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Une fonction centrale de negociation qui tend encore a se complexifier

La négociation et plus largement la vente restent sans surprise au cœur des métiers appréhendés. Les activités correspondantes renvoient à la principale finalité poursuivie par les commerciaux : réaliser effectivement des ventes de biens et/ou de services auprès de prospects ou de clients « actifs » ou fidèles, selon les objectifs et la politique commerciale de leur entreprise, mais aussi avec le souci croissant de les satisfaire d’emblée au mieux. Leur « métier », leur professionnalité campent toujours avant tout dans cette configuration d’activités.

De ce point de vue, la délimitation et la représentation d’une fonction de négociation au sein du référentiel du bac pro Vente demeurent globalement pertinentes. On a bien affaire à des métiers dans lesquels se pratiquent souvent de véritables négociations, c’est-à-dire des échanges commerciaux

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reposant sur la recherche d’accords sur la fourniture de biens ou de services à certaines conditions (de prix, de modes et de délais de paiement, de volumes achetés…). Mais il semble judicieux de parler aussi de vente à proprement parler, pour souligner que ces négociations ne sont pas toujours au rendez-vous en tant que telles (le commercial dispose alors de peu de marges de manœuvre pour rechercher des accords singuliers avec ses clients), ainsi que pour éviter de perdre de vue ce qui continue à constituer la principale finalité de l’activité.

2.1. La vente à distance ne signe pas l’arrêt de mort de la vente itinérante

La vente moderne à distance (la télévente, mais aussi le téléachat et surtout l’e-commerce ou le commerce électronique) n’a guère éliminé à ce jour le commercial traditionnel. Certes, la concurrence avec ce canal de commercialisation est parfois jugée rude et comme n’ayant pas encore rendu aujourd’hui son verdict définitif. De plus, certains secteurs se trouvent d’ores et déjà bien investis par la vente à distance. Cependant, ce sont surtout des secteurs inhérents à la distribution et au commerce sur site visant une clientèle de particuliers (tourisme, électroménager…). Au sein du B to B, le besoin de commerciaux itinérants se maintient, même si la vente à distance y effectue également une percée.

Par ailleurs, la vente à distance est encore loin de monopoliser toutes les relations commerciales avec les particuliers. Dans les domaines qui nous intéressent ici et sans revenir sur le commerce sur site, on peut citer l’intermédiation immobilière, qui porte sur des transactions trop lourdes et trop engageantes pour que vendeurs et acheteurs acceptent qu’elles soient traitées exclusivement de façon électronique ou téléphonique. Signalons aussi l’expérience très emblématique de la vente directe, qui connaît une croissance fulgurante dans ses différents domaines d’activité depuis plusieurs années, et qui passe par définition par l’intervention physique d’un vendeur.

La résistance des différentes formes de vente itinérante, qui supposent un déplacement vers les prospects ou clients, traduit la persistance d’un besoin de contact et de lien direct dans le domaine commercial. C’est clair au niveau de la vente directe, où l’on va jusqu’à évoquer les fortes attentes actuelles des consommateurs en matière de lien social et de proximité. Mais c’est vérifié aussi dans le monde de l’entreprise, où les achats restent bien sûr effectués par des personnes physiques susceptibles d’éprouver le même besoin de se confronter directement à des vendeurs « de chair et de sang », surtout quand ces personnes demeurent incertaines et demandeuses de conseils et de services quant à leurs achats à venir.

En fin de compte, le scénario de la fin du commercial itinérant ne semble pas tenir la route. Dans le commerce interentreprises, il est sans doute préférable de miser sur un scénario privilégiant des schémas organisationnels qui conjuguent vente à distance et vente en face-à-face. C’est en tout cas ce qui se dessine dans nombre d’entreprises depuis quelques années. Les commerciaux itinérants interviennent alors en coopération avec un centre de relation client ou un plateau de télévente. Ils prennent en charge le volet « prospection » et axent plutôt leurs efforts sur les visites des clients les plus importants en termes de commandes ou de potentiels, en laissant les autres clients et les ventes promotionnelles à leurs collègues télévendeurs, comme on a pu l’observer par exemple au sein d’une entreprise de fabrication et de commercialisation d’équipements de protection individuelle.

Dans certains cas, cette forme de coopération va assez loin, avec la constitution de binômes commercial itinérant/télévendeur fondés sur une division de l’activité d’ordre plus intégré que juxtaposé : les actions de vente ne sont pas réparties selon le potentiel achat des clients visés, mais plutôt selon la disponibilité des deux acteurs et la préférence du client pour le contact direct ou le

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téléphone ; on assigne d’ailleurs des objectifs communs aux deux membres du binôme60. Une société de commerce de gros en produits frais et surgelés pour restaurateurs et cantines organise par exemple son activité commerciale sous cette forme. Il est clair qu’un tel mode d’organisation change la façon de travailler du commercial (agissant classiquement de manière isolée sur un secteur) et contribue à complexifier, dans une certaine mesure, son activité de vente et de négociation.

2.2. Le modèle de la « nouvelle vente » continue à s’affirmer

L’activité de vente et de négociation reste présentée, la plupart du temps, comme une démarche proche de celle décrite au sein du référentiel du bac pro Vente : « préparation de la visite », « découverte des besoins », « présentation d’une offre » et « conclusion de la négociation ». La rencontre d’un client ou d’un prospect est souvent supposée avoir fait l’objet d’une pré-analyse ou d’une préparation, dans la mesure du possible, selon les données disponibles – bien que cette phase amont soit encore peu développée ou purement informelle dans nombre de cas, notamment au sein des PME. Cette rencontre est surtout l’occasion de découvrir les besoins ou les attentes spécifiques des clients, avérés ou latents, et plus généralement leur situation et leur potentiel d’achat. Cette découverte interdit dès lors toute vente aveugle et forcée et induit la présentation, l’argumentation et la négociation d’une offre adaptée.

Enfin, la conclusion de la vente valide tout le processus, dans un esprit de transparence et d’entente entre le commercial et son client. On rejoint là la philosophie de la « nouvelle vente », analysée par le sociologue Frédéric Neyrat et considérée comme typique de l’époque moderne malgré sa récurrence historique, par opposition à son modèle polaire de la vente forcée, agressive ou à simple base de

« tchatches » ou de boniments, supposé, lui, dépassé61.

Même si la préparation de la rencontre d’un client ou d’un prospect n’est ni systématique62, ni également approfondie, son effectuation donne un vernis plus « professionnel » ou une touche supérieure de « structuration » au travail du commercial. Celui-ci ne part pas voir un client ou un prospect « bille en tête ». Il commence en amont sa découverte de la situation du client en mobilisant toutes les informations disponibles, en particulier au sein du fichier-clients : historique des affaires conclues, projets indiqués lors de la dernière visite, recours avéré ou estimé à la concurrence, qualification réalisée lors de la prospection… Le commercial prépare aussi un argumentaire général et/ou spécifique. A noter la forme particulière prise par la préparation dans le cas de la vente directe en réunion : la conseillère des ventes est amenée à aménager l’espace au sein duquel aura lieu la réunion, avec le concours de l’hôtesse.

La découverte du client est présentée comme un acte majeur et incontournable. Il s’agit essentiellement de comprendre le client dans sa globalité : situation, caractéristiques, besoins, projets à plus long terme… Cela passe surtout par une double compétence en matière d’écoute active et de questionnement. A ce stade, il convient également de savoir s’ajuster au client, à sa façon de parler, de se comporter, à ses motivations d’achat. L’enjeu est de commencer à gagner petit à petit sa confiance pour qu’il se livre et soit enclin à entendre une proposition commerciale. Dans le domaine immobilier, cette phase de découverte inclut cette activité spécifique qui consiste à évaluer le bien à vendre ou à louer et qui requièrent ainsi une réelle compétence technique. Dans le domaine particulier de la vente directe par réunion, le vendeur se doit de découvrir les besoins et les attentes de chaque participant dans un cadre collectif et de mobiliser par conséquent une compétence originale d’animation d’équipe.

60 Voir sur ce point la cinquième partie de ce rapport, consacrée aux métiers de la télévente. Voir aussi MAHLAOUI S.

(2013), op. cit.

61 Cf. NEYRAT F. (2006), « Nouvelle vente, vielle antienne », in : LAZUECH G., MOULEVRIER (sous la direction de), Contributions à une sociologie des conduites économiques, Paris, L’Harmattan, pp. 231-248.

62 Par exemple, elle est inexistante ou alors mince (limitée notamment à l’élaboration d’une trame générique) quand le commercial exerce une prospection physique associée directement à un processus de négociation et de vente.

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Ensuite, le commercial est censé adapter son offre au plus près des besoins révélés par son client. A la limite, la découverte du client ayant été faite au préalable, ce devrait être plus une présentation qu’une argumentation ou une négociation. Mais de fait, des considérations ou des objections sur des éléments comme le prix ou les délais de livraison ne manquent pas de faire leur apparition au cours de l’échange et obligent le commercial à savoir répondre et trouver les bons arguments. Cette présentation et l’argumentation qui l’accompagne doivent être exposées avec clarté et concision, tout en étant ajustées à l’interlocuteur, à son langage et ses facultés de compréhension : elles constituent ainsi d’importantes compétences cognitives. Le commercial doit également bien connaître les produits et les services qu’il propose, leurs caractéristiques, leurs prix, leurs performances, ceux proposés par les concurrents, de même que les législations et les règlementations qui encadrent ces produits et services et leur commercialisation. Il est bien à cet égard un « technicien des ventes », sinon un « technico-commercial » dans son domaine. C’est surtout vrai dans le commerce interentreprises, où la crédibilité conditionne particulièrement l’installation d’un climat de confiance et la possibilité d’engager une relation client durable, dans un contexte où la technicité des produits se révèle de fait souvent marquée.

Dans cette façon de voir les métiers ciblés par le bac pro Vente, la conclusion de la négociation n’est pas forcément le problème le plus sensible. Dès lors que la découverte du client et la présentation de l’offre ont été bien faites, le client cèdera facilement aux avances du commercial s’il entend réellement se procurer le bien ou bénéficier des services qu’il propose. Il est toutefois attendu du commercial qu’il fasse preuve de patience et même d’une certaine honnêteté ou sincérité par rapport aux clients, sans les tromper ou sans user d’arguments fallacieux ou trop enjolivés pour remporter avec hâte le marché ou l’affaire. On retrouve là l’idée d’une éthique, sinon d’une déontologie quand cette attitude fait l’objet d’une reconnaissance au sein d’une entreprise ou d’une branche professionnelle. Mais on peut y voir aussi le souci de satisfaire le client, dans le but de le fidéliser d’une manière ou d’une autre.

En tout état de cause, cette vision dominante de la vente itinérante dans sa phase conclusive épouse pleinement le modèle de la « nouvelle vente ».

Ce modèle continue d’ailleurs à s’affirmer au niveau des représentations, en lien avec les principales évolutions qui contribuent au fil du temps à complexifier l’activité de vente et de négociation.

D’abord, les commerciaux sont toujours plus amenés à vendre des offres plus globales ou plus complètes, mettant davantage en complémentarité produits et services. C’est le cas par exemple du vendeur d’automobiles neuves : il commercialise aujourd’hui une voiture, mais aussi, de façon associée, des services, tels des plans de financement, des extensions de garanties, des contrats d’entretien, etc. Ensuite, les commerciaux semblent avoir de plus en plus à spécifier, sinon à personnaliser les offres à faire aux clients, ce qui tend à augmenter la part d’analyse et de découverte-client dans le cours de leur activité. Il est d’ailleurs de bon ton, aujourd’hui, de dire que la principale compétence du commercial est devenue la compétence d’écoute, au-delà de la traditionnelle compétence en matière de persuasion. Enfin, les commerciaux tendent à adopter plus souvent la posture de « conseiller » plutôt que celle de simple « vendeur ». C’est une posture certes plus riche et plus intéressante à tenir (elle peut aller jusqu’à faire émerger le sentiment gratifiant d’aider des particuliers ou des entreprises, comme on a pu le constater dans l’immobilier), mais aussi plus large et moins contrôlable.

Dans ce contexte, les commerciaux se présentent toujours plus comme des « apporteurs de solutions » et de moins en moins comme de simples « preneurs de commandes » (termes empruntés à la branche du commerce de gros, mais que l’on retrouve un peu partout). Et un tel mouvement paraît transcender les différences et les clivages entre les branches, les entreprises ou les métiers. Quel que soit le lieu ou l’emploi enquêté, on a ce mouvement décrit peu ou prou. Si certaines entreprises ou certains emplois paraissent moins concernés que d’autres (les entreprises jouant avant tout sur les prix et les volumes, les emplois structurés autour d’un catalogue ou un ensemble de références et ne disposant d’aucune

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marge de liberté pour le faire évoluer), ils se réclament aussi du même mouvement, favorable à la vente de solutions ou à ce que l’on peut appeler aussi la vente-conseil.

Par ailleurs, la dynamique en question complexifie l’activité car elle rend plus qu’indispensable la maîtrise de nombreuses connaissances techniques et connaissances-produits. La recherche de solutions globales et singulières (selon les problématiques clients) ne tolère plus leur limitation. Il faut dire que les comportements des acheteurs ou clients ont continué eux-mêmes à évoluer dans le sens d’une meilleure information, d’une plus grande sélectivité, d’une volatilité plus fréquente et d’un usage accru des nouveaux modes d’achat (le commerce électronique en particulier). Grâce à Internet, « les clients sont plus compétents ou se croient plus compétents de nos jours » (responsable de l’observatoire des Dirigeants Commerciaux de France), ce qui oblige le commercial à être à la fois plus « technicien » et plus au fait de l’évolution des législations (commerciales, fiscales, écologiques…) qu’auparavant.

L’enjeu étant de ne pas se faire dépasser (de manière visible en tout cas) par le client en termes de connaissances.

Autre signe de complexification à l’œuvre et au service du renforcement de la « nouvelle vente » : l’usage croissant des TIC dans le processus de vente et de négociation. La préparation des rencontres avec les prospects et les clients suppose l’utilisation plus fréquente de puissantes bases de données.

Les ordinateurs s’invitent également à présent à la « table des négociations » dans de nombreuses situations où il s’agit de concevoir et construire une offre à faire au client en sa présence.

2.3. Les ambiguïtés de la vente-conseil sont plus que jamais à assumer

Si elle a fait solidement son nid dans les représentations, la « nouvelle vente » ou la vente-conseil n’est pas exempte d’ambiguïtés. L’activité de vente et de négociation est constamment soumise à des objectifs quantitatifs de chiffre d’affaires, de taux de marge, de nombre de commandes, etc., à réaliser.

Il en va de la rémunération, en général en grande partie variable, des commerciaux. Sous un vernis de plus en plus communicationnel, la rationalité de leur activité de relation client reste donc de nature très instrumentale ou stratégique, pour reprendre ici les termes du philosophe Jürgen Habermas. La tension à gérer entre logique des objectifs commerciaux à respecter et logique de conseil et de service à offrir aux clients est plus que jamais à son comble63.

La préparation des visites n’a pas pour simple objectif de commencer à analyser et à comprendre des clients et leur situation. Elle vise aussi à guider la future action de vente et de négociation, en amenant le commercial à se fixer des objectifs et une stratégie spécifiques.

La rencontre en tant que telle avec le client n’a pas l’apparence d’une simple relation d’écoute et de découverte. Elle constitue aussi un rapport de forces, où le commercial a à faire valoir ses propres intérêts et ceux de son entreprise. C’est un moment où les calculs envahissent et orientent souvent les échanges : calculs de taux de remise, de taux de marge… D’où cette nécessité pour le commercial de savoir toujours calculer rapidement en situation de nos jours.

63 Pour une analyse fine de cette tension qui anime fortement aujourd’hui les personnels commerciaux à l’ère des organisations orientées clients, voir ROUX X. (2010), « Les professionnels de la vente dans les banques : conseillers en vitrine, commerciaux en coulisses ? », in : DEMAZIERE D. et GADEA C. (sous la direction de), Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, La Découverte, pp. 310 – 320.

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Au cours de cette rencontre, le commercial se doit de « cadrer » et de « diriger » la discussion aussi discrètement que possible, mais en sachant aussi se montrer ferme si besoin au moment de la négociation.

Même à l’ère de l’écoute active, l’aptitude à persuader les clients sur la pertinence et l’efficacité des produits/services proposés reste la compétence « cœur de métier » pour de nombreux professionnels.

Du reste, le commercial sera toujours tenté de convaincre le client hésitant, peut-être sans le brusquer mais en essayant de ruser pour le faire réviser sa position. Et cet exercice est parfois jugé encore comme étant le plus difficile du métier, avec la prospection. Le renforcement de la pression concurrentielle contribue d’ailleurs à donner toujours autant de poids à cette compétence de persuasion et à complexifier ainsi l’activité.

La crise économique accentue pour sa part les exigences qui pèsent sur les commerciaux. En particulier, les exigences en matière d’optimisation des performances s’élèvent sensiblement dans nombre d’entreprises. Les commerciaux disposent alors de moins de temps pour échanger avec leurs clients. Dans le commerce B to B, on assiste à une augmentation tendancielle des cycles de vente. Plus généralement, les consommateurs et les clients se montrent globalement plus frugaux et plus regardants vis-à-vis de leurs achats et de leurs dépenses. Tout ceci concourt en fin de compte à nouveau à la complexification de l’activité de vente et de négociation. Les ambiguïtés inévitables propres à la vente-conseil sont plus que jamais à assumer en cette période de crise.

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3. DES ACTIVITES DE SUIVI ET DE FIDELISATION QUI