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Anticiper les impacts sur l’emploi et expérimenter

Dans le document Donner un sens à l'intelligence artificielle (Page 109-113)

Créer un lab public de la transformation du travail

C’est la première nécessité : s’assurer que la capacité d’anticipation soit pérenne, continue et surtout articulée avec des politiques publiques. On assiste aujourd’hui à un décalage majeur entre d’un côté les études prospectives, publiées à intervalles plus ou moins régulier par des institutions publiques ou privées dont c’est la fonction, et de l’autre, le fonctionnement quotidien des politiques publiques du travail, de l’emploi et de la formation. Ce décalage est tout à fait préjudiciable : la parution des études occasionne des débats collectifs qui sont souvent passionnants, mais sans véritable conséquence, tandis que les politiques publiques concrètes, qui affrontent la nécessité de gérer le quotidien et la complexité de leurs canaux d’exécution, ne sont modifiées qu’à la marge et peinent à prendre véritablement en compte les résultats des exercices prospectifs qui sont menés. Cette question est en vérité transversale à l’ensemble des fonctions de l’État : comment articuler la nécessité de penser les transformations souvent radicales, à venir, et celle d’assurer le fonctionnement de l’ensemble des services publics au jour le jour ? Mais elle se pose avec davantage d’acuité dans certains secteurs et celui des politiques de l’emploi et de la formation en est un. En effet les transformations peuvent être extrêmement rapides et les circuits des politiques publiques sont tout aussi complexes et difficiles à manœuvrer. La formation professionnelle, à elle toute seule par exemple, représente 32 milliards d’euros par an, avec une multitude de canaux de financement et une myriade d’acteurs différents. Il est donc nécessaire de constituer un espace où les capacités prospectives, de prévisions macro-économiques et d’analyse des mutations des usages puissent être mises en lien avec des capacités d’expérimentation concrètes et articulées avec des actions à destination de certaines catégories de travail-leurs. Une structure pérenne pourrait donc être installée, qui aurait un rôle de « tête chercheuse » à l’intérieur des politiques publiques de l’emploi et de la formation professionnelle. Un lien étroit devra être maintenu avec les observatoires de branche.

Les missions

Cette structure pourrait avoir plusieurs missions : Un rôle de prospective

Un rôle traditionnel de prospective visant à la production d’études annuelles sur l’automatisation des tâches, les métiers les plus touchés, les nouveaux emplois… Chaque année, des indicateurs liés à l’automatisation des métiers (critères d’automatisation, métiers les plus directement concernés par une potentielle automatisation) pourraient être mis à jour. La réflexion que propo-sera cette structure a vocation à être interdisciplinaire. Un rôle plus spécifi-quement dédié à l’animation d’une réflexion et à la production d’analyses

concernant les modalités de complémentarité entre l’humain et la machine et les nouvelles compétences qui sont rendues nécessaires. Cette réflexion devra concerner l’ensemble des métiers, notamment pour permettre une bonne prise en compte des compétences transversales. Un rôle d’expé-rimentation ensuite. Ces expéd’expé-rimentations doivent d’abord répondre à un défi principal : l’accompagnement des transitions professionnelles des personnes en emploi. S’il est évident que l’ensemble des dispositifs relevant de la formation professionnelle (et même initiale) poursuit cet objectif, une place doit tout de même être réservée à l’expérimentation. En effet, les chocs technologiques vont toucher certaines professions, certains secteurs et certains territoires plus fortement que d’autres. Il est nécessaire que, dans une logique de prévention, des expérimentations soient menées pour tester des dispositifs de transition, à destination de ces emplois et de ces territoires. Le lab pourrait donc mettre en place des modifications ciblées de dispositifs nationaux existants (CPF, CEP…), mais également émettre des appels à projets et soutenir des expérimentations locales et nationales. Ces expérimentations pourraient également trouver à s’appliquer à une réflexion plus profonde sur la réinvention des modèles de création et de distribution de valeur à l’heure de l’automatisation. Elles seraient évidemment guidées par – et nourriraient en retour – les travaux théoriques de la structure.

Un rôle d’animation du débat

Un rôle d’animation de réflexions ouvertes, au niveau national et international, sur la mutation du travail à l’heure de l’automatisation. Ce rôle doit s’incarner, au-delà de l’aspect théorique, via l’instauration et/ou la mise en réseau de lieux de réflexion vivants sur l’avenir du travail, qui prennent la forme de laboratoires des nouveaux métiers et des usages de demain.

S’inspirer : plateforme Arbeitviernull en Allemagne

À l’occasion d’un congrès intitulé « Travail 4.0 » et organisé le 22 avril 2015 à Berlin, la ministre du Travail et des Affaires sociales (Andrea Nahles) a dévoilé un « Livre vert sur le Travail 4.0 » qui présente les principaux défis et questions soulevées par la révolution numérique en cours. Ce document vise à servir de support à un autre débat sur l’avenir du monde du travail avec tous les acteurs concernés (décideurs économiques, politiques et sociaux, experts, citoyens). Un site internet (www.arbeitenviernull.de) sert notamment de plateforme pour un dialogue large et ouvert avec toutes les parties prenantes.

Constitution de cette structure

Pour son bon fonctionnement, il semble nécessaire que cette structure mène une réflexion interbranches et fonctionne de manière tripartite (État, syndicats, collectivités), en intégrant également des capacités de prospec-tive issues du monde universitaire ou d’institutions publiques spécialisées. Le lien avec les experts techniques sera crucial pour assurer la réussite de ses missions. L’inscription de cette structure dans les débats internationaux, via la nomination d’experts étrangers par exemple, ou via l’inscription dans un réseau mondial de réflexion, pourra être encouragée.

Expérimentations et financement

Le rôle d’expérimentation paraît être au cœur de la mission de cette struc-ture, ce qui justifie d’ailleurs son titre de lab. Les champs d’expérimentation sont larges.

Les nouvelles modalités d’apprentissage

Les expérimentations pourront concerner les nouvelles modalités d’appren-tissage et la manière de structurer une offre de formation professionnelle qui corresponde aux besoins difficiles à couvrir parce qu’ils ne relèvent pas directement de compétences métiers : créativité, transversalité, compétences cognitives générales… En ce sens cette structure devra avoir un rôle de financement d’appels à projets à destination de l’écosystème de la formation professionnelle et initiale. Elle pourrait également favoriser l’émergence de preuves de concepts (proofs of concepts – POC) et de démonstrateurs, adaptés à des transitions professionnelles déterminées, en lien avec les labs des métiers de demain (cf. plus loin).

S’inspirer : les coding boot camps d’Israël

En Israël, le Gouvernement a créé un programme de « coding boot camps », mis en œuvre par l’autorité de l’innovation. Ce programme a avant tout pour objectif d’encourager les initiatives privées visant la formation professionnelle des seniors, des minorités ou le changement d’orientation vers les métiers du secteur high tech, en particulier dans le domaine de la programmation informatique. En Israël, le service national joue également un rôle important en favorisant les rencontres, les logiques d’écosystème et le travail sur des projets définis, au service de la nation.

Enfin, des expérimentations visant à favoriser les liens entre formation initiale et continue pourraient être lancées : ainsi une clause de rappel pourrait être instituée, qui inciterait certaines formations initiales, identifiées comme formant à des compétences automatisables à un horizon proche, de reprendre contact avec leurs anciens étudiants au bout d’un certain nombre d’années afin de leur proposer des modules d’évolution de leurs compétences.

Cibler certains dispositifs sur les emplois à plus haut risque d’automatisation La démarche expérimentale pourra servir à amorcer des logiques différentes de celles qui sont actuellement en vigueur dans la formation professionnelle. Les dispositifs actuels sont largement « à la main » des salariés, dans une logique de responsabilisation individuelle. Au vu du caractère potentiellement très rapide, voire exponentiel de ces transformations, il semble difficile, pour les dispositifs généraux existants, de répondre à l’ensemble des situations et de permettre à la fois la prise en compte des besoins de l’ensemble de la population et la nécessité d’agir de manière ciblée et urgente. De plus, face à la transformation de leur emploi, les individus ne sont pas égaux dans la capacité de s’adapter et de construire des parcours professionnels. À cet égard, des expérimentations pourraient être menées afin de construire des dispositifs qui ciblent certaines populations d’individus, dont les emplois

sont considérés comme étant le plus à risque d’automatisation et pour qui il sera complexe d’amorcer seules leur transition professionnelle. Il s’agit donc de rompre, en partie, avec la seule logique de responsabilisation de l’individu concernant sa propre transition professionnelle. Ainsi une expérimentation pourrait être menée pour transformer le conseil en évolution professionnelle (CEP) ou encore pour imaginer un congé individuel de formation nouvelle manière.

Exemples d’expérimentations

Le CEP : les ressources du conseil en évolution professionnelle (CEP) pourraient cibler de manière proactive les individus exerçant ces métiers, sans attendre qu’ils fassent eux-mêmes la démarche. Aujourd’hui le CEP, qui est un dispo-sitif d’accompagnement gratuit et personnalisé proposé à toute personne souhaitant faire le point sur sa situation professionnelle, est largement sous-utilisé. Il constitue pourtant un élément essentiel de la réforme de la formation professionnelle. En effet le bon fonctionnement des mécanismes d’individualisation des choix de formation, via le compte personnel de forma-tion, repose sur la capacité des individus à déterminer des choix pertinents de formation. Dans le cadre de ces expérimentations sur les métiers à risque d’automatisation, les structures porteuses du CEP (Pôle Emploi, Mission locale, OPACIF) pourraient être élargies à d’autres acteurs, dans une logique de réseau. Ainsi une communauté d’experts accompagnateurs (bénévoles, professionnels du secteur…) pourrait être instituée ainsi que la constitution de plateformes de discussion et de partage d’expérience plus souple ; Le CIF : le congé individuel de formation, qui permet à un salarié de se former sur des périodes longues via un financement de l’OPACIF, voit son existence faire l’objet de débat dans la mesure où il semble pouvoir faire doublon avec le CPF. Ce dispositif pourrait être maintenu, mais transformé pour devenir un outil favorisant les conversions professionnelles importantes. Le CIF deviendrait ainsi un congé de conversion professionnel, destiné à une liste de métiers identifiés comme à risque ;

L’abondement de points CPF : parmi les expérimentations pourrait figurer l’abondement de points dans le compte personnel de formation ;

Des EDEC (Engagements de Développement de l’Emploi et des Compétences) pourraient être financés par cette structure à destination d’entreprises ou même de territoires identifiés ;

S’inspirer : la job rotation au Danemark

La job rotation implique les entreprises, les salariés et les chômeurs. Ces derniers, préalablement formés, viennent occuper temporairement le poste du collaborateur, tandis que celui-ci effectue une formation de longue durée. Ce choix garantit de laisser le poste non vacant, tout en offrant au demandeur d’emploi une expérience professionnelle qu’il pourra ensuite présenter sur son CV. L’opération fonctionne. Selon les chiffres diffusés, cette méthode permet à 6 chômeurs sur 10 participants à cette opération de retrouver un emploi.

Des expérimentations sur les territoires

Enfin ces expérimentations pourront également financer des initiatives sur des territoires spécifiques, qui tentent par exemple d’inventer de nouveaux modèles pour faire face à l’automatisation des métiers. Le débat sur le revenu de base, prôné par différents acteurs aux visions politiques divergentes – si ce n’est contradictoires –, ou encore le débat lié aux communs et aux modes contributifs de création de valeur pourraient ainsi tirer profit de la mise en place d’expérimentations concrètes. Plusieurs expérimentations commencent à voir le jour

sur les territoires, visant à mettre en œuvre des modèles de transition des emplois et des métiers : la région Aquitaine a annoncé

vouloir expérimenter un revenu de base, les territoires zéro chômage visent l’embauche en CDI, financés par des subventions, des chômeurs de longue durée, l’intercommunalité Plaine Commune a lancé un projet de revenu contributif sur son territoire… Une telle structure pourrait financer et/ou soutenir d’autres expérimentations de ce type et organiser la mise en commun publique des retours d’expérience.

Créer, sur le territoire, des labs des métiers de demain

Des labs pourraient être créés, au niveau local, afin de servir de déclinaison physique et territoriale de la structure générale. Ils devront servir à créer des lieux ouverts permettant à chacun d’envisager les évolutions de leurs métiers et d’y réfléchir collectivement. Les salariés, les apprentis et les étudiants pourront choisir de venir s’y former par la recherche, l’expérimentation, le tâtonnement, le partage d’approches novatrices, l’échange de pratiques développées en France ou à l’étranger. Ces laboratoires des métiers de demain pourraient être des lieux de formation par la recherche et de valorisation des tuteurs d’apprentissage, pour en faire de véritables acteurs de la formation professionnelle. Ils devront permettre aux acteurs de l’emploi d’accélérer leur propre transformation.

Ces labs pourraient être spécialisés sur un ou plusieurs métiers en particulier, suivant la structuration du bassin d’emplois de leurs territoires d’implantation. Cette recommandation emprunte au rapport sur la société apprenante, piloté par François Taddéi.

S’inspirer : l’Edfab de Cap Digital

Cap Digital considère qu’il est absolument primordial d’apporter une atten-tion particulière au développement du capital humain, des compétences et des talents, pour réussir la transition digitale des entreprises et des organi-sations. L’initiative « Edfab » répond à cette ambition. C’est un nouveau lieu consacré aux innovations dans le domaine de la formation, l’éducation et la transformation des métiers, installé dans la Maison des Sciences de l’Homme à Saint-Denis. Les activités d’Edfab sont structurées autour de quatre grands objectifs : S’informer, Se rencontrer, Apprendre, et Expérimenter. EdFab propose en particulier des actions d’acculturation à la donnée et à

Des labs pourraient être créés, au niveau

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