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FIGURE 5 : PROCESSUS DE DISSONANCE COGNITIVE

La stratégie de réduction pourrait ici être mise en lien avec les stratégies de réduction des écarts identitaires défendues par DUBAR. Ainsi, suite à des éléments dissonants, l’individu décide de devenir autre. La transformation de soi serait alors plutôt liée à l’évitement de l’état d’inconfort motivationnel.

Stratégie de réduction Etat d’inconfort motivationnel =

dissonance cognitive Deux cognitions

Les éléments susmentionnés apportent un éclairage particulier sur les parcours de reconversion professionnelle et les enjeux que cela suppose au niveau cognitif et conatif.

Au-delà du signal qu’offre l’accès à une formation puis l’obtention du diplôme correspondant, nous avons vu que pour passer d’une identité à l’autre, le processus de socialisation semble indispensable, comme étape préparatoire. Les identités héritées jouent un rôle prépondérant, en tant que base. Le parcours de l’individu en reconversion n’est pas sans hésitations : les chercheurs ont pu montrer le cheminement individuel que cela suppose. En termes de développement individuel, le concept d’autoformation nous a permis de regarder la reconversion par la formation comme appropriation par excellence de son pouvoir sur son projet de formation. Enfin et nous clôturerons notre cadre théorique ici, la notion de construction identitaire est au cœur de notre réflexion puisque entre continuité et rupture nous avons vu combien le passage d’un état à un autre était contraignant. Les résultats des recherches précédentes ainsi posés, nous pouvons à présent exposer notre problématique.

III- PROBLEMATIQUE

Quels sont les facteurs conditionnant la réalisation d’une reconversion professionnelle volontaire ? Notre question initiale porte en effet sur les modalités de la reconversion professionnelle et notre travail bibliographique a consisté à délimiter le champ de notre recherche. Notre objectif principal est de déterminer, les processus en jeu dans une phase de transition professionnelle à dessein de reconversion, après une formation.

D’un point de vue opérationnel, nous avons orienté notre travail vers le CIF. Ce dispositif, institué en 1971, inscrit dans la règlementation de la formation professionnelle est le plus ancien et permet à tout salarié d'accéder à un niveau supérieur de qualification, de changer d'activité ou de profession, de perfectionner des connaissances dans le domaine culturel ou social, de se préparer à l'exercice de responsabilités associatives bénévoles, ou de préparer et passer un examen pour l'obtention d'un titre ou d'un diplôme enregistré dans le répertoire national des certifications professionnelles.

Dans la présente recherche, ce qui retient notre attention c’est la reconversion. En effet, la majorité des CIF à La Réunion concerne la reconversion professionnelle.

Dans le cadre du CIF, le salarié a un an maximum pour effectuer sa formation, année après laquelle il doit quitter son activité ou reprendre son poste dans son entreprise d’origine. Cette démarche demande donc une réflexion préalable compte tenu du temps imparti pour éventuellement changer d’activité. Les FONGECIF s’attachent aujourd’hui à précisément déterminer avec le salarié le parcours envisagé en procédant à l’analyse de ses besoins en le conseillant sur l’élaboration, la validation et la réalisation du projet.

Nous l’avons évoqué en introduction, l’enquête nationale diligentée en 2011 par le Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels, menée par IPSOS, avait pour visée l’évaluation de l’impact du Congé Individuel de formation sur l’évolution professionnelle des bénéficiaires ayant entamé un parcours en 2010. Cette enquête présente le CIF comme « moteur essentiel de l’ascenseur social ». Ainsi, il est rapporté que la « promotion sociale » est un objectif poursuivi par la moitié des bénéficiaires.

Ces statistiques retiennent notre attention. En effet, ce qui nous intéresse, c’est de déterminer pourquoi un individu après avoir suivi une formation, et dans une grande

majeure partie des cas, après avoir validé un diplôme ou une qualification, décide d’interrompre son parcours de reconversion et de regagner son entreprise d’origine. A noter que nous ne considérerons pas la reconversion professionnelle en termes de changement de catégorie socio-professionnelle. Tous les types de reconversion par la formation nous intéressent, puisque c’est la notion de changement qui est au cœur de notre investigation.

Nous savons que la démarche pour organiser un départ en CIF peut être fastidieuse. En effet, l’autorisation de l’employeur ne s’obtient parfois qu’après de longues négociations, et le départ en formation peut réglementairement être différé de neuf mois, s’il engendre des conséquences préjudiciables au bon fonctionnement de l’entreprise.

Nous avons également remarqué que le parcours en amont de la reconversion par le biais du CIF est jalonné d’un certain nombre d’étapes censées sécuriser la démarche.

Dans un premier temps, les demandeurs réalisent un bilan de compétences qui leur permet de vérifier la cohérence de leur projet professionnel. De plus, ils sont accompagnés en collectif et en individuel et ces moments d’échanges sont l’occasion d’obtenir des informations techniques sur le CIF mais aussi de considérer les probabilités de réalisation du projet avec un conseiller. La dernière étape est la validation de la demande par une commission paritaire garante de la viabilité du projet selon des critères préalablement définis.

Dès lors, se posent les questions suivantes :

- Quelles sont les conditions de la réalisation d’un parcours de reconversion par le CIF ? - Pourquoi interrompre un parcours de reconversion ?

- Les raisons structurelles liées au contexte économique suffisent-elles à expliquer cette interruption puisque qu’une analyse du marché de l’emploi ou une étude de marché sont réalisées pendant la construction du projet?

- L’individu était-il inscrit, à l’origine du projet, dans une démarche de fuite d’une situation perçue comme inconfortable ?

- Quelles conséquences entraînent cette interruption?

Notre revue de littérature s’est d’abord orientée vers la notion de capital humain dans le parcours professionnel, en partant du postulat que la formation est un investissement. Nous garderons cet angle de réflexion en tentant de savoir si la reconversion est un moyen d’accéder à un niveau de qualification supérieur faisant ainsi de cette démarche un investissement rationalisé vers une reconnaissance par le diplôme.

Ensuite, nous avons puisé à la fois dans la psychologie en insistant sur les dynamiques individuelles dans les phases de transition, et dans la sociologie en tant que toile de fond d’un processus de transformation identitaire.

Nous l’avons vu, mis à part quelques travaux sur les transitions, les recherches françaises sur la reconversion professionnelle par la formation sont rares. Les réflexions concernant l’impact des formations également. Néanmoins, les recherches utilisent dans un cadre théorique en émergence, des notions que nous prendrons en compte dans la présente démarche. A titre d’exemple, l’essor récent de la notion de reconversion professionnelle volontaire (NEGRONI, 2007), de la notion de dynamique identitaire (BARBIER, 1996), des motifs d’engagement en formation (CARRE, 2001) s’inscrivent directement ou indirectement dans le champ global du rapport à la formation en vue d’une reconversion professionnelle. Si toutes ces études s’accordent à dire que l’individu met en place des stratégies en vue de se construire une nouvelle forme, sous entendant un nouveau statut professionnel ou social, il convient néanmoins de décrire les conditions de cette remise en question. Ce sont précisément les modalités de cette remise en question qui nous semblent intéressantes à analyser.

Notre démarche prend donc appui sur deux recherches récentes. Celle de NEGRONI (2007) tout d’abord, qui a permis de déterminer le processus de reconversion professionnelle volontaire comme une démarche en cinq étapes et qui a mis en évidence les types de reconversion professionnelle. Ensuite, la réflexion de CARRE (2006), a permis d’isoler les lois de la motivation que nous appliquerons au processus de reconversion, en nous intéressant aux concepts de la valeur, de l’auto-efficacité et de l’autodétermination.

S’il s’agit de classifier les types de reconversion comme l’a fait SCHLOSSBERG ou plus récemment NEGRONI (2007), notre volonté est aussi de montrer que la démarche est révélatrice des dynamiques identitaires en jeu dans le processus de redéfinition de soi. C’est bien l’individu face à son changement d’emploi en tant qu’étape de son parcours professionnel qui retiendra notre attention ainsi que le sens donné à ce changement.

En outre, nous tenterons de comprendre la place donnée à la formation dans un parcours de reconversion.

- Pourquoi avoir choisi la formation par le biais du CIF pour changer de métier ? Quel est le sens donné à cet investissement ?

- Quelle était la représentation initiale de la formation ?

- Pourquoi après cette période d’investissement intellectuel, décider de ne pas poursuivre dans la voie de la reconversion ?

D’ores et déjà nous nous posons la question du sens donné à la reconversion dans un contexte insulaire où le chômage touche plus de 30% de la population. En effet, plusieurs constats permettent de déterminer l’enjeu de la reconversion professionnelle dans son ensemble, à La Réunion. Le contexte économique tout d’abord n’offre que peu de possibilités d’évolution de carrière dans les entreprises locales. Ensuite, l’offre de formation sur l’île est restreinte, plus généraliste que spécialisée en raison notamment d’un tissu économique local composé essentiellement d’entreprises de services ou de commerces. Nous pourrions d’emblée considérer que les reconversions professionnelles qui n’aboutissent pas sont liées à des situations conjoncturelles non favorables.

Cependant à considérer l’individu candidat à un changement de métier comme un sujet social « agissant », acteur et auteur de son parcours, on ne peut attribuer l’abandon du projet aux seuls facteurs externes.

A ce niveau de la réflexion, nous pouvons conjecturer que la reconversion professionnelle par la formation est la manifestation d’une stratégie identitaire entre rupture et continuité. La reconversion professionnelle oscillerait ainsi entre la

notion de rupture en tant que déstructuration de l’identité antérieure, et continuité en tant qu’orientation vers une nouvelle forme identitaire.

Notre réflexion théorique préalable nous a permis de constater que les facteurs de la reconversion professionnelle seraient multiples. La socialisation en tant qu’appropriation de normes et valeurs d’un groupe de référence par avance (MERTON, 1997) fait partie de nos préoccupations. Nous essayons de comprendre si l’individu en amont de sa formation, était dans une démarche de « socialisation anticipatrice » ou si au contraire l’identification au groupe professionnel « cible » n’est pas linéaire et progressive comme le soutiennent MEGEMONT et BAUBION (2001). Nous accorderons une importance particulière à la stratégie déployée.

L’importance de la motivation dans le cadre d’un projet de vie, en tant que processus dynamique a bien été étudiée par DECI et RYAN puis CARRE (2007). De la motivation extrinsèque à la motivation intrinsèque, la dynamique d’engagement en formation est primordiale dans le cadre d’un projet : « la personne agissante n’est plus vue comme « acteur » dont le « jeu » est largement déterminé par des forces internes (biologiques, inconscientes) ou externes (stimuli, origine sociale), mais comme un

« sujet social » capable d’autodétermination ». (CARRE, 2001, p.30). Les motifs d’engagement en formation constituent ainsi une base pour notre analyse du processus de reconversion.

Nous voulons ainsi prendre en compte l’impact du processus formateur sur la reconversion professionnelle. La persistance du projet serait ainsi analysée dans le cadre de la formation d’adultes en envisageant aussi la portée et les limites de la formation dans un processus de transformation de soi. A ce titre, nous convoquerons des concepts issus des recherches sur le sentiment d’efficacité personnelle, l’autodétermination et le projet en nous inspirant de la conceptualisation de CARRE (2001).

Nous nous plaçons par ailleurs, dans le courant bio-épistémologique de l’autoformation au sens où la formation incarnerait un « processus existentiel de mise en forme personnelle et de production de sens » tel que le définit GALVANI (1999). Nous verrons comment un individu s’approprie son processus de formation. En plus de l’analyse des objectifs de la formation en tant qu’acquisition de connaissances

nécessaires à l’exercice d’un nouveau métier, c’est la finalité qui nous importe, à savoir le rôle de la formation dans l’évolution de l’individu candidat à une reconversion professionnelle. Cette reconversion se dessine dans une nouvelle identité professionnelle, propre à chaque individu. Dans le cas d’une reconversion abandonnée, nous verrons si le contrôle exercé joue un rôle déterminant.

Notre approche se réfère également aux transactions biographique et relationnelle, soit la transaction entre identité héritée et identité visée et entre l’identité pour soi et l’identité pour autrui. Sans oublier les quatre formes identitaires mises en exergue par DUBAR (1998) :

- la forme biographique pour autrui ou le sentiment d’appartenance à un groupe

- la forme relationnelle pour autrui, l’identification à différentes sphères de la vie sociale - la forme relationnelle pour soi, ce que l’individu souhaite mettre en avant

- la forme biographique pour soi ou le soi narratif, recherche de reconnaissance et de continuité.

Dans le prolongement, nous distinguerons la reconversion professionnelle-continuité, en tant que manifestation d’un héritage du passé, de la reconversion professionnelle-rupture en tant que manifestation d’une crise identitaire.

Nous proposons ainsi une schématisation de notre problématique selon une dichotomie : rupture et continuité, qui correspondrait respectivement à la réalisation ou non de la reconversion professionnelle.