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Le célibat : un moment pour observer l’agentivité des femmes ? 44 !

CHAPITRE I LES FEMMES CÉLIBATAIRE : UN STATUT SOCIAL ET UN

3. Un célibat choisi ou imposé? 30!

3.4 Le célibat : un moment pour observer l’agentivité des femmes ? 44 !

L’historiographie anglo-saxonne s’est longtemps penchée sur la liberté que pouvait procurer le célibat (et le veuvage). Dans Liberty a Better Husband, Lee Virginia Chambers- Schiller, affirme qu’entre 1780 et 1840 le célibat pouvait offrir une grande liberté aux femmes69. Au Québec, cette question a largement été traitée par l’historiographie sur le célibat ecclésiastique. S’il est admis que ces femmes passaient de l’autorité parentale à une autorité ecclésiastique masculine70, il n’en demeure pas moins que certaines communautés religieuses féminines arrivèrent à obtenir des avantages aux premiers temps de la colonisation, en tant que pionnières de la colonie, comme le démontre Leslie Choquette71.

Ces pionnières, les fondatrices des principales communautés religieuses, comme Marie de l’Incarnation, ont fait l’objet de nombreuses études72. Ce sont cependant les études féministes qui vont se pencher plus amplement sur l’autonomie féminine en lien avec la

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68 Karine Pépin, Mariage et altérité : les alliances mixtes chez la noblesse canadienne après la Conquête (1760-

1800), Université de Sherbrooke, mémoire de maîtrise (Histoire), 2016, 203 p.

69Lee Virginia Chambers-Schiller, Liberty, a Better Husband: Single Women in America: The Generations of

1780-1840, New Haven, Yale University Press, 1984, 285 p.

70 Gabriella Zarri, « La clôture des religieuses et les rapports de genre dans les couvents italiens (fin XVIe-début

XVIIe siècles) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, n°26 (2007), p. 37-57. Colleen Gray démontre aussi que pour certaines supérieures l’administration de la communauté pouvait représenter une « pesante charge », Colleen Gray, The Congrégation de Notre-Dame, Superiors, and the Paradox of Power, 1693-1796, Montréal/Kingston, McGill-Queen's Press, 2007, p. 85.

71 Il y avait aussi de nombreuses embuches qui se dressaient devant elles, la société étant patriarcale, Leslie

Choquette, « ’’Ces Amazones du Grand Dieu’’ : Women and Mission in Seventeenth-Century Canada», French Historical Studies, vol.17, n° 3 (printemps 1992), p. 627-655.

72 Raymond Brodeur dir., Femme, mystique et missionnaire, Marie Guyart de l’Incarnation. Québec, Presses de

l’Université Laval, 2001, 387 p.; Leslie Choquette, ibid.; plus récemment voir les travaux de Dominique Deslandres, comme « Les pouvoirs de l’absence. Genre et autorité d’après Marie Guyart de l’Incarnation ».Dans Charpentier et Grenier, dir., Femmes face à l’absence, Bretagne et Québec (XVIIe-XVIIIe siècles), Collection Cheminements, CIEQ, 2015, p. 5-14.

vocation religieuse, certaines y voyant une volonté d’émancipation de la part de nombreuses femmes, comme l’a proposé Martha Danylewycz pour le XIXe siècle73. Pour ce qui est de la période moderne, Chantal Théry affirme que la prise du voile permet aux femmes d’avoir une reconnaissance qu’elles n’auraient pas eue en dehors des communautés religieuses, ainsi que de pallier au regard négatif porté par la société sur les femmes restées célibataires74. De nos jours, c’est plutôt la vision de Terrence Crowley qui domine pour ce qui concerne la période préindustrielle : il démontre que si les religieuses possèdent une certaine liberté dans la communauté, il est important de ne pas trop l’idéaliser, alors que la foi et les vœux d’obéissances restent des facteurs importants à prendre en compte75.

Cette question de l’autonomie, de l’agentivité, n’a toutefois pas été traitée pour les célibataires laïques au Québec. Il est particulier que certaines historiennes aient vu dans le célibat ecclésiastique une source d’émancipation, alors que pour la période préindustrielle – et même au-delà – le fait de rester célibataire sans prendre le voile, surtout pour les femmes de la bourgeoisie et de la noblesse, permet de toucher une partie du patrimoine de la famille, d’ester en justice et dans certains cas d’administrer leurs biens et de se lancer en affaire. Peut- être que le célibat laïc était une source d’émancipation pour ces femmes. Certains cas laissent le penser, comme deux de Marie-Anne Peuvret de Gaudarville ou de Jeanne Renaud D’Avesnes des Méloizes.

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73 Son étude aborde la relation entre le fait de prendre le voile et l’émergence du mouvement féministe dans le

monde catholique; Martha Danylewycz, « Les religieuses et le mouvement féministes à Montréal, 1890-1925 », chapitre 5 dans Profession religieuse. Un choix pour les Québécoises 1840-1920, Montréal, Boréal, 1988 [1987], p. 169-198.

74 Chantal Théry, « Imaginaire et pouvoir : nécromancie et parole alternative dans les récits des religieuses de la

Nouvelle-France », dans Laurier Turgeon (dir.), Les productions symboliques du pouvoir, XVIe -XXe siècle, Sillery, Septentrion, 1990, p. 125-135.

75 Terrence Crowley, « Women, Religion and Freedom in New-France», dans Jan Noel. Race and gender in the

Ces femmes, qui font partie de familles des élites de la colonie, perdent leurs parents alors qu’elles sont jeunes (Jeanne devient orpheline à 5 ans et Marie-Anne à 10 ans). Marie- Anne n’a qu’un frère qui est négociant aux Antilles et Jeanne a une sœur qui va rester célibataire toute sa vie et un frère qui se marie avec une Chartier de Lotbinière. Dans les deux cas, elles vont recevoir des lettres d’émancipations avant 25 ans et administrer leurs biens76. Pourquoi ces femmes, qui représentent un parti avantageux, sont-elles restées célibataires? On peut penser qu’il s’agit d’un choix individuel, car Marie-Anne possède deux seigneuries – Fossambault et Gaudarville – qu’elle va administrer et pour lesquelles elle prête foi et hommage en absence de son frère. Quant à Jeanne, elle va faire son noviciat chez les ursulines – son grand père, Nicolas Dupont de Neuville, étant prêt à payer la dote de 1000 livres –, mais finira par quitter la communauté : « Dieu ne lui avait pas donné la vocation religieuse, elle s’ennuya dans la clôture et sortit77 ». Son grand-père lui organise alors un mariage avantageux avec Jean-François Martin de Lino, un commerçant et procureur de roi. Elle refuse, même si cela coûte une maison à son grand-père, qui avait un arrangement avec de Lino concernant cette union78. Jeanne va rester célibataire le reste de sa vie, ayant refusé coup sur coup le voile et le mariage.

Ce n’est donc pas l’absence de biens pour constituer une dot qui empêche ces femmes de trouver un mari, encore moins leur statut social. Il ne s’agit pas d’un sacrifice afin de préserver le patrimoine dans les mains des hommes de la famille : avec le décès de Marie-

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76 BAnQ-Q, Fonds Conseil souverain (TP1), ordre d'expédier à Nicolas Renaud Davenne, écuyer, sieur

Desméloizes, officier dans les troupes du détachement de la Marine en Nouvelle-France, et Jeanne et Madeleine Renaud d'Avesnes Desméloizes, ses soeurs, des lettres d'émancipation, 27 avril 1716

77 Mère St-Thomas et l’abbé Georges Lemoine, Les Ursulines de Québec depuis leur établissement jusqu’à nos

jours, vol. 2, Québec, C. Darveau, 1878, p. 256.

78 Peter N. Moogk, « Martin de Lino, Jean-François », Dictionnaire biographique du Canada, Université

Laval/University of Toronto, vol. 2, 1969 [révisé en 1991], consulté le 23 juin 2016, http://www.biographi.ca/fr/bio/martin_de_lino_jean_francois_2F.html.

Anne, la lignée des Peuvret s’éteint et Jeanne a refusé un mariage avantageux. On peut aussi penser que comme elles ont « goûté » à la liberté que leur état procure, elles sont moins attirées par le mariage, comme le suppose Josette Brun pour les veuves79. Ce constat rejoint celui de Christine Adams qui affirme, avec le cas des sœurs de la famille Lamothe de Bordeaux, que le célibat pouvait être choisi et qu’il offrait une opportunité d’émancipation et une plus grande autonomie, surtout en ce qui a trait à la direction du ménage80.

Il faut donc considérer l’agentivité pour expliquer le célibat. L’histoire n’est pas faite que de stratégies familiales. La question du « choix » ou de l’imposition du célibat est d’une grande complexité. On ne peut expliquer le célibat avec des modèles simples. Cela ne veut pas dire qu’une réflexion sur le sujet est stérile. En brossant un portrait des motifs qui peuvent expliquer le célibat, on en vient à une meilleure compréhension de la famille, mais aussi des individus, dans les sociétés préindustrielle. Cela amène à croiser plusieurs facteurs, comme le contexte familial, le contexte historique et l’agentivité, pour tenter de comprendre le mystère de ces femmes qui n’ont malheureusement pas laissé de lettres – ou très peu – et de journaux intimes dans le Québec du XVIIIe siècle.

Conclusion

Cerner les représentations que pouvaient générer les femmes célibataires au XVIIIe siècle est une tâche complexe. Les épithètes, comme mademoiselle, sont souvent polysémiques et il est difficile de trouver un terme pour définir ces femmes sans mari, hormis celui de « fille majeure », un statut juridique. L’analyse de plusieurs facteurs est donc

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79 Il y a aussi plusieurs éléments à prendre en compte, comme les tensions qui pourraient émerger entre les

enfants du premier lit et le second époux, Josette Brun, op.cit., p. 39.

80 Christine Adams, « A Choice Not to Wed? Unmarried Women in Eighteenth-Century France », Journal of

nécessaire pour comprendre comment elles pouvaient être perçues par la société, surtout avec les sources lacunaires dont nous disposons pour cette période au Québec. Les célibataires devaient cependant être perçues différemment des veuves, comme l’historiographie le démontre.

Comprendre les motifs qui peuvent mener au célibat est aussi complexe. Nous avons brossé un portrait partiel des causes abordées par l’historiographie. Il en ressort qu’il est impossible de donner de grand modèle explicatif au célibat, mais qu’il faut prendre en compte plusieurs facteurs, comme le statut, le contexte familial, mais aussi le contexte historique, la Conquête par exemple ou les conjonctures économiques. Rester célibataire pour prendre soin de la famille, car les parents n’ont pas les moyens pour doter une fille ou parce qu’il y a une culture familiale propice au célibat, toutes ces raisons peuvent être évoquées pour justifier le célibat, sans omettre l’agentivité. Même dans une société patriarcale, les femmes ont une capacité d’agir sur leur vie, de choisir de prendre époux ou non, en témoigne Jeanne Renaud d’Avène Desmeloises. Le prochain chapitre abordera plus en profondeur le contexte familial, très important pour comprendre le travail des femmes célibataires et leur rôle dans la famille.

CHAPITRE II – LE TRAVAIL, LA TERRE ET LA FAMILLE : LES FEMMES