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2.6.1 Historique

Les filles et les sciences sont un couple, incompatible pour certains, qui ose de plus en plus s’affirmer, même si plusieurs obstacles restent encore à franchir pour lui permettre d’obtenir une meilleure reconnaissance et une plus grande évolution…

Collet (2007) explique comment historiquement l’idée d’incompatibilité entre femmes et sciences est conçue : « les femmes peuvent être réduites (et sont donc limitées) à leur sexe biologique et donc à la nature féminine, alors que les hommes ont la possibilité de s’en affranchir, de le transcender et de pouvoir alors maîtriser la nature (y compris la leur). » (p.15).

Nicole Hulin, maître de conférences honoraire à l’Université et chercheuse titulaire d’une agrégation scientifique « masculine » (obtenue par dérogation spéciale) revient sur les différences instituées au niveau des programmes scientifiques dans les écoles normales pour futures institutrices en 1881 en comparaison aux écoles normales pour futurs instituteurs. En mathématiques,

« le programme est un peu moins étendu, en ce qui concerne l’arithmétique » ; en physique, « le programme est moins complet […]

l’enseignement doit avoir un caractère simple et expérimental » ; en sciences naturelles, « le temps consacré aux sciences naturelles dans les deux catégories d’écoles normales n’est point tout à fait le même, et les programmes destinés aux élèves-maîtresses […] ne sont pas aussi étendus que ceux que doivent suivre les élèves-maîtres. »1 (2002, p.2). À la fin du 19ème siècle, le ton est donné : les études scientifiques ont une moindre importance pour les femmes, celles-ci « bénéficient » donc d’un programme scientifique allégé !

Bien des années plus tard, au milieu des années nonante, Nadine Plateau explicite pourquoi le modèle d’enseignement pratiqué à l’école primaire pouvait être considéré comme inadéquat et un obstacle à l’égalité. Elle souligne que malgré un changement majeur dans l’éducation avec la mise en place de la mixité scolaire (tant sur un plan social que sexué) « les contenus et les modes de transmission des savoirs n’ont pas été repensés en fonction d’un projet de société égalitaire ». En d’autres termes, l’enseignement « conçu pour une élite » s’adressait toujours à un élève de sexe masculin et de milieu social aisé (Plateau, 1995, p.61). Marie Duru-Bellat illustre cette idée en expliquant que les programmes de physique, par exemple, valorisaient des domaines traditionnellement considérés comme

1 Bulletin administratif, t.24, 1881, p.1640-1666.

masculins (mécanique, électricité, magnétisme…) alors que « l’étude d’autres champs de la physique comme […] les phénomènes météorologiques, les applications de la physique aux domaines médical ou artistique susciterait un intérêt accru chez les filles » (2004, p.78). Cette vision peut paraître aujourd’hui comme étant marquée par les préjugés, car nous savons désormais qu’il est possible et répandu d’aborder le thème de l’électricité en classe en éveillant un intérêt équivalent chez les filles et les garçons.

2.6.2 Stéréotypes scientifiques

Duru-Bellat (1995) apporte un éclairage concernant l’influence sexuée sur les choix d’études dans les filières scientifiques : « Les différences entre sexes dans les filières apparaissent comme la résultante de processus d’auto-sélection (moindre confiance des filles dans leur niveau scientifique), d’image des disciplines scientifiques et de motivations professionnelles davantage tournée vers l’utilité sociale que le prestige et la rémunération » (p.97). De plus, « [les filles] se sentent à la fois moins compétentes dans les matières scientifiques, et perçoivent les professions scientifiques comme difficiles (pour elles) et masculines » (Duru-Bellat, 1995, p.97). Ces attitudes se forgent à travers des processus sociaux variés : les attentes stéréotypées des parents en matière de réussite, les attitudes plus ou moins implicites des enseignant-e-s qui s’expriment par des attentes différenciées qu’ils communiquent inconsciemment aux élèves (effet pygmalion) et les interactions entre élèves dans un contexte mixte à un âge où le conformisme sexuel domine (Duru-Bellat, 1995, p.98).

L’association femme-nature en opposition à homme-culture contribue également à rendre plus difficile la projection des femmes dans le domaine scientifique. Comme le défend Collet (2009), la description du scientifique type : « ambitieux, combatif, audacieux, froid, indépendant, à l’esprit logique, rationnel, obsédé de l’objet au détriment de la relation, excluant de la sensibilité » s’apparente pour de nombreux traits au stéréotype masculin. Le stéréotype féminin quant à lui se compose essentiellement « de caractéristiques affectives, peu valorisées socialement, rapportant les

femmes à leur rôle d’épouse et de mère : docilité, sensibilité, émotivité, préoccupation des sentiments d’autrui. » (Collet, 2009). Ces traits de caractère décrétés féminins se conjuguent difficilement avec la hargne, la déduction et l’autonomie attendues d’un scientifique.

À la lumière de ce qui précède, Duru-Bellat (1995) soulève une question intéressante : promouvoir l’accès des filles à la culture scientifique, n’est-ce pas une manière de les contraindre à se couler dans un moule masculin, alors qu’on pourrait tout aussi bien défendre « l’égalité dans la différence » ? Selon elle, « si les orientations moins nombreuses des filles vers les études scientifiques sont perçues comme une discrimination, c’est parce qu’elles sont assorties à des professions moins gratifiantes » (1995, p.99.) Ainsi, le but est avant tout de favoriser aux filles l’accès à « tous les possibles » en les plaçant dans une situation d’égalité de choix par rapport aux diverses professions.

2.6.3 Constats internationaux

Selon Vouillot (2007), la minorité des filles dans les filières scientifiques relève d’un constat international : En Amérique 48% des filles étudient les mathématiques et 41% les sciences physiques et technologiques. En Europe, le pourcentage de filles en Sciences, mathématiques et informatique est de 37%. Certaines exceptions sont à relever, par exemple le Portugal, l’Italie, la Bulgarie et la Roumanie où le taux de filles varie entre 50% et 58% dans ces filières.

De manière globale, les filles sont très peu représentées en informatique.

Curieusement, ce domaine apparaît comme premier choix auprès des garçons suisses lorsqu’ils doivent citer le métier de leur rêve quand ils auront environ 30 ans. 7% des garçons répondent : « Informaticien de niveau supérieur » (SRED, 2012).

2.6.4 Les filles et l’informatique

Collet débute son ouvrage « L’informatique a-t-elle un sexe ? Hackers, mythes et réalités » (2007) en exposant des chiffres pour le moins surprenants en rapport au taux d’utilisation d’internet selon le sexe. En 2006, les femmes

ne constituaient que 25% des usagers d’Internet en Europe, 18% au Japon et 4% au Moyen-Orient. Même si ce « gender gap » est moins marqué dans les pays nordiques et les Etats-Unis où l’utilisation d’Internet est plus fréquente, ces chiffres suscitent un certain nombre d’interrogations.

En 2003, Lafortune et Solar réalisent une étude au Québec sur les mathématiques, les sciences, les technologies et leur utilisation par les garçons et les filles. À la question : « Pensez-vous que les garçons sont meilleurs que les filles en informatique ? » Plus du tiers des garçons et des filles répondent par l’affirmative. Les filles justifient ce choix par l’intérêt porté à cette technologie : « pour une fille, un ordinateur est plus une ressource qu’un passe-temps » ou bien en affirmant « les filles se contentent pour certaines choses de simplement savoir l’utiliser sans savoir comment il fonctionne » (p.64.) Les garçons soutiennent de leur côté qu’ils sont plus aptes à comprendre la technologie et ses outils et que l’informatique nécessite parfois d’être « rude et persévérant » alors que les filles ont un caractère « plus doux qu’eux » (p.65).

2.6.5 Les filles, les sciences et l’école

Lafortune et Solar relèvent que les diverses recherches menées jusqu’au milieu des années nonante soutenaient certaines idées préconçues et croyances stéréotypées, telles que « le domaine des mathématiques est considéré comme un domaine réservé aux hommes », « les filles ont moins tendance à croire que les mathématiques sont utiles », « les enseignant-e-s accordent plus d’attention aux garçons qu’aux filles pendant les classes de mathématiques », « il existe une différence entre les perceptions des filles et des garçons face aux mathématiques : si ceux-ci réussissent, c’est parce qu’ils sont brillants, s’ils échouent, c’est parce qu’ils n’ont pas assez travaillé. Si les filles réussissent, c’est parce qu’elles ont travaillé dur et si elles échouent, c’est parce qu’elles ne se sont pas intelligentes. », etc. Ces auteures se réjouissent pourtant de constater que ces tendances évoluent avec le temps et s’améliorent peu à peu (2003, p.83). Soulignons, par exemple, que dans l’étude présentée plus haut, les deux tiers des filles et des garçons considèrent

que les compétences des filles et des garçons en informatique sont jugées équivalentes.

À l’instar de l’étude menée par Détrez (2006), citée dans un précédent chapitre, qui analysait les rôles du corps masculin et féminin dans les encyclopédies scientifiques, Collet a mené en 2007 une étude sur les livres documentaires de sciences, afin de relever quelle place avaient les filles dans les supports utilisés pour enseigner cette discipline. Celle-ci révèle que les femmes sont quasiment absentes des livres documentaires qui traitent des sciences, autant au niveau des noms des scientifiques de renom qui ont fait avancer la technologie que sur les images servant à illustrer des expériences.

Et très souvent lorsqu’elles sont présentes, « le ressort comique joue toujours sur les stéréotypes de sexes » ou alors elles observent les garçons à la tâche. Ainsi, trop d’ouvrages scientifiques demeurent encore sexistes en s’adressant plus volontiers aux garçons qu’aux filles et contribuent ainsi aux stéréotypes de sexes et à l’inégalité des représentations féminines dans ce domaine.

2.6.6 Les femmes et les professions scientifiques et techniques

Alaluf & Al. (2003) citent les travaux menés par Catherine Marry (2004) pour comprendre les facteurs qui jouent un rôle dans l’orientation professionnelle des femmes : dès leur enfance, celles-ci vont naturellement « intérioriser les normes et les comportements stéréotypés attendus des futures ménagères, des futures mères et des futures travailleuses » (p.21). Conscientes de l’investissement temporel et psychique que requièrent ces différents rôles à assumer, les femmes vont rapidement considérer maternité et carrière comme des projets entrant en contradiction. Alors que de leur côté, les hommes jugent les emplois « à responsabilité » comme « un prolongement de leur socialisation familiale et scolaire », conception facilitée de surcroît par l’idée que les tâches éducatives et domestiques sont assumées par les femmes. Il semble que le « coût de la transgression » soit « particulièrement élevé face aux professions scientifiques et techniques, dominées par les hommes et dans lesquelles les femmes ne seraient acceptées qu’à condition de s’aligner sur le modèle masculin. » (Marry, 2004, citée par Alaluf & Al., 2003, p.22).

Une autre approche retenue par Marry pour justifier la marginalisation des femmes dans les métiers scientifiques et techniques se base sur la dynamique de la féminisation, qui établit bien souvent un lien de cause à effet entre féminisation et dévalorisation d’une profession.

2.6.7 Les sciences à l’école

Avant tout, je souhaite m’attarder sur la notion de Science qui occupe une place particulière dans ce travail. Le Larousse en ligne lui prête plusieurs significations. La Science peut être défini comme un « ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales. » ; ce terme se rapporte également à « chacune des branches de la connaissance, du savoir (souvent pluriel) : Les sciences mathématiques. » et plus largement, au niveau littéraire, il s’applique à une

« connaissance approfondie d'un domaine quelconque, acquise par la réflexion ou l'expérience : La science du cœur humain. ». Dans le cadre de ce travail, les Sciences sont abordées comme des disciplines distinctes recouvrant les domaines des Sciences exactes et expérimentales.

À l’école publique genevoise, les mathématiques et les sciences occupent une place importante dans l’horaire scolaire. À raison d’environ six périodes hebdomadaires de Mathématiques et deux périodes de Sciences de la nature, les élèves consacrent un peu plus du quart de leurs apprentissages au domaine scientifique. Si nous nous penchons du côté du Plan d’études romand, les intentions générales pour ce domaine sont les suivantes :

Dans une société fortement marquée par les progrès scientifiques et technologiques, il est important que chacun possède des outils de base lui permettant de comprendre les enjeux des choix effectués par la communauté,[…]. Face aux évolutions toujours plus rapides du monde, il est nécessaire de développer chez tous les élèves une pensée conceptuelle, cohérente, logique et structurée, d’acquérir souplesse d’esprit et capacité de concevoir permettant d’agir selon des choix réfléchis. (PER)

Pour remplir ces intentions et développer les compétences recherchées, les enseignants sont tenus d’aborder les mathématiques et les sciences à travers un enseignement avant tout expérimental, basé sur la recherche et la réflexion. Les élèves doivent apprendre à développer une démarche expérimentale en formulant des hypothèses, en imaginant des stratégies d’exploration, d’expérimentation. Le but est d’éveiller l’intérêt de tous les élèves en leur proposant des situations d’apprentissages à la fois ludiques et concrètes qui les aident à comprendre les mécanismes et phénomènes qui fondent notre monde.

Certains sites internet, très bien conçus, offrent un panel d’activités scientifiques intéressantes et variées. L’association « Les Petits Débrouillards »2, par exemple, propose aux enfants des activités scientifiques et techniques et participe de manière significative aux débats de société sur l’éducation et la culture depuis 1984. Leurs lignes d’actions rejoignent les attentent du PER :

Faire découvrir la science en s’amusant, afin de créer une relation durable entre l’enfant et la culture scientifique.

Cultiver le plaisir de comprendre, d’échanger, de s’exprimer et de débattre.

Donner à l’enfant le goût de la démarche scientifique, faite de curiosité, de recherche de vérité, de liberté et d’initiative ; démarche qui se veut expérimentale, se référant au quotidien, invitant à prendre conscience de la portée et des limites de ses propres affirmations ; une démarche autorisant à tout remettre en question, faite de doute, d’ouverture et de générosité.

Développer le sens du partage, de la solidarité et du respect de l’autre, en favorisant l’implication active dans la vie de la société et dans un esprit d’ouverture au monde.

Une autre célèbre fondation de coopération scientifique pour l’éducation à la science, « La main à la pâte3 » dispose également d’un site internet riche en ressources. Son objectif principal est « d’aider les enseignants à découvrir et à enseigner la science et la technologie en mettant en œuvre une pédagogie d’investigation permettant de stimuler chez les élèves esprit scientifique, compréhension du monde et capacités d’expression ».

2 http://www.lespetitsdebrouillards.org/

3 http://www.fondation-lamap.org/

Ces quelques exemples montrent que les enseignants, dès le primaire, ne manquent pas de ressources pour proposer des leçons de sciences suffisamment attrayantes et captivantes pour susciter l’intérêt de tous les élèves au-delà de leur appartenance sexuelle.

III. PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE

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