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A. Caractéristiques du conte merveilleux

3. Fonctions du conte merveilleux

a) Perrault / Grimm : des objectifs très différents

En restituant les contes du folklore populaire, Charles Perrault (1628 -1703) et les frères Grimm (1785-1863 et 1786-1859) avaient des objectifs différents. Perrault

32 TATAR, Maria, « Des monstres et des magies », in Il était une fois… les contes de fées, 2001, p. 499.

33 MOUREY, Lilyane, Introduction aux contes de Grimm et de Perrault, 1978, p. 7.

34 ZIPES, Jack, Les contes de fées et l’art de la subversion, 2007, p. 288.

35 VELAY-VALLANTIN, Catherine, « Le conte de fées : une invention française », in Il était une fois… les contes de fées, 2001, p.29.

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a été fortement influencé par son idéologie personnelle et la classe sociale à laquelle il appartenait, alors que les frères Grimm ont entrepris de sauver de l’oubli ce qu’ils considéraient comme la mémoire du peuple allemand.

Perrault considère les contes comme un divertissement. Parmi la multitude de contes populaires qui existaient à l’époque et dont il connaissait sûrement une grande partie, il n’en a choisi que onze, ceux qui lui plaisaient le plus36.

Charles Perrault se sert des contes pour exprimer ses idées personnelles sur la société et transmettre ses principes moralisateurs. Il a par exemple le plus souvent choisi des contes mettant en scène des femmes, afin de faire valoir son opinion personnelle à l’égard de la femme et des vertus qu’il lui semblait bon de la voir incarner dans la vie sociale.

De plus, il réécrit les contes populaires en les adaptant à son milieu social, produisant notamment des contes en vers, écrits dans un langage précieux, et il prend pour référence le monde dans lequel il vit : la haute bourgeoisie. En effet, la plupart de ses héroïnes sont des princesses ou des jeunes filles d’origine bourgeoise. Perrault méprise le peuple, et lorsque celui-ci apparaît dans ses contes, il est souvent source de moqueries de la part de l’auteur et les gens du peuple sont représentés comme des pauvres d’esprit.

Pour les frères Grimm en revanche, l’objectif de la collecte des contes est tout autre. A cette époque, l’Allemagne est un territoire morcelé, comptant plus de 300 royaumes et ayant souffert des conquêtes napoléoniennes. En recueillant les contes populaires, Jacob et Wilhelm Grimm espèrent réussir à restituer le folklore germanique afin d’amener le peuple allemand à réaliser qu’il a un héritage commun.

Ils voient dans les contes les vestiges d’anciennes légendes germaniques. Il n’est pas difficile en effet d’effectuer un rapprochement entre la Belle au Bois Dormant et la walkyrie Brunhilde des légendes scandinaves37.

36 MOUREY, Lilyane, op.cit., 1978, p. 27.

37 Ibid., p.41.

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Contrairement à Perrault, les frères Grimm souhaitent publier un catalogue complet de contes populaires, en fournissant un travail sérieux et documenté scientifiquement. Là où Perrault avait effacé toutes traces populaires jugées indécentes et inappropriées pour un public bourgeois, les frères Grimm essayent de rester au plus proche de cet esprit populaire du conte, que ce soit dans la structure, le langage ou les motifs du récit. Ils ne souhaitent surtout pas s’impliquer dans le récit et tentent de rester le plus neutres possible, faisant preuve d’un respect scrupuleux envers la matière populaire.

Néanmoins, bien que les frères Grimm et Perrault n’aient pas été guidés par la même intention en consignant les contes populaires par écrit, leurs contes possèdent des fonctions communes.

b) La fonction éducative du conte

La principale fonction du conte merveilleux est sa fonction éducative. En effet, le conte merveilleux est un récit initiatique mettant en scène les difficultés et les angoisses de l’homme face à la nature et à la société. Il a pour but de fournir des éléments de réponse aux questionnements des adultes sur leur condition et de préparer les enfants et les adolescents à la vie adulte.

Dans la plupart des cas, l’intrigue du conte merveilleux amène le héros à quitter sa famille au début du récit, pour vivre de nombreuses aventures très éprouvantes, puis il finit par fonder sa propre famille, symbole de l’accomplissement total de sa personnalité.

On sait que Perrault participait activement à l’éducation de ses enfants38, et l’ajout d’une morale à la fin des contes populaires qu’il a retranscrits témoigne clairement de leur visée éducative.

Perrault voit dans les contes l’occasion de fournir un modèle de conduite et de bienséance pour les enfants des classes favorisées. Par le biais des contes, il souhaite

38 ZIPES, Jack, Les contes de fées et l’art de la subversion, 1997, p. 33.

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les préparer à assumer plus tard leur rôle dans la société39. Toutefois, Perrault, en énonçant des principes et des valeurs morales assez strictes, est « très sincère dans ses intentions d’améliorer les esprits et les conduites des jeunes enfants »40.

Pour les frères Grimm, la fonction pédagogique du conte est inhérente à sa nature41, et ils considèrent que la sagesse présente dans les contes a été transmise par Dieu lui-même. C’est pourquoi ils n’interviennent pas du tout sur la portée éducative des contes dans leur première édition. Ils écrivent en effet dans la préface de leur première édition :

[…], wenn es sich so leicht aus diesen Märchen eine gute Lehre, eine Anwendung für die Gegenwart ergiebt ; es war weder ihr Zweck, noch sind sie darum erfunden, aber es erwächst daraus, […]42.

Jacob et Wilhelm Grimm prennent conscience du grand potentiel pédagogique des contes après la publication de leur premier recueil, et ils décident d’accentuer cette dimension initiatique dans leurs publications ultérieures.

En outre, le conte ne se contente pas seulement d’éduquer l’enfant en lui présentant des modèles de comportements dont il est conscient, mais il participe également à l’éducation psychique de l’enfant. En effet, les études psychanalytiques, notamment celles de Bruno Bettelheim, ont démontré que le conte est un matériel essentiel dans la construction de la personnalité de l’enfant d’un point de vue inconscient, mais nous développerons cet aspect du conte dans une prochaine partie.

c) La fonction divertissante du conte

Le conte possède également une fonction de divertissement, complémentaire à sa fonction initiatique et fortement liée à cette dernière ; en effet, la dimension divertissante du conte rend plus facile l’acceptation de son contenu pédagogique43.

39 Ibid., p.30.

40 Ibid., p. 35.

41 MOUREY, Lilyane, Introduction aux contes de Grimm et de Perrault, 1978, p. 24.

42 UTHER, Hans-Jörg, « Préface », 2004, p. 9, in GRIMM, Jacob und Wilhelm, Kinder- und Hausmärchen (1819).

43 MOUREY, Lilyane, op.cit., p.5.

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Comme nous l’avons vu précédemment, le conte populaire était raconté lors des veillées paysannes et son but était avant tout de divertir pendant les longues soirées d’hiver à la campagne.

La mise par écrit des contes ne les a pas dépourvus de leur fonction divertissante, bien au contraire. Jack Zipes constate que « les frères Grimm avaient rassemblé ces contes […] avec l’intention d’écrire un livre qui procurerait plaisir et savoir »44. En effet, dès la deuxième édition des Kinder- und Hausmärchen, par exemple, l’appareil critique est séparé des deux premiers volumes de contes afin que le lecteur non érudit souhaitant simplement se divertir puisse profiter pleinement des récits sans se préoccuper des réflexions scientifiques des deux frères.

Les contes de Perrault ont eux aussi une fonction divertissante, en plus de leur visée éducative. Perrault cherche également à divertir la Cour, qui commence à se lasser des œuvres classiques, en y introduisant un nouveau genre littéraire, jusque-là réservé à la classe populaire et méprisé par la haute bourgeoisie.

En outre, au XVIIIe siècle, le conte devient un véritable « remède à l’ennui »45 pour la noblesse, qui y trouve un nouveau moyen d’exprimer ses sentiments et de se divertir dans les salons.

d) Autres fonctions

Au-delà de ses fonctions éducative et divertissante, le conte possède également une fonction d’information46. Cette fonction se retrouve surtout du fait de sa forme de récit oral, car il évolue avec le conteur, ce qui n’est pas le cas des récits fixés par écrit.

Le conteur fait donc office de passeur et transporte les nouvelles d’un endroit à un autre. Bien évidemment, les informations sont intégrées au récit et donc fortement romancées mais, à une époque où les moyens de communication n’étaient pas aussi

44 ZIPES, Jack, op.cit., 2007, p. 84.

45 LEMIRRE, Elisabeth, « Les contes de fées, fortunes littéraires du XVIIIe siècle », in Il était une fois… les contes de fées, 2001, p. 85.

46 BRICOUT, Bernadette, « conte », in Encyclopaedia Universalis en ligne, http://www.universalis.fr/encyclopedie/conte/, consulté le 19/07/10.

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développés qu’aujourd’hui, le conteur était un intermédiaire apprécié pour se tenir informé.

Selon, Bernadette Bricout, certains contes ont également pour but

[…] d’exposer une certaine chaîne d’action dans un passé très éloigné [ou imaginaire], et, ensuite, d’en tirer la conséquence qui explique un phénomène donné de la réalité du lecteur47.

Cette fonction, dite étiologique, se retrouve par exemple dans le conte n°18 des Kinder- und Hausmärchen, « Strohhalm, Kohle und Bohne », qui raconte l’histoire d’un brin de paille, d’un charbon ardent et d’un haricot, et finit par expliquer pourquoi les haricots ont tous une couture noire. Toutefois, contrairement au mythe, dont la fonction est de fournir des explications sérieuses en ce qui concerne les origines du monde, ces contes ont un caractère humoristique.

Le conte présente donc beaucoup de dimensions variées, qui ont certainement contribuées à faire apprécier ce genre par un si large public. En outre, le conte, du fait de son aspect universel et de sa popularité auprès des jeunes enfants, a donné lieu à plusieurs interprétations psychanalytiques, que nous allons étudier maintenant plus en détail.