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Partie 5 : Le système visuel et la protéine FMRP

5.1 La rétine, un tissu « périphérique » jouant un rôle central

5.1.4 Le feuillet interne de la rétine : la rétine neurale

La rétine neurale est l’emplacement clé des phénomènes de réception et de transmission de l’information lumineuse. Ces fonctions peuvent être assurées grâce à une organisation rigoureuse des différentes cellules qui composent ce tissu en couches distinctes. Chacune d’entre elles jouent un rôle bien précis dans le fonctionnement rétinien.

Les cellules photoréceptrices

Les photorécepteurs des vertébrés sont des neurones très spécialisés, responsables de la perception des rayons lumineux et de leur conversion en signal électrique compréhensible par le système visuel. Morphologiquement, ces cellules sont composées d’un segment externe capable de traduire l’information lumineuse en un signal électrique, et un segment interne qui n’est autre que le corps cellulaire contenant le noyau et l’ensemble des organites nécessaires au métabolisme cellulaire (Figure 31). Le segment interne se termine par un prolongement synaptique lui permettant d’établir le contact avec les cellules neuronales de la couche immédiatement inférieure, en particulier les cellules bipolaires. C’est le segment externe des photorécepteurs qui est la partie sensible à la lumière. Il est composé selon une structure lamellaire, orientée perpendiculairement à l’axe du photorécepteur, qui contient les photopigments.

Figure 31 : Représentation schématique de cellules photoréceptrices de type bâtonnet et de type cône.

Il existe 2 catégories de photorécepteurs : les cônes et les bâtonnets. Bien que très similaires du point de vue de leur constitution, ces 2 types cellulaires différent non seulement par leur morphologie mais aussi par leur fonction.

D’un point de vue morphologique, les bâtonnets ont un segment externe cylindrique, composé d’un empilement de saccules ou disques. Ceux-ci sont contenu à l’intérieur de la membrane plasmique, et en sont donc complètement séparés. Le segment interne des bâtonnets est fin et allongé. A l’inverse, les cônes ont un segment externe avec une structure lamellaire composée de repli de la membrane plasmique sur elle-même. De plus, le segment interne des cônes est plus large et plus court que celui des photorécepteurs de type bâtonnet (Figure 32).

Pour ce qui est de la fonction, les bâtonnets se caractérisent par un seuil de stimulation très bas (1 seul photon suffit à les stimuler), alors que les cônes ont un seuil de stimulation beaucoup plus élevé (une centaine de photons). Ainsi, en condition lumineuse normale, c’est-à-dire en lumière du jour, les bâtonnets sont saturés et seuls les cônes sont en mesure d’encoder l’intensité lumineuse reçue par la rétine. Les cônes possèdent alors une très bonne résolution spatiale. Cependant, les bâtonnets sont de bons détecteurs des faibles luminosités, situations dans lesquelles les cônes ne sont pas actifs de par leur

Figure 32 : Images par microscopie électronique de bâtonnets (à gauche, rods) et de cônes (à droite, cones) de primate.

Les photorécepteurs de type bâtonnet sont plus fins et allongés, tandis que les photorécepteurs de type cône sont plus courts et larges. Notons aussi la différence de taille des segments externes entre ces deux types cellulaires. o.s. : segment externe ; i.s. : segment interne. Barre d’échelle : 3 µm. Un agrandissement (en haut à droite, barre d’échelle : 0,1 µm) permet d’apprécier la structure lamellaire, composée de disques, des segments externes des cellules photoréceptrices.

seuil de stimulation trop élevé. De plus, les cônes assurent la vision des couleurs, tandis que les bâtonnets fournissent une vision achromatique. Enfin, les bâtonnets contiennent plus de pigments photosensibles que les cônes, et le renouvellement des disques de leur segment externe est plus rapide (Figure 33).

Chez l’homme, les cônes sont localisés en forte densité dans et près de la fovéa (150000 à 180000 cônes/mm²), et plus on s’éloigne de l’axe optique, plus la densité des photorécepteurs de type cône diminue (6000 cônes/mm² à 1,5cm de la fovea) et celle des cellules de type bâtonnet augmente (environ 8000 batonnets/mm² à 4cm de la fovea) (Osterberg, 1937) (Figure 34). Ceci explique les différences fonctionnelles entre la rétine centrale et la rétine périphérique. Chez la souris, qui est un animal nocturne, la densité des bâtonnets est plus importante pour assurer la vision de nuit. La rétine murine ne présente pas de pic de densité de cônes. Les densités de cônes et de bâtonnets sont peu variables entre la zone centrale de la rétine et son immédiate périphérie (Masland, 2012).

Figure 34 : Représentation graphique de la densité des deux types de photorécepteurs en fonction de la distance à l’axe optique.

Les photorécepteurs de type cône sont fortement concentrés au centre de la rétine, tandis que les photorécepteurs de type bâtonnet sont présents de manière plus périphérique.

adapté de Osterberg et al. 1937

Le photopigment des bâtonnets est la rhodopsine. Représentant à elle seule 90% des protéines du segment externe des bâtonnets, la rhodopsine est la protéine majeure des membranes des disques. Elle résulte de l’association d’une macromolécule protéique, nommée opsine, avec un chromophore, le 11-cis rétinal. L’opsine s’enroule sur elle-même pour former 7 hélices transmembranaires (Hargrave et al., 1984) (Figure 35A). L’extrémité N-terminale est intradiscale, tandis que la C-terminale est dans le cytoplasme du segment externe (Figure 35A). Le cis rétinal est confiné à l’intérieur de la chaine de l’opsine, de manière parallèle à la membrane du disque. La structure chimique de l’opsine se compose d’un cycle carboné associé à une chaine hydrocarbonée, terminée par un aldéhyde, présentant une alternance de liaisons simples et de liaisons doubles (Figure 35B).

Figure 35 : Photopigment des cellules de type bâtonnet.

(A) Structure moléculaire de la rhodopsine et son insertion dans la membrane des disques des segments externes des photorécepteurs. Les domaines transmembranaires de la protéine sont indiqués en chiffres romains.

(B) Molécule de rétinal. Le 11-cis rétinal s’isomérise en tout-trans rétinal sous l’effet d’une photostimulation.

adapté de Hargrave et al. 1984 et de Lehninger Principles of Biochemistry 5th edition

La liaison du 11-cis rétinal à l’opsine entraine un déplacement de ses électrons π, ce qui rend la molécule particulièrement sensible à l’excitation photonique (Figure 35B). Ces électrons sont particulièrement excités par les longueurs d’onde élevées, d’où un maximum d’absorption de la rhodopsine à 498 nm. Le photopigment des cônes, l’iodopsine, est similaire à la rhodopsine. Elle se compose elle aussi d’une molécule de 11-cis rétinal reliée à une opsine. Cependant, dans les cônes, il existe différentes opsines, chacune ayant une spécificité qui confère au photopigment une longueur d’onde d’absorption qui lui est propre. Ainsi les cônes se distinguent en 3 catégories selon qu’ils possèdent une opsine absorbant à 450nm, 520nm ou 560nm. Respectivement, ce sont alors des cônes sensibles à la lumière bleue (cônes S, « short »), verte (cônes M, « medium ») ou rouge (cônes L, « long ») (Brown and Wald, 1963; Dowling, 1987) (Figure 36).

Les segments externes des cellules photoréceptrices, cônes comme bâtonnets, sont constamment en renouvellement. La partie apical d’un photorécepteur est entourée par les microvillosités des cellules de l’EPR. Ces dernières vont assurer la phagocytose d’un morceau de segment externe (les disques les plus externes) afin de le cliver et le séparer du photorécepteur. Le phagosome ainsi extrait sera transporté dans le cytoplasme de la cellule de l’EPR afin d’être totalement lysé. Cette destruction progressive du segment externe du photorécepteur est compensée par l’assemblage, à sa base, de nouveaux disques. Cet équilibre entre destruction et création assure le maintien d’une longueur constante du segment externe du photorécepteur.

Figure 36 : Longueurs d’onde d’absorption des différents types de cônes. La courbe en noir représente l’absorption des bâtonnets.

Les cellules bipolaires

Les cellules bipolaires sont localisées au sein de la couche nucléaire interne. Leurs prolongements dendritiques projettent pour part dans la couche plexiforme interne afin de réaliser un contact synaptique avec les cellules photoréceptrices. Elles reçoivent ainsi les influx nerveux nés dans les photorécepteurs. D’autre part, leurs prolongements axonaux projettent dans la couche plexiforme interne. Dans cette couche, les cellules bipolaires peuvent transmettre l’information reçue aux neurones situés en aval dans la chaine neuronale rétinienne : les cellules ganglionnaires. Les cellules bipolaires ne créent pas de potentiel d’action. L’information est conduite de manière purement électrique le long de la membrane cellulaire. Deux types de cellules bipolaires sont distingués d’après leur mode de fonctionnement : les cellules bipolaires ON et les bipolaires OFF. Les premières entrent en activité en condition lumineuse alors que les secondes sont actives en condition d’obscurité.

Les cellules ganglionnaires

Situées dans la couche la plus interne de la rétine neurale, les cellules ganglionnaires sont les derniers relais de la chaine des neurones rétiniens. Tout comme pour les cellules bipolaires, les cellules ganglionnaires se distinguent en deux catégories, les cellules ON et les cellules OFF, actives ou inactives selon les conditions lumineuses. Elles reçoivent de manière sélective les informations provenant des cellules bipolaires, elles-mêmes sélectives selon les conditions lumineuses, mais aussi des cellules amacrines. Les axones des cellules ganglionnaires constituent la fibre sortant de la rétine pour rejoindre l’encéphale. Ils se rejoignent en un seul point de la rétine, qui représente le départ du nerf optique. Dans cette région, aucune cellules photoréceptrices ne peut percevoir les rayons lumineux, donc aucune information sensorielle ne peut être générée. Cette perte d’informations explique la présence d’un point aveugle dans le champ de vision.

Les cellules horizontales et amacrines

Les cellules horizontales et amacrines sont des cellules dites d’association. Elles sont localisées toutes les deux dans la couches nucléaire interne. Les premières se situent dans la partie externe de cette couche, proche de la couche plexiforme externe, tandis que les deuxièmes se situent près de la couche plexiforme interne. Les cellules horizontales réalisent des contacts synaptiques avec les cellules photoréceptrices mais aussi avec des cellules bipolaires. De plus, elles communiquent entre elles grâce à des jonctions gap. Cette architecture permet une transmission horizontale d’informations : un photorécepteur transmet ainsi à plus de cellules bipolaires, et une cellule bipolaire reçoit des informations provenant de plusieurs photorécepteurs. Les cellules amacrines réalisent une fonction similaire entre les cellules bipolaires et les cellules ganglionnaires. Ces cellules permettent donc une distribution centrifuge de l’information visuelle au sein de la rétine.

Les cellules gliales de la rétine

La rétine possède 3 types de cellules gliales : les cellules de Müller, les astrocytes et les cellules microgliales.

Les cellules de Müller sont les cellules giales majoritaires de la rétine. Ces cellules macrogliales traversent toute l’épaisseur de la rétine, et sont capitales dans le maintien de la structure et du métabolisme de la rétine (Figures 37 A et B). En effet, ces cellules sont polarisées, avec un corps cellulaire localisé dans la couche nucléaire interne et deux extensions qui s’étendent de manière opposée. D’un côté une extension forme des microvillosités pour entourer les photorécepteurs, et de l’autre une extension constitue un pied au niveau de la limite interne de la rétine. Ces cellules sont donc dites radiaires, et sont parallèles l’une par rapport aux autres. Chaque cellule de Müller s’associe avec des neurones de chaque couche rétinienne traversée et réalise des interactions métaboliques et fonctionnelles avec eux. Ainsi chaque cellule de Müller constitue le squelette d’une colonne cellulaire. A titre d’exemple, chez l’homme, une cellule de Müller est entourée d’environ 15 neurones, dont 10 photorécepteurs environ (Reichenbach and Bringmann, 2010). La cellule de Müller jouent ainsi un rôle très important dans la capture des neurotransmetteurs libérés par les terminaisons synaptiques des différents neurones, et permet d’éviter les effets d’excitotoxicité. La cellule de Müller peut ensuite délivrer ses neurotransmetteurs, métabolisés ou non, aux neurones voisins. Elle régule donc de manière indirecte l’activité neuronale de la rétine. En particulier, la cellule de Müller métabolise le glutamate en glutamine, essentielle au fonctionnement neuronal (Bringmann et al., 2006). Les cellules de Muller participent également au métabolisme lipidique de la rétine, à la régulation du pH par la capture du dioxyde de carbone et au stockage du glycogène et sa glycogènolyse (Reichenbach and Bringmann, 2010). Enfin, elle est impliquée dans le maintien de la fonction des photorécepteurs en secrétant des facteurs de croissance et des facteurs tropiques nécessaires à leur survie (Shen et al., 2012). La cellule de Müller assure donc tout un panel de fonctions impliquées dans la régulation du métabolisme de l’ensemble des neurones rétiniens.

Les astrocytes sont des cellules macrogliales. Elles sont localisées au niveau de la couche des fibres nerveuses, à la surface de la rétine interne. La fonction principale des astrocytes est d’orienter et de faire migrer les cellules endothéliales afin de former le réseau vasculaire superficiel de la rétine. C’est pourquoi les astrocytes, qui ont une morphologie étoilée, forment un réseau en forme de nid d’abeille qui servirait de support pour le développement du système vasculaire rétinien (Dorrell et al., 2002). Cette trame permettrait de maintenir l’intégrité du système vasculaire tout en le limitant pour éviter la fuite et la migration de vaisseaux vers le vitré de l’œil (Zhang and Stone, 1997). Les astrocytes et les cellules de Müller peuvent communiquer par le biais de jonction gap (Newman, 2003).

Localisées dans les couches plexiformes interne et externe, les cellules microgliales sont les principales cellules immunitaires de la rétine en condition physiologique. En condition pathologique, elles s’activent et s’accumulent dans l’espace sous rétinien, avant de migrer vers les zones endommagées.

La rétine est par conséquent un tissu neurosensoriel particulièrement stratifié et spécialisé, permettant une perception et une transmission de l’information lumineuse très organisée.

Figure 37 : Marquages immunohistologiques de cellules de Müller.

(A) Cellules marquées (en vert) dans une coupe de rétine de cochon d’inde. Cellules marquées par Mitotracker Orange. GCL : couche des cellules ganglionnaires ; IPL : couche plexiforme interne ; INL : couche nucléaire interne ; OPL : couche plexiforme externe ; ONL : couche nucléaire externe. Barre d’échelle : 20 µm. Adapté de Bringmann et al. 2006.

(B) Cellules marquées (en vert) dans une coupe de rétine poisson zèbre. Marquage de la glutamine synthétase (en vert). Adapté de Phillips et al. 2011.

Les cellules de Muller traversent l’intégralité de la rétine afin d’assurer ses multiples fonctions et jouer un rôle structurant.