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La fin de la guerre: une difficile réadapta- réadapta-tion à la vie civile

La guerre a définitivement marqué Voivenel. Voici les réflexions qui clôturent son journal de guerre:

"La guerre et l'humanité sont deux choses qui jurent d'être accolées. La guerre est

inhu-maine dans son essence, dans son but, dans ses moyens. De loin, on fait de beaux dis-cours et de superbes descriptions. Ca se termine par

Mourir pour la patrie

C'est le sort le plus beau

Le plus digne d'envie

De près, c'est ignoble. C'est affreux la guerre. Ca ne se codifie pas, ou, du moins, ça ne se codifie qu'en temps de paix. Ca se fait, ça se gagne ou ça se perd. (Avec la 67° D.R, T

IV, p 152)

La guerre est terminée et nous allons redevenir civils. Ah! Il fera bon vivre demain, pour nous, les victorieux. Nos infirmiers viennent nous serrer la main. Demain, sans transition, ils retourneront à leur sillon.... Demain, ce sera notre tour et nous médecins, qui n'avons jamais quitté les armées, nous retrouverons nos confrères de l'intérieur engraissés de notre clientèle, décorés comme des braves. Nous lirons dans nos rues des noms

nouveaux sur des plaques nouvelles et nous aurons un peu plus à lutter dans ce monde où -demain- il fera bon vivre....

Un bruit de roues étouffées par la neige... C'est un mort qu'on emporte sous le ciel tour-menté. Sous la neige qui tombe, ils s'uniformisent, les cimetières où dorment les milliers de gazés... Ils étaient jeunes... Ils croyaient les guerres impossibles... Ils étaient à l'âge des enthousiasmes et des actes de foi, et leur âme rayonnait à travers la vie.... Demain, il fera bon vivre... Ils gisent ceux qui furent confiants, dans un sol dévasté que panse la neige... Demain...

Le souvenir que garde Voivenel est celui des horreurs mais aussi de cette "communion" entre les hommes, communion qu'il voit petit à petit se désagréger avec le retour à la vie civile. Guerre absurde mais qui a crée des liens indestructibles entre les combattants, une "humanité" dans le partage des souffrances.

Voivenel marque son amertume, sa tristesse, sa révolte face à une société qui se reteinte d'"égoïsme". Il n'oubliera jamais les "paysans soldats", ses camarades, "ses frères", les vivants comme les morts.

Pour les morts, il fera acte de mémoire. En 1925, il fait élever à Toulouse le "Monument au Sport", en mémoire de tous les sportifs tombés au combat et plus particulièrement pour son ami Mayssonnié. Voulant les honorer par ce qu'il y a de plus beau, il n'hésite pas à aller voir le sculpteur Bourdelle pour lui demander une de ses sculptures monu-mentales, "L'Héraklés". Depuis ce jour, tous les 11 Novembre, les sportifs se réunissent aux Ponts-Jumeaux pour une commémoration.

Pour les morts du village ariégeois de Capoulet-Junac, il fait ériger de la même façon une autre sculpture de Bourdelle, inaugurée en 1935 par le maréchal Pétain en personne. Voivenel dit lui même qu'il a "le culte des morts".

Pour les survivants, Voivenel se dépensera sans compter. De retour sur Toulouse, il n'est pas immédiatement démobilisé et dés Mars 1919, est mis à la tête du centre de neurop-sychiatrie régional. L'hôpital 58 A, situé à l'Institut Électrotechnique sur le bord du canal puis transféré à l'école Saint Stanislas, accueillait les "nerveux": les algiques, les paraly-sés et contractés, souffrant de séquelles de blessures du radial, du cubital, du sciatique, de commotion cérébrale qui exigeaient un traitement prolongé et délicat. Parmi les "mentaux" , en dehors de quelques névrosés, la majorité se compose de déprimés. Les cas les plus graves sont orientés vers l'hôpital psychiatrique. La thérapeutique adoptée est avant tout la thérapeutique "affective": comprendre, soulager, constituer autour du patient une sorte de "famille", améliorer la nourriture, favoriser la réadaptation. Voivenel y exerce quasi bénévolement pendant près de deux ans, jusqu'en 1921. Il y rencontre pour la première fois l'interne Riser qui deviendra plus tard professeur de neurologie à la Faculté.

Voivenel exerce une dernière fois ses fonctions d'expert au Conseil de guerre lors des mutineries du 317° Régiment d'artillerie lourde en Juin 1919, acquittant encore quelques hommes.

Par la suite, commis expert auprès de la Commission de réformes, il défendra tant qu'il pourra les intérêts de ceux qui ont combattu, pour leur obtenir une pension décente. Dans son cabinet médical, il retrouvera les névrosés de guerre qu'il traitera avec la plus grande compassion, les anxieux, ceux qui ont du mal à se réadapter à la société civile. Société civile en laquelle lui même a du mal à se retrouver. Société civile avec ses injus-tices qu'il supporte avec amertume...

En effet, après quatre ans de guerre, tout a changé. C'est tout le quotidien qu'il faut re-construire. Voivenel a du mal à reprendre sa place dans la société civile. Il est désorienté par cette ville et cette vie qu'il ne reconnaît plus: Toulouse est surpeuplée. Tramways

bondés. Consommations aux cafés, costumes neufs, dépenses. Tout le monde a l'air d'avoir de l'argent. Je reconnais les rutilants "usiniers" d'occasion, jadis sans le sou; Et puis, que de médecins! (Avec la 67° D.R, p 161 T IV).

Le cabinet du 21 rue de la Fonderie a été délaissé par les patients. Voivenel a 39 ans. Ce sont les difficultés pour refaire sa clientèle, le manque d'argent et les cruelles désillu-sions: En Avril, j'envoie mes notes d'honoraires 1913-1914. Beaucoup d'ex-clients font

les morts. Quelques uns que j'ai soignés à deux ou trois reprises disent: "je n'ai jamais vu le docteur Voivenel" alors que j'ai leur fiche d'observation sous les yeux. A quoi bon discuter? Je classe.

Période morose des dettes auxquelles s'ajoutent les problèmes de santé: plusieurs épi-sodes d'hémoptysies, séquelles des gaz.

Malgré ces difficultés de "réadaptation", Voivenel se réorganise, aidé en cela par son ac-tivité au centre neuro-psychiatrique, sorte de transition entre vie civile et vie militaire où il retrouve les combattants, ses "patients-amis" . Et en quelques années, c'est la renais-sance de la clientèle, la reprise d'une intense activité médicale, journalistique et litté-raire, comme avant la guerre et même décuplée...

LA PÉRIODE D'ENTRE DEUX