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Il n’est pas forcément plus avantageux d’automatiser une tâche, même d’un point

Dans le document Donner un sens à l'intelligence artificielle (Page 104-107)

évidemment en compte, tels que l’état des technologies, mais également l’acceptabilité sociale de l’automatisation ou encore le coût global de celle-ci – il n’est pas forcément plus avantageux d’automatiser une tâche, même d’un point de vue purement économique. De plus, ces critères évoluent : la partition entre la machine non-créative et l’humain créatif est de plus en plus remis en cause par exemple, ce qui rend difficile d’attribuer les domaines partagés. Aucun métier ne peut imaginer être à l’abri de modifications du fait de ces critères.

Néanmoins ces critères brossent à grand trait les goulots d’étranglement de l’automatisation et permettent de se faire une idée des compétences et des capacités à développer. Quelles sont-elles ?

Schématiquement, elles sont au nombre de quatre :

– les capacités cognitives transversales (compréhension du langage et des nombres, capacité de résolution de problèmes…) ;

– les capacités créatives ;

– les compétences sociales et situationnelles (travail en équipe, autonomie…) ;

– les capacités de précision relatives à la perception et à la manipulation, qu’il ne faut pas négliger, telles que la dextérité manuelle, par exemple. Ces compétences ne sont évidemment pas distribuées de manière égale parmi la population active. L’automatisation, si elle peut toucher l’ensemble des métiers et même des métiers très qualifiés qui ne font pas appel à ces compétences transversales, aura davantage de conséquences pour les personnes les moins qualifiées. Pour le COE, les emplois les plus exposés qui sont proportionnellement les plus représentés par rapport à leur part dans l’emploi salarié total sont le plus souvent des métiers manuels et peu qualifiés, notamment de l’industrie, tels que les ouvriers non qualifiés des industries de process, les ouvriers non qualifiés de la manutention, les ouvriers non qualifiés du second œuvre du bâtiment, les agents d’entretien, les ouvriers non qualifiés de la mécanique, les caissiers…

Décomposition des emplois les plus « exposés » : les métiers les plus importants en volume (dans l’hypothèse

d’un indice d’automatisation d’au moins 0,7)

Nombre d’emplois exposés  % emplois exposés

Agents d’entretien 32 0215 21,05 %

Ouvriers qualifiés des industries de process

95 545 6,28 %

Ouvriers non qualifiés

de la manutention 85 965 5,65 %

Ouvrier non qualifiés des industries de process

83 304 5,48 %

Aides à domicile

Nombre d’emplois exposés  % emplois exposés Cuisiniers 70 306 4,62 % Ouvriers qualifiés de la manutention 62 047 4,08 % Maraîchers, jardiniers, viticulteurs 49 875 3,28 % Conducteurs de véhicules 48 786 3,21 % Ouvriers qualifiés du gros œuvre en bâtiment 48 455 3,19 %

Ouvriers non qualifiés du gros œuvre du bâtiment, des travaux publics, du béton et de l’extraction 46 517 3,06 % Employés et agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration 44 362 2,92 % Employés de maison 43 880 2,89 % Caissiers, employés de services divers 43 770 2,88 % Ouvriers qualifiés du second œuvre du bâtiment 37 156 2,44 %

Ouvrier non qualifié du second œuvre du bâtiment 34 226 2,25 % Ouvriers qualifiés de la mécanique 32 899 2,16 % Agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons 31 985 2,10 %

Ouvriers non qualifiés

de la mécanique 31 732 2,09 %

Autres 20 2628 13,32 %

Source : COE Cette transformation pourrait également toucher directement les métiers peu qualifiés et intermédiaires des services : ainsi les « cols blancs » sont également largement concernés. Un certain nombre d’études soutiennent que l’automatisation va conduire à renforcer la polarisation du marché du travail. Dans son article intitulé Schumpeter et les robots : le cas de la France, Patrick Artus défend ainsi, en s’appuyant sur la recherche économique récente3, la thèse de la bipolarisation du marché du travail : l’automatisation conduirait à ce que soient créés principalement des emplois très qualifiés, d’un côté, et des emplois dans les services domestiques peu sophistiqués, de l’autre. Cette thèse fait néanmoins débat – le COE la nuance largement, au profit d’une polarisation centrée uniquement sur les emplois les plus qualifiés. La

3. Il est généralement confirmé que la robotisation, comme nous venons de le décrire, conduit à la polarisation du marché du travail. (Autor-Lévy-Murname [2003] ; Goos-Manning [2007] ; Michaels, Natras, Van Reenen [2014] ; Autor-Dorn [2013]). Mais d’autres travaux suggèrent qu’au total la robotisation détruit des emplois (Ford [2015] ; World Bank [2016] ; Arntz-Gregory- Zierahn [2016] ; Acemoglu-Restrero [2017] ; Graetz-Michaels [2015])

question de savoir quels sont les nouveaux emplois que va permettre de créer l’intelligence artificielle (de manière directe ou indirecte) fait également l’objet d’incertitudes.

En effet, les conséquences macro-économiques de l’automatisation sur la distribution des emplois et la répartition du travail seront déterminées en partie par les objectifs fixés collectivement et par les moyens qui seront mis en place pour atteindre ces objectifs. Penser la complémentarité poursuit cette ambition de tracer un horizon pour les modifications du travail face à l’automatisation. Ainsi, plutôt que d’émettre des prédictions spécifiques sur des métiers encore à inventer, il s’agit davantage de partir de ce que nous savons – une grande majorité des métiers seront transformés et plus particulièrement les métiers peu qualifiés – pour guider ces transformations. Désautomatiser l’humain

Guider ces transformations ne signifie donc pas seulement adapter la main-d’œuvre aux nouveaux emplois qui se créeront, complémentaires avec la machine. A priori, la très grande majorité des emplois qui verront le jour comporteront la nécessité de travailler avec une machine, qu’ils soient très qualifiés ou non, créatifs ou non. Il faut donc bien plutôt se fixer des objectifs quant à cette complémentarité.

Des objectifs généraux vis-à-vis de la structure du marché du travail d’abord : éviter la surpolarisation du marché du travail et l’explosion des inégalités pourrait être le premier de ces objectifs. Des objectifs relatifs aux modes de travail avec les machines

ensuite : qu’est-ce qu’en effet être complémentaire avec la machine ? Cela peut prendre plusieurs formes. Elles ne sont pas toutes

souhaitables : obéir aux ordres d’une intelligence artificielle, perdre le contrôle sur les processus, déléguer les décisions à la machine sont autant de modes de complémentarité, qui, au niveau individuel et collectif, seront susceptibles de créer de la souffrance au travail. Il faut donc arriver à affirmer que toute complémentarité n’est pas souhaitable et qu’une forme de complémentarité capacitante doit être donc développée.

Au fond, s’il s’agit de développer massivement les compétences humaines complémentaires de l’intelligence artificielle, il faut affirmer que certains modes de complémentarité détruisent les capacités humaines et qu’il nous revient collectivement de créer les conditions du développement d’une complémentarité permettant de développer les capacités humaines. En effet l’automatisation des tâches et des métiers peut constituer une chance historique de désautomatisation du travail humain : elle permet de développer des capacités proprement humaines (créativité, dextérité manuelle, pensée abstraite, résolution de problèmes). Nous devons nous saisir de l’intelligence artificielle pour développer les capacités de chacun, nous en avons la possibilité.

L’automatisation des tâches et des métiers

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