaires ont été associées à la distance parcourue par des adultes et des enfants ayant une PC et un niveau fonctionnel élevé (Ferland et al., 2012 ; Gillett et al., 2018). Dans un groupe d’enfants ayant majoritairement un faible niveau fonctionnel et une atteinte bilatérale, cette relation n’a pas été démontrée (Maanum et al., 2010). Cette absence de relation pourrait également être liée à l’utilisation du bilan

musculaire manuel plutôt qu’un dynamomètre portable dans l’étude de Maanum et al. (2010).

Dans l’étude 1 de la présente thèse, la force musculaire n’a pas été corrélée avec la distance de marche et n’a pas été retenue dans le modèle de régression linéaire multiple pour expliquer la variance de ce paramètre. D’autres modèles de régression pourraient être pertinents à évaluer puisque la relation entre la distance de marche et la force musculaire n’est peut-être pas linéaire. En effet, une étude récente a associé la force musculaire à l’efficience à la marche uniquement chez les enfants présentant une faible efficience à la marche (Kimoto et al., 2019). De tels résultats suggèrent qu’une relation non-linéaire est possible entre la force musculaire et les capacités de marche. Pouliot- Laforte et al. (2020) ont également mis en évidence une relation logarithmique entre la force musculaire et les capacités de marche, c’est-à-dire les vitesses de marche confortable, rapide et d’endurance ainsi que l’efficience à la marche. Entre 24% et 34% de la variance des capacités de marche était expliqué par un indice de force musculaire global (Pouliot-Laforte et al., 2020). Cet indice global de la force musculaire des membres inférieurs a été utilisé puisque la littérature n’a jusqu’à maintenant identifié que de faibles relations entre les capacités de marche et la force de groupes musculaires spécifiques (Dallmeijer et al., 2017 ; Eek et Beckung, 2008 ; Ferland et al., 2012). Ainsi, l’utilisation d’une relation non-linéaire entre la distance de marche et d’un indice global de force musculaire des membres inférieurs serait à considérer dans de futures études.

Comme aucun patron de marche n’avait été spécifiquement visé dans cette étude, l’hypothèse de travail a été de considérer que l’importance de la force ou de l’endurance d’un groupe musculaire sur les capacités de marche dépend du patron de marche de l’enfant. La force musculaire correspond à la quantité de force générée lors d’une contraction musculaire (NCBI MeSH, 2021). L’endurance musculaire correspond à la capacité à maintenir cet effort durant une tâche fonctionnelle (Eken et al., 2014). La

variabilité de la cinématique de la marche dans les groupes des participants inclus dans les différentes études peut avoir influencé les résultats concernant les relations entre la force musculaire et les capacités de marche. Il s’avère donc pertinent d’évaluer ces relations avec des patrons de marche spécifiques, tel que décrits chez les enfants ayant une PC (Rodda et al., 2004 ; Sutherland et Davids, 1993).

7.3.2 Effet de la force musculaire sur les changements cinématiques de marche La cinématique des membres inférieurs présente une grande variabilité chez les enfants ayant une PC. Plusieurs patrons de marche ont été identifiés à partir de la cinématique des membres inférieurs, chacun d’eux sous-tendent une biomécanique de la marche particulière (Rodda et al., 2004). Les muscles utilisés et la force musculaire requise pour se propulser vers l’avant et maintenir l’équilibre seront différents en fonction de la cinématique et du patron de marche (Correa et al., 2012 ; Steele et al., 2010, 2012). Après un exercice de marche continue, ces différences au niveau du travail musculaire entraîneront des changements spécifiques au patron de marche.

Les changements au niveau de la cinématique à la fin d’un exercice de 6 minutes de marche ont été liés à la force musculaire dans la présente thèse (Études 2 et 3). Chez les enfants ayant un patron de marche «crouch gait», une faiblesse des extenseurs de hanche était liée à l’augmentation de la flexion du genou mesurée à la 6e minute (Étude 2). Chez les enfants ayant un patron de marche «jump gait», cette flexion était liée à une faiblesse des extenseurs de genou, c’est-à-dire des quadriceps (Étude 3).

Dans le cas du patron de marche «crouch gait», une faiblesse des extenseurs du genou nuirait à la capacité à maintenir une position debout puisque la position accroupie exige un travail musculaire élevé au niveau de ce groupe musculaire (Steele et al., 2012). Le couple FP/EG est absent, et ne contribue pas à générer une extension du genou durant la phase d’appui (Brunner et Rutz, 2013). Ainsi, la flexion est maintenue tout au long du cycle, et elle est augmentée après une marche continue de 6 minutes (Étude 2). La

détérioration de la cinématique du patron de marche «crouch gait» a été mise en relation avec la faiblesse au niveau des extenseurs de hanche (Étude 2). Dans deux études de simulation, le grand fessier a été identifié comme principal contributeur à la génération de l’extension de la hanche, et indirectement du genou, chez les enfants ayant un patron de marche «crouch gait» (Arnold et al., 2005 ; Steele et al., 2010). Ainsi, les enfants ayant cette démarche et une faiblesse plus importante au niveau des extenseurs de hanche seraient plus sensibles à une augmentation de la flexion des hanches et des genoux après un exercice de marche continue de 6 minutes (Étude 2).

Contrairement au patron de marche «crouch gait», l’extension du genou retrouvée dans le patron de marche «jump gait» durant la phase de simple appui est possible en partie grâce à un couple FP/EG actif (Brunner et Rutz, 2013 ; Sangeux et al., 2015). La mise en place de ce couple permet de générer une extension du genou, sans solliciter le travail des quadriceps. Ainsi, une faiblesse au niveau des extenseurs de genou (Étude 3) n’empêcherait pas la génération d’une extension durant la phase de simple appui, mais aurait une influence sur la flexion maximale du genou lors de l’absorption en début de cycle, avant la mise en place du couple FP/EG. Chez des enfants ayant une PC et principalement de niveau GMFCS I-II, une endurance réduite au niveau des extenseurs du genou a été identifiée comme facteur explicatif des capacités de marche (Eken et al., 2016). En effet, une plus petite distance était parcourue durant le 6MWT lorsque l’endurance des extenseurs du genou, mesurée par des répétitions de contractions isotoniques, était réduite (Eken et al., 2016). Ainsi, une meilleure endurance des extenseurs du genou pourrait favoriser le parcours d’une plus grande distance durant un exercice de marche continue, en particulier chez des enfants ayant un patron de marche «jump gait» pour lesquels la faiblesse de ce groupe musculaire a été liée à la détérioration de la cinématique à la fin de l’exercice (Étude 3). Une meilleure endurance des extenseurs de genou permettrait également l’apparition d’une moins grande fatigue durant les activités de la vie quotidienne (Eken et al., 2016).