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Chapitre 2. Synthèse d’analogues silylés du NHPI

I. Stratégie initiale

I.1. Fonctionnalisation directe du noyau ortho-phtalique

L’éventail des réactions possibles est restreint autour de ce type de composés : par exemple, l’acide ortho-phtalique s’avère un très mauvais substrat pour une substitution électrophile aromatique. En effet, les acides carboxyliques désactivent le noyau aromatique et orientent en méta, ce qui pose des problèmes de régiosélectivité. On ne trouve dans la littérature guère que des réactions d’halogénation datant de plus de 50 ans, effectuées dans des conditions dures sans amélioration moderne. Par exemple, la periodation de l’anhydride phtalique 83 a lieu dans l’acide sulfurique fumant avec un léger excès de diiode (Schéma 2-1).102 O O O O O O I I I I I2(2,1 éq) H2SO4(60% SO3) 65°C puis 175°C 84, 80-82% 83

Schéma 2-1. Periodation de l’anhydride phtalique.

De même, on trouve divers résultats contradictoires quant à la régiosélectivité de la réaction de dibromation de l’anhydride phtalique dans l’acide sulfurique fumant avec différentes techniques d’isolement des produits.103 Une publication récente donne cependant un rendement de 22% en acide 3,6-dibromophtalique 85 après recristallisation dans l’acide acétique (Schéma 2-2).104

Schéma 2-2. Dibromation de l’anhydride phtalique par Guo.

I.1.a. Réactions d’ortho-métallation

L’acide ortho-phtalique apparaît intéressant dans le cadre de réactions de métallations ortho-dirigées (appelées en anglais « directed ortho metalation » ou « DoM ») de manière analogue à de nombreux dérivés d’acide benzoïque.

102 Allen, C. F. H.; Cressman, H. W. J.; Johnson, H. B., Org. Synth. 1947, 27, 78–80.

103 Pour une discussion sur les dibromations d’anhydride phtalique, voir5: Allen, C. F. H.; Frame, G. F.; Wilson, C. V., J. Org. Chem. 1941, 06, 732–749.

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Ce phénomène a été découvert simultanément par Gilman105 et Wittig106 en 1939-1940 ; ils ont observé la déprotonation en position ortho de l’anisole en présence d’un excès de n-butyllithium. Le principe général est le suivant : un noyau phényle 86 substitué par un groupement directeur (ou « Directing Metalation Group », DMG), est soumis à déprotonation par une base forte de type alkyl-métal (alkyl-lithium la plupart du temps) pour donner naissance à un intermédiaire 88 métallé en ortho. Le groupement directeur interagit avec le métal par chélation ou complexation et place donc la base forte à proximité du proton en position ortho. Puis l’ajout d’un électrophile dans le milieu permet l’accès au produit ortho-substitué 89 (Schéma 2-3).

Schéma 2-3. Mécanisme général de l’ortho-métallation.

Cette réactivité a été très étudiée depuis sa découverte, pour des utilisations avec une grande variété de substrats et d’électrophiles.107 Des efforts ont été particulièrement portés au développement de certains groupements directeurs, dont une liste détaillée a été faite en 1990 par Snieckus dans une revue.108 Les meilleurs d’entre eux sont des dérivés d’acide carboxylique tels que des esters, des amides, des oxazolines, des acétals ou des imines. Plus particulièrement, les amides ont énormément retenu l’attention : des substrats tels que des benzamides secondaires109 et surtout tertiaires110 ont montré de très bonnes performances dans des réactions d’ortho-métallation suivies de substitutions électrophiles.

Par exemple, Beak a rapporté l’utilisation du N,N-diéthylbenzamide 90 (Schéma 2-4)110a qui s’est avéré très efficace dans ces études, notamment grâce à sa facilité d’accès, sa bonne aptitude à orienter la métallation et sa résistance aux attaques nucléophiles.111

105 Gilman, H.; Bebb, R. L., J. Am. Chem. Soc. 1939, 61, 109–112.

106 Wittig, G.; Pieper, G.; Fuhrmann, G., Ber. Dtsch. Chem. Ges. 1940, 73, 1193–1197.

107 (a) Gilman, H.; Morton, J. W., In Organic Reactions; John Wiley & Sons, Inc., 1954; Vol. 8, pp. 258– 304; (b) Gschwend, H. W.; Rodriguez, H. R., In Organic Reactions; John Wiley & Sons, Inc., 1979; Vol. 26, pp. 1–360.

108 Snieckus, V., Chem. Rev. 1990, 90, 879–933, et les références citées dans cette revue. 109 Puterbaugh, W. H.; Hauser, C. R., J. Org. Chem. 1964, 29, 853–856.

110

(a) Beak, P.; Brown, R. A., J. Org. Chem. 1977, 42, 1823–1824; (b) Snieckus, V., Heterocycles 1980,

14, 1649; (c) Beak, P.; Snieckus, V., Acc. Chem. Res. 1982, 15, 306–312; (d) Mills, R. J.; Horvath, R.

F.; Sibi, M. P.; Snieckus, V., Tetrahedron Lett. 1985, 26, 1145–1148.

111 Des réactions d’oligomérisation peuvent avoir lieu si le groupement directeur est sensible à l’attaque nucléophile de l’intermédiaire métallé.

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Schéma 2-4. Ortho-métallation de N,N-diéthylbenzamide puis addition d’électrophile, par Beak.110

Cependant, ce dernier point est également un inconvénient de taille, puisque cet amide tertiaire est très difficile à modifier pour l’obtention ultérieure d’une autre fonctionnalité. Comins112 et Reitz113 ont développé des dérivés de benzamides tertiaires qui seraient hydrolysables, mais leurs conditions d’hydrolyse demandent plusieurs étapes et des conditions très dures telles qu’un long reflux dans l’acide chlorhydrique ou la potasse alcoolique concentrés, pour l’obtention d’acides benzoïques simples (Schéma 2-5). De plus, les benzamides 2,6-disubstitués tels que 90d sont décrits comme plus difficiles à hydrolyser que les dérivés monosubstitués.

112 Comins, D. L.; Brown, J. D., J. Org. Chem. 1986, 51, 3566–3572. 113

Schéma 2-5. Hydrolyses difficiles des benzamides tertiaires proposées par Comins112 et Reitz113.

Afin d’avoir un groupement plus modulable par la suite, Mortier s’est intéressé à l’utilisation d’acides carboxyliques nus. Cette idée paraissait initialement complexe car le groupement carboxylate est suffisamment électrophile pour subir l’addition d’un organolithien nucléophile plutôt que la métallation, ce qui formerait donc des dérivés de cétones.114 Cependant, Mortier a réussi à développer un système du type sBuLi / TMEDA qui, à basse température, permet la double déprotonation de l’acide benzoïque 93 en ortho-lithiobenzoate de lithium 94 et qui peut ensuite être placé en présence d’un électrophile.115

114 Voir réf. 107b, p. 68. 115

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Schéma 2-6. Ortho-lithiation de l’acide benzoïque 93 par Mortier.

Par la suite, Mortier a étendu cette méthodologie à divers acides benzoïques et différents électrophiles pour l’accès à des composés aromatiques avec trois ou quatre substituants contigus.116 Cependant, une étude comparative avec d’autres groupements directeurs a permis de classer l’acide carboxylique comme moyennement performant pour la métallation ortho-dirigée, bien en-deçà de fonctions telles que les amides tertiaires, sulfonamides, oxazolines et carbamates.117

Mortier a également étudié la réactivité d’acides benzoïques substitués par une ou plusieurs fonction(s) méthoxy(s) ou halogène(s), qui sont également des groupements directeurs classés comme modérés.108 Par exemple, l’utilisation de divers systèmes de bases lithiées permet la substitution régiosélective des différentes positions des isomères 93e-g de l’acide anisique (Figure 2-2).118 Le même travail a été réalisé sur les acides benzoïques 93h-j diversement halogénés.119

116 Bennetau, B.; Mortier, J.; Moyroud, J.; Guesnet, J.-L., J. Chem. Soc., Perkin Trans. 1 1995, 1265– 1271.

117 Ameline, G.; Vaultier, M.; Mortier, J., Tetrahedron Lett. 1996, 37, 8175–8176. 118

(a) Nguyen, T.-H.; Chau, N. T. T.; Castanet, A.-S.; Nguyen, K. P. P.; Mortier, J., Org. Lett. 2005, 7, 2445–2448; (b) Nguyen, T.-H.; Castanet, A.-S.; Mortier, J., Org. Lett. 2006, 8, 765–768; (c) Nguyen, T.-H.; Chau, N. T. T.; Castanet, A.-S.; Nguyen, K. P. P.; Mortier, J., J. Org. Chem. 2007, 72, 3419– 3429; (d) Chau, N. T. T.; Nguyen, T. H.; Castanet, A.-S.; Nguyen, K. P. P.; Mortier, J., Tetrahedron 2008, 64, 10552–10557.

119 (a) Moyroud, J.; Guesnet, J.-L.; Bennetau, B.; Mortier, J., Tetrahedron Lett. 1995, 36, 881–884; (b) Gohier, F.; Mortier, J., J. Org. Chem. 2003, 68, 2030–2033; (c) Gohier, F.; Castanet, A.-S.; Mortier, J., J. Org. Chem. 2005, 70, 1501–1504; (d) Gohier, F.; Castanet, A.; Mortier, J., Synth. Commun. 2005, 35, 799–806.

Figure 2-2. Ortho-métallation régiosélective des isomères de l’acide anisique et d’acides halobenzoïques.

I.1.b. Vers la bis-ortho-métallation d’acide phtalique

Dans le but d’obtenir des acides ortho-phtaliques 3,6-disubstitués, l’application de la méthodologie de Mortier à la fonctionnalisation directe de l’acide ortho-phtalique 96 nous amène à un problème de taille : l’intermédiaire de réaction 97 avant ajout de l’électrophile devrait être une espèce tétra-anionique (Schéma 2-7).

Schéma 2-7. Bis-ortho-lithiation supposée de l’acide phtalique.

Or, Schlosser a montré que la génération d’espèces benzéniques tri-lithiées semblait impossible, et que l’obtention d’intermédiaires aryles di-lithiés n’était possible qu’avec des substrats possédant des groupements directeurs très peu labiles tels que fluor ou méthoxy et à très basse température (-100 à -75°C). Ainsi, la double lithiation du 1,4-diméthoxybenzène et du 1,3,5-triméthoxybenzène sont réalisées, de même pour le 1,3,5-trifluorobenzène, qui voit pourtant ses 3 atomes de fluor remplacés par les groupements butyles issus du tert-butyllithium utilisé. Cependant les fonctions déprotonables ne sont pas évoquées.120

Par conséquent, la probabilité de générer et d’accumuler efficacement l’espèce tétra-anionique 97 avant l’ajout d’électrophile nous est apparue très faible. Pour s’affranchir de ce problème, la réaction avec l’électrophile doit se passer dès que la première déprotonation /

120

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lithiation sur le noyau aromatique a eu lieu, et de même pour la seconde addition (Schéma 2-8). 612 612 61!" 61!" 61!" 61!" 3#!" $% !" $ !" 61!" 61!" $ 612 612 $ 61!" 61!" $ $ $ 21 2% EF E E E E E

Schéma 2-8. Stratégie envisagée pour deux lithiations successives.

Cette stratégie implique donc la présence conjointe de la base lithiée et de l’électrophile dans le milieu réactionnel et que l’électrophile soit réactif à la température à laquelle a lieu la déprotonation (-78°C classiquement). Cette situation a été notamment étudiée en 1983 par Krizan et Martin qui cherchaient une alternative à l’utilisation des benzamides tertiaires de Beak et Snieckus.121 Ils ont proposé l’utilisation d’une base très encombrée telle que le 2,2,6,6-tétraméthylpipéridinure de lithium (LiTMP)122 conjointement au chlorure de triméthylsilyle (TMSCl) (Figure 2-3), dans le milieu dès le début de la réaction. Il s’agit de la technique dite de l’ « in-situ quench » ou « in-situ trapping », qui avait initialement montré son utilité dans la préparation d’éthers d’énols silylés.123

Figure 2-3. LiTMP et TMSCl.

Parmi les électrophiles classiques, le TMSCl est un des seuls à être insensible à un milieu très basique et surtout, la cinétique de sa réaction avec un nucléophile lithié est très favorable, même à -78°C. Ainsi, Krizan et Martin ont obtenu de très bons rendements pour

121

Krizan, T. D.; Martin, J. C., J. Am. Chem. Soc. 1983, 105, 6155–6157.

122 Le LiTMP est reconnu pour être une base forte non-nucléophile, par opposition au nBuLi par exemple. Voir : Olofson, R. A.; Dougherty, C. M., J. Am. Chem. Soc. 1973, 95, 582–584. Expérimentalement, elle est générée in-situ par réaction entre la TMP et un équivalent de nBuLi.

123

l’ortho-lithiation / silylation de benzonitriles 99a-b et de benzoates d’alkyles 101 et 103 (Schéma 2-9).121 Dans le cas de benzoates d’alkyles, une grande différence de rendements est observée entre les benzoates d’isopropyle et d’éthyle ; cela est probablement dû à des réactions secondaires d’addition sur l’ester. Ainsi, les esters d’isopropyle ont été par la suite préférés.

Schéma 2-9. Ortho-lithiation / silylation de dérivés benzoïques par la méthode de l’in-situ quench.

En 2006, Gibson et coll. ont adapté les travaux de Krizan et Martin au phtalate de diisopropyle 105, substrat qui a retenu notre attention. Celui-ci est efficacement bis-ortho-silylé par la méthode de l’in-situ quench, en présence de LiTMP et de TMSCl (Schéma 2-10).124

Schéma 2-10. Bis-ortho-silylation du phtalate de diisopropyle rapporté par Gibson et coll.

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I.1.c. Bilan

A la vue des études précédemment rapportées dans la littérature, la méthode de choix pour fonctionnaliser directement l’acide ortho-phtalique 96 (ou un de ses dérivés 4,5-disubstitués 107) est la bis-ortho-métallation / silylation en présence de LiTMP et de TMSCl, selon la technique de l’in-situ quench (Schéma 2-11).

Schéma 2-11. Stratégie de fonctionnalisation directe d’acides phtaliques.