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Chapitre 2. La nécessaire marge de manœuvre du juge

B. Une flexibilité cohérente avec le rôle de protecteur des droits fondamentaux du juge

Si on rejoint l’analyse de Valérie GOESEL-LE BIHAN,qui s’appuie sur l’absence de mention du caractère manifeste de la disproportion dans certaines décisions, il est possible de conclure que « contrairement à une opinion souvent professée, le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil n'est pas toujours un contrôle restreint »425. Il exerce, selon elle, un contrôle restreint sur les atteintes à la liberté d'aller et venir ainsi que sur une partie des atteintes à la liberté individuelle. Toutefois, il exerce un contrôle qui « peut alors

419 Kennedy v Charity Commission [2014] UKSC 20.

420 Pham v Secretary of State for the Home Department [2015] UKSC 19, § 60. 421 Voir supra, partie 1, titre 2, chapitre 2, I, B.

422 Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. 423 Ibid., cons. 76.

424 Ibid., cons. 79 425 V.

être considéré comme entier »426 sur les atteintes graves à des libertés considérées comme essentielles, telles que la liberté individuelle au sens strict.

S’agissant du juge britannique, son contrôle a toujours été plus approfondi lorsque des droits fondamentaux étaient en cause. Bien que la Chambre des Lords ait refusé en 1991 d’intégrer un contrôle de proportionnalité427, une approche comparable a pu être adoptée au moyen d’un contrôle plus approfondi lorsque des décisions méconnaissaient des droits et libertés essentiels428. C’est ainsi que Lord BINGHAM a pu affirmer en 1996 que « plus l’interférence avec les droits de l’homme est substantielle, plus les Cours exigeront de justifications avant d’être convaincues que la décision est raisonnable »429. Lorsque le Royaume-Uni s’est ensuite doté d’un catalogue de droits fondamentaux avec le HRA, les Cours se sont fondées sur la section 2 (1) du HRA, qui requiert que les juges tiennent compte de la jurisprudence de la CourEDH, pour adopter le standard de proportionnalité dans le cadre des droits conventionnels. Ils ont en outre mis en œuvre une conception de ce standard relativement proche de cette développée par la CourEDH, permettant donc le contrôle de la conciliation opérée par les autorités publiques. Dès lors, la rigueur de l’approche adoptée par la Cour dans l’affaire des détenus de Belmarsh430, malgré l’importance de l’objectif de sécurité nationale, est justifiée, comme le montre Lord HOPE, par le caractère fondamental de la liberté individuelle, traditionnellement protégée par le juge de common law. C’est ainsi qu’il conclut que « l’étendu de la marge d’appréciation [de l’exécutif et du législateur] dépend du contexte. Ici le contexte est donné par la nature du droit à la liberté que la Convention garantit à chacun, et par la responsabilité à la charge des cours de donner effet à la garantie de minimiser le risque d’arbitraire et d’assurer la prééminence du droit (…). Sa nature absolue, mis à part les circonstances expressément prévues par l’article 5(1) indiquent que toute interférence avec le droit à la liberté doit faire l’objet d’un examen entier et minutieux »431.

On peut donc conclure, avec le Professeur Julian RIVERS432,qu’en réalité, à partir du moment où leur rôle est celui de gardien des droits, une seule caractéristique est déterminante pour l’intensité du contrôle opéré par les juges constitutionnels, celle de la portée de la limitation du droit ; ce qui fait à la fois appel à l’importance intrinsèque du droit, et à la gravité de l’atteinte. L’attitude des juges consistant à ne censurer, ou déclarer incompatible, que lorsqu’il existe une atteinte particulièrement grave à la liberté individuelle, susceptible d’engendrer de lourdes conséquences nous conforte en effet dans cette analyse. C’est en effet ainsi que peuvent être comprises les réactions des juges visant à éviter l’amalgame entre immigration et terrorisme, telles qu’exprimées par la Chambre des Lords dans l’affaire des détenus de Belmarsh433, ou par le Conseil constitutionnel dans la décision 96-377 DC, qui refuse d’assimiler l’aide à l’entrée, à la circulation

426 Ibid., p. 6.

427 R v Secretary of State for the Home Department, ex parte Brind [1991] UKHL 4. 428 A.

DUFFY-MEUNIER, « Le contrôle juridictionnel dans le cadre du Human Right Act 1998 : un standard de contrôle

conventionnalisé pour une meilleure protection des droits et libertés ? », L’Europe des libertés, n° 24, sept. 2007, p. 2.

429 R v. Ministry of Defense, ex parte Smith [1996] [1995] EWCA Civ 22: « The more substantial the interference with human

rights, the more the court will require by way of justification before it is satisfied that the decision is reasonable »

430 A. v Secretary of State for the Home Department [2004] UKHL 56.

431 Ibid., § 107 : « The width of the margin depends on the context. Here the context is set by the nature of the right to liberty

which the Convention guarantees to everyone, and by the responsibility that rests on the court to give effect to the guarantee to minimise the risk of arbitrariness and to ensure the rule of law: (…). Its absolute nature, save only in the circumstances that are expressly provided for by article 5(1), indicates that any interference with the right to liberty must be accorded the fullest and most anxious scrutiny ».

432 Proportionality and variable intensity of review », Cambridge Law Journal, 2006, 65(1), p. 205. 433 A v Secretary of State for the Home Department [2004] UKHL 56.

ou au séjour d’un étranger en situation irrégulière à un acte de terrorisme434. Ce faisant, le juge pose des limites infranchissables à l’action des autorités publiques dans le cadre de lutte contre le terrorisme, et protège les ultimes frontières, déjà déstabilisées, de l’Etat de droit.

II. Une flexibilité permettant de maintenir les ultimes frontières de l’Etat de droit

C’est donc essentiellement l’intensité du contrôle qui détermine le niveau de protection des droits fondamentaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Dès lors, l’impact des différences liées au système juridique est amoindri, cette flexibilité amenant à un rapprochement des contrôle des dispositifs anti-terroristes opérés par les différentes juridictions étudiées (A). Cette politique jurisprudentielle, combinant test de proportionnalité et intensité variable, permet donc de conserver un contrôle, bien que ce dernier atteigne ses limites (B).

A. Le dépassement des divergences liées aux modèles de contrôle par les variations dans l’intensité de