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Chapitre 2. La nécessaire marge de manœuvre du juge

B. Un assouplissement du contrôle

L’importance de l’objet de la norme, la sécurité face au risque terroriste, a pour conséquence logique la réduction de l’intensité du contrôle, le juge ne souhaitant pas s’immiscer autre mesure dans l’appréciation réalisée par les autres branches du pouvoir. Il est donc moins exigeant vis à vis des justifications aux restrictions aux libertés individuelle et d’aller et venir. L’intensité du contrôle est en réalité inversement proportionnelle à celle de la menace. Le juge considère en effet que le législateur et l’exécutif sont plus à même d’attester du niveau de sécurité requis, ainsi que de garantir l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. Il leur laisse donc une large marge d’appréciation. C’est ainsi que, selon Karine ROUDIER,ce contrôle « semble connaître une forme de relâchement qui exprime une nouvelle relation entre l’ordre et la liberté »219.

Ce caractère souple du contrôle de proportionnalité réalisé par le juge anglais dans le cadre du HRA se remarque notamment dans la décision Rehman de la Chambre des Lords220. Il s’agissait d’un citoyen pakistanais qui s’était vu refuser le droit de rester au Royaume-Uni, le ministère de l’Intérieur arguant du fait qu’il représentait un danger pour la sécurité nationale du fait de son implication dans une organisation terroriste. La Commission spéciale des recours en matière d’immigration (SIAC) a considéré que son expulsion n’était pas justifiée, car le ministère de l’Intérieur n’avait pas suffisamment démontré, en terme de balance des probabilités, que sa présence sur le territoire était justifiée par l’intérêt public de protéger la sécurité nationale. La Chambre des Lords, elle, a considéré que le risque, même futur, était suffisant pour justifier une telle atteinte à la liberté d'aller et venir de l’individu. Elle est arrivée à cette conclusion en affirmant qu’il était essentiel de « prendre dûment en considération les analyses et les conclusions du

217 K.

ROUDIER,op. cit., p. 80.

218 V.

GOESEL-LE BIHAN, « Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel », Cahiers du Conseil

constitutionnel, n° 22, 2007, p. 9.

219 K.

ROUDIER,op. cit., p. 324.

ministre de l’Intérieur »221, Lord HOFFMAN ajoutant même par un obiter dictum général qu’« en matière de sécurité nationale, le cout de l’échec peut être lourd. Cela me semble souligner le besoin pour la branche judiciaire du gouvernement de respecter les décisions des ministres de la Couronne sur la question de savoir si le support à des activités terroristes dans un Etat étranger constitue une menace pour la sécurité nationale »222. Lord SLYNN affirme dès lors que la Commission, compétente pour contrôler l’exercice par le ministre de l’Intérieur de son pouvoir discrétionnaire223, doit, pour cela, se prononcer sur le point de savoir si les mesures prises étaient « disproportionnées par rapport au besoin de protéger la sécurité nationale »224. Il s’agit donc là d’un contrôle de la disproportion, alors même que le contrôle ne portait pas ici sur une loi du Parlement, mais sur une décision de l’exécutif.

La distinction opérée entre liberté individuelle et liberté d'aller et venir constitue par ailleurs un outil précieux du juge constitutionnel, dans la mesure où elle lui permet de faire varier l’intensité du contrôle. C’est ainsi que, depuis 2003, c’est-à-dire à l’occasion des premières saisines liées à la liberté individuelle au sens large postérieures au 11 septembre 2001, le Conseil constitutionnel soumet l’ensemble des atteintes à la liberté d'aller et venir, mais aussi les « atteintes légères à la sûreté, c'est-à-dire au cœur même de la liberté individuelle protégée à l'article 66 »225, à un contrôle restreint. Cette notion

d’ « atteinte légère » à la liberté individuelle stricto sensu paraît assez opaque, bien qu’elle soit définie par le Professeur GOESEL-LE BIHAN comme « la simple possibilité pour des agents habilités de disposer d'une personne durant un temps limité, sans qu'il y ait arrestation ou détention de celle-ci »,226 et entretient la confusion qui peut exister avec la liberté d'aller et venir. Il faut toutefois voir que c’est en réalité cette absence de distinction stricte qui permet au juge constitutionnel d’adapter le degré de son contrôle en fonction de la marge qu’il souhaite laisser au législateur.

La décision 2003-467 DC227 illustre parfaitement cette stratégie du juge constitutionnel, qui lui permet de jouer sur l’intensité du contrôle. S’agissant des visites de véhicule, notamment aux fins de recherche et de poursuite des actes de terrorisme, qui relève selon la distinction opérée par Valérie GOESEL-LE BIHAN, de ces « atteintes légères » à la liberté individuelle au sens de l'article 66, il procède en effet à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation228. Son contrôle est donc le même que celui effectué au titre de la liberté d'aller et venir229.

Le juge anglais se sert également de cette distinction pour faire varier l’intensité de son contrôle, et ce d’autant plus que le Royaume-Uni n’ayant pas ratifié le protocole 4, rien ne l’oblige à exercer un contrôle de proportionnalité sur les restrictions à la liberté d'aller et venir230, il peut donc lui privilégier un simple

221 Ibid., § 26. 222 Ibid., § 62.

223 En vertu de la section 4 du Special Immigration Appeals Commission Act 1997.

224 Secretary of State for the Home Department v Rehman [2001] UKHL 47, § 11 : « Whether the question should have been

exercised differently will normally depend on whether on the facts found the steps taken by the Secretary of State were disproportionate to the need to protect national security ».

225 V.

GOESEL-LE BIHAN,art. cit., p. 9

226 Ibid.

227 Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure. 228 Ibid., cons. 12.

229 Ibid., cons. 71.

230 L’exercice du contrôle de proportionnalité dans le cadre du HRA est en effet fondé sur la section 2 (1) du HRA, obligeant

contrôle de la rationalité. C’est en effet afin de restreindre le champ de la liberté individuelle protégée par l’article 5 de la Convention que Lord HOFFMAN231 et Lord CARSWELL232 insistent sur cette distinction.

Le juge, afin de permettre l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, assouplit donc son contrôle relatif à la protection des libertés individuelle et d’aller et venir. Cela nous permet d’affirmer que « lorsque le pays est confronté à une grave menace à la sécurité nationale, (…) des mesures anti-terroristes qui n’auraient pas été proportionnées en temps de paix peuvent alors être jugées proportionnées »233.

Le juge, face à ce besoin d’efficacité, accepte non seulement d’accorder plus de poids à la nécessité pour les autorités politiques d’assurer la sécurité et assouplit en conséquence son contrôle, mais, au delà, il va jusqu’à intégrer dans les paramètres même de son contrôle la spécificité de la lutte contre le terrorisme. Cette adaptation n’est alors plus seulement quantitative mais touche également à la substance même du contrôle effectué.

II. Une adaptation des paramètres du contrôle au cadre de la lutte contre le terrorisme

Face aux problèmes particuliers posés par le terrorisme, le juge constitutionnel est allé bien au delà de la simple réduction du degré de contrôle, il adapte en effet les paramètres même de son contrôle. La lutte contre le terrorisme a alors une influence sur la nature du contrôle, et non plus sur sa seule intensité, dans la mesure où elle conduit le juge à modifier son interprétation des normes de référence (A) ainsi que son utilisation des techniques de contrôle (B).