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Les femmes possèdent un meilleur statut dans les minorités chiites et chrétiennes

Communautés et développement

3- Les femmes possèdent un meilleur statut dans les minorités chiites et chrétiennes

Le taux d’activité féminin est en forte hausse en Syrie et au Liban, passant de moins de 10% en 1970 à respectivement 40% et 35% en 200621. Le secteur public est davantage développé en Syrie, ce qui offre plus d’emplois pour les femmes. Dans la société orientale, le fait qu’une femme reçoive de l’argent d’un autre homme que son père ou son mari est toujours mal considéré, ce qui limite l’accès des femmes au secteur privé. En revanche, travailler pour l’Etat est considéré comme neutre.

L’accès des femmes à l’éducation est encore limité dans les familles musulmanes conservatrices, notamment rurales. Il n’est pas question de laisser les filles se rendre en ville pour étudier, autant pour une question de coût que de surveillance. La fille étant destinée à se marier, son futur salaire profitera à son mari et non à ses parents, par conséquent l’investissement financier dans ses études ne se justifie pas aux yeux de nombreuses familles. Dans le Nord de la Syrie l’écart d’alphabétisation entre hommes et femmes dépasse les 20%. Seule la gratuité scolaire permet de réduire progressivement le déséquilibre d’alphabétisation. Paradoxalement, en Syrie comme au Liban, les filles sont plus nombreuses à poursuivre leurs études supérieures que les garçons. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elles occuperont une place dominante dans la société. Si les filles poursuivent davantage leurs études dans le supérieur que les hommes, c’est parce qu’elles n’ont pas à se soucier des frais du mariage, de l’achat d’un logement et de son équipement. En revanche, les hommes doivent rapidement trouver un travail rémunérateur pour assumer cette charge énorme. Or les longues études universitaires, qui débouchent au mieux sur un emploi dans la fonction publique, vont à l’encontre de cette logique.

La forte augmentation des femmes diplômées du supérieur provoque une augmentation du célibat féminin, car les hommes refusent souvent de se marier avec une femme plus diplômée qu’eux. Nous retrouvons un phénomène mis en évidence par les anthropologues en France fin XIXème – début XXème lorsque les femmes commencèrent à devenir plus nombreuses dans l’enseignement et les emplois de services administratifs. C’était l’époque des institutrices que l’on appelait « mademoiselle » jusqu’à leur retraite ; ces femmes indépendantes qui faisaient peur aux hommes. Nous avons là un facteur supplémentaire de relatif déclin démographique des alaouites, des druzes et surtout des chrétiens, malgré la pression que peut encore exercer la société orientale pour que les individus se marient. Là encore, ce phénomène est beaucoup plus marqué chez les musulmans que chez les chrétiens.

Dans le Rendez-vous des civilisations22 la comparaison avec la France déchristianisée du XIXème siècle, où triomphe le malthusianisme, est très pertinente pour expliquer la baisse de la fécondité dans

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Balanche Fabrice, « Les femmes prennent une part croissante dans la vie économique », Atlas du Proche Orient arabe, Paris, PUPS, 2011, pp. 56-57.

22« Ce que met en évidence l’histoire démographique de l’Europe, c’est l’existence d’une double détermination menant au contrôle des naissances, de deux conditions également nécessaires : la hausse du niveau éducation et la baisse de la pratique religieuse, deux phénomènes qui sont évidemment liés mais dont l’association n’est ni simple ni instantanée ». Courbage Youssef et Todd Emanuel, opus cité, 2007, p. 23

les différentes communautés au Proche-Orient. Ce détachement par rapport aux préceptes de la religion, grâce aux progrès de l’éducation entraîne la chute de la fécondité dans les communautés chrétiennes, puis les minorités chiites hétérodoxes. Youssef Courbage fait cependant observer que les communautés chiites (alaouites, druzes, ismaéliens et duodécimains) ont une composante matriarcale plus forte que les sunnites, ce qui explique que le niveau d’éducation des femmes progresse plus vite. Le cas de la communauté alaouite est exemplaire en ce sens puisqu’en deux générations nous sommes passés d’un analphabétisme généralisé chez les femmes à une alphabétisation totale et à une sortie de la transition démographique. La volonté des familles sunnites d’avoir absolument un fils (pour des raisons d’héritage) contribue également à bloquer la fécondité au- dessus de 3 enfants par femme dans les zones sunnites, alors qu’elle est tombée à 2 enfants par femme dans la plupart des zones chiites de Syrie.

Certes, depuis plusieurs décennies, les différences en matière d’éducation se résorbent entre les communautés. L’urbanisation généralisée et la diffusion de la scolarisation gratuite permettent en théorie de promouvoir toute la population indépendamment de l’appartenance communautaire, ce qui n’était pas le cas il y encore un demi-siècle. Cependant les décalages liés aux différences historiques demeurent, même si une communauté comme les alaouites a réussi à combler son retard rapidement. Les chrétiens conservent encore un certain avantage au Liban grâce à leurs réseaux d’écoles privées, mais elles ne leur sont pas réservées et elles seraient en faillite sans les inscriptions des élèves musulmans. L’avantage global des chrétiens provient plutôt du capital culturel accumulé depuis deux siècles. Aujourd’hui, les différences en matière d’éducation relèvent davantage du niveau de richesse que de la confession.

A nos yeux, le critère communautaire est pertinent dans l’analyse des niveaux de développement. La simple observation révèle des différences de niveau de développement liées à l’appartenance à une communauté ou une autre. La religion n’est pas responsable du retard ou de l’avancée vers la modernité - toute religion est conservatrice - c’est davantage la pratique ou le niveau de détachement par rapport à la religion qui peut expliquer l’avantage d’une communauté sur une autre. L’appartenance des individus à un réseau, dont les frontières sont l’ethnie, la confession ou le clan, permet d’accéder aux outils du développement. Il ne faut pas négliger les réseaux produits par la richesse, la politique ou la simple proximité territoriale mais les réseaux communautaires demeurent les plus puissants et sans doute les plus efficaces.

B - Les politiques de développement constituent des instruments de pouvoir

Après les indépendances la politique développementaliste ne s’est pas imposée d’elle-même. Les politiques développementalistes se sont réellement généralisées à partir des années 1960 : chehabisme et baathisme, mais elles n’étaient pas sans arrières pensées politiques en raison du contexte politique dans lequel elles ont été promues. Dans le cas du chehabisme et du baathisme, il s’agissait d’affaiblir les notables traditionnels et la bourgeoisie citadine, au profit d’une classe

moyenne liée à l’Etat, grâce à la fonction publique et l’armée. Le but était de se constituer une clientèle sur laquelle s’appuyer pour moderniser l’Etat. Mais avant de disposer d’une base sociale acquise à la modernité, le chef de l’Etat n’a d’autre ressource que de faire appel à sa propre communauté. En devenant présidents, Fouad Chehab et Hafez el Assad se sont imposés comme les chefs de leurs communautés respectives. Au final, les membres de la communauté se dirigent naturellement vers le nouveau zaïm23. Les Qoraïchites n’ont-ils pas fait allégeance à Mohamad lorsqu’il est devenu un chef puissant ? Les maronites au Liban n’ont donc rien perdu de leur suprématie avec Fouad Chehab, qui malgré sa volonté de rééquilibrer le Liban n’a pas remis en question les privilèges des maronites. Quant aux alaouites, ils ont connu une ascension fulgurante avec Hafez el Assad.