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Les « filles majeures » dans les dictionnaires et traités de juristes au XVIII e

CHAPITRE I LES FEMMES CÉLIBATAIRE : UN STATUT SOCIAL ET UN

2. Les filles majeures : statuts, épithètes et représentations 23!

2.1 Les « filles majeures » dans les dictionnaires et traités de juristes au XVIII e

Il y a peu de manières de désigner les femmes sans mari aux XVIIe et XVIIIe siècles : certaines sont qualifiées de demoiselles, de filles et, à de rares occasions, par le stéréotype de la « vieille fille ». Un terme qui semble désigner le statut des femmes célibataires dans la société est celui de « demoiselle » ou « mademoiselle ». Il faut cependant faire attention à ce terme qui est polysémique. Dans la définition des linguistes de l’époque, mademoiselle est un « titre d’honneur qu’on donne aux filles & aux femmes des simples Gentilshommes, qui est entre la Madame bourgeoise, & la Madame de qualité22 ». Le terme sert aussi à désigner « toutes les filles qui ne sont point mariées, pourvû qu’elles ne soient pas de la lie du peuple, ou

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21 Robert Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France

moderne. La noblesse ‘’essence’’ ou rapport social ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 46, n°1 (janvier-mars 1999), p. 20.

22 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que

modernes, les termes des sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, Arnoud et Reinier Leers, tome 2, 1702, p. 170.

filles d’artisans23 ». Il est donc difficile d’utiliser le terme demoiselle comme témoignant d’un état matrimonial, à cause des nombreuses définitions qui l’entourent. C’est après la Révolution française que le terme sera associé à toutes les femmes célibataires24, on peut penser que la transition s’opère aussi vers la fin du XVIIIe siècle au Québec.

Les femmes célibataires pouvaient aussi être désignées comme étant des « filles ». Selon la définition de Furetière, ce terme désigne « l’état de celle qui n’a point été mariée. Croyez-moi, ne preferez point le nom de fille sçavante à celui de femme raisounable. (...) L’état des filles est un état de contrainte, & de sujettion. (...) Une jeune fille qui s’ennuye de la discipline domestique, cherche à s’affranchir de ce joug par le mariage. (...) Une vieille fille fait une ennüyeuse figure dans le monde25 ». Il s’agit donc d’un terme négatif, mais qu’on retrouve dans certains actes notariés et dans les recensements pour décrire les femmes non mariées. Par exemple, dans une donation entre Magdeleine et Marie-Anne Trottier Desaulnier, deux sœurs célibataires, il y a une clause qui concerne la transmission des biens si l’une se marie et l’autre « est morte fille26 ».

Il y a cependant un terme qui décrit exclusivement les femmes célibataires, c’est celui de fille majeure, un statut juridique qui fait foi de leur capacité à administrer leurs biens et à ester en justice. Dans la coutume de Paris, c’est à partir de 25 ans que les femmes deviennent des filles majeures, si elles ne sont pas mariées. Cela coïncide avec l’édit d’Henri II, qui fixe l’âge de la majorité matrimoniale à 25 ans pour les femmes et 30 ans pour les hommes,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 23 Ibid.

24Daniel Elmiger, « La longue vie de mademoiselle » [en ligne], Langues et cité, vol. 24, n°8 (2013), consulté le

27 juin 2016, http://publications.irdp.relation.ch/ftp/1396963406elmiger_languesetcite_24.pdf.

25 Furetière, op.cit., p. 919.

26 BAnQ-Q, Greffe du notaire Lepailleur de Laferté, Donation entre Magdeleine et Marie-Anne Trottier

probablement un des seuls éléments du droit coutumier qui est à l’avantage des femmes27. De par ce statut, les femmes célibataires sont autant « capables » juridiquement que les hommes. Ainsi, tous les actes notariés et procès qui concernent les célibataires sont accompagnés de la mention « fille majeure », souvent suivie de « usante et jouissante de ses droits », ce qui laisse penser que la spécificité de ce statut est bien connue par les femmes célibataires, les notaires et les hommes qui font affaires avec elles. Les juristes sont cependant discrets concernant ce statut, omission qui n’est probablement pas anodine. Ferrière se contente de mentionner que la « femme hors minorité́ et hors mariage est maîtresse de ses biens28 ». Généralement, les juristes ne font que mentionner que les filles majeures peuvent administrer leurs biens, peut- être un signe de « réprobation muette29 ».

En somme, il est difficile d’identifier des termes spécifiques pour décrire les femmes célibataires, mis à part le statut juridique de fille majeure. Le terme demoiselle, même s’il peut désigner les femmes non mariées, est polysémique et peut être un titre d’honneur qu’on donne aux femmes mariées. Le terme fille, connoté de façon négative, est quant à lui peu employé, du moins dans les sources. Pour comprendre le statut des femmes célibataires dans la société, l’historien doit prendre en compte une multitude de facteurs, qui ne se cantonnent pas seulement aux épithètes attribués aux femmes non mariées. L’origine sociale, la richesse et le travail sont autant d’éléments qui forgent l’identité de ces femmes sans mari. Il faut aussi

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27 Jean-Claude Bologne, Histoire du célibat et des célibataires, Paris, Fayard, 2004, p. 133.

28 Claude-Joseph de Ferrière, La science parfaite des notaires ou le moyen de faire un parfait notaire contenant

les ordonnances, arrêts et règlemens rendus touchant la fonction des notaires, tant royaux qu'apostoliques, Paris, Chez Cellot, 1771, p. 266. Cité dans France Parent et Geneviève Postolec, « Quand Thémis rencontre Clio : les femmes et le droit en Nouvelle-France », Les cahiers de droit, vol. 36, nº 1 (1995), p. 304.

29 Jean Portemer, « Le statut de la femme en France depuis la réformation des coutumes jusqu'à la rédaction du

code civil», dans Recueils de la Société Jean Bodin, tome 12, « La femme », Bruxelles, édition de la Librairie encyclopédique, 1962, p. 453.

prendre en compte une question difficilement perceptible dans les sources : pourquoi ces femmes sont-elles célibataires?