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Fausse dichotomie entre les verbes et les constructions 51

Chapitre I. Verbes et constructions en anglais: base méthodologique 12

1.4 Verbes et construction : non-dissociables 50

1.4.1 Fausse dichotomie entre les verbes et les constructions 51

L'opposition entre la représentation polysémique constructionnelle et lexicale est atténuée par Croft (2003) qui propose une représentation de constructions spécifiques à des classes de verbes (verb-classe-specific constructions) et une représentation de constructions spécifiques à des verbes (verb-specific constructions).

1.4.1.1 Constructions spécifiques à des classes de verbes

Croft (2003 : 55) affirme que la variation dans le sens de la construction ditransitive n'est pas une vraie polysémie. Plus précisément, la représentation polysémique de la construction ditransitive n'est pas un schéma syntaxique unique associé avec plusieurs sens différents et liés entre eux comme ci-dessous :

A. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[actual XPoss]] B. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[conditional XPoss]] C. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[negative XPoss]] D. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[future XPoss]] E. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[enabling XPoss]] F. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[intended XPoss]] G. [[SBJ VERB OBJ1 OBJ2]/[depriving XPoss]]

Croft (2003 : 56)

Comme présenté par Goldberg (1995) et mis en relief par Croft, ce n'est pas par hasard que chaque classe sémantique des verbes ne s'associe qu’avec un seul sens de la construction ditransitive. Par exemple, les verbes de type kick peuvent seulement se trouver avec le sens « X kicks Z causing Y to receive Z » (sens A) mais pas le sens « X kicks Z causing Y NOT to receive Z » (sens C). En effet, si le sens de chaque construction spécifie une modulation de la relation

52 possessive, telle que transfert de possession actuel, permis, négatif (refusé), la modulation correspond au composant sémantique des verbes autorisés à entrer dans la construction modulée.

De ce fait, la représentation appropriée du schéma constructionnel pour chaque sens de la construction ditransitive doit spécifier les classes des verbes en occurrence, et ce genre de représentation est appelé constructions spécifiques à des classes de verbes:

A1. [[SBJ GIVING.VERB OBJ1 OBJ2]/actual XPoss]]

A2. [[SBJ BALL.MOT.VERB OBJ2 OBJ2]/[actual XPoss via ballistic motion]]

A3. [[SBJ DEIC.CAUS.VERB OBJ1 OBJ2]/[actual XPoss via deictic caused motion]] B. [[SBJ COND.GIVING.VERB OBJ1 OBJ2]/[conditional XPoss]]

C. [[SBJ REFUSE.VERB OBJ1 OBJ2]/[negative XPoss]] D. [[SBJ FUT.GIVING.VERB OBJ1 OBJ2]/[future XPoss]] E. [[SBJ PERMIT.VERB OBJ1 OBJ2]/[enabling XPoss]]

F1. [[SBJ CREATE.VERB OBJ1 OBJ2]/[intended XPoss after creation]] F2. [[SBJ OBTAIN.VERB OBJ1 OBJ2]/[intended XPoss after obtaining]] G. [[SBJ COST.VERB OBJ1 OBJ2]/[depriving XPoss via paying]]

Croft (2003 : 57)

1.4.1.2 Constructions spécifiques à des verbes

D'ailleurs, pour certaines classes de verbes, tous les verbes de la même classe ne peuvent entrer dans la même construction ditransitive (Goldberg 1995 : 130, repris par Croft 2003 : 58) :

Sally permitted/allowed/*let/*enabled Bob a kiss. (I.61)

Sally refused/denied/*prevented/*disallowed/*forbade him a kiss. (I.62)

Il est donc nécessaire de proposer une représentation de ces deux classes des verbes de permission et de refus tout en spécifiant chaque verbe en occurrence avec la construction ditransitive, et ce genre de représentation est appelé constructions spécifiques à des verbes :

53 E. [[SBJ permit OBJ1 OBJ2]/[enabling XPoss by permitting]]

[[SBJ allow OBJ1 OBJ2]/[enabling XPoss by allowing]] F. [[SBJ refuse OBJ1 OBJ2]/[negative XPoss by refusing]] [[SBJ deny OBJ1 OBJ2]/[negative XPoss by denying]]

D'après Croft (2003 : 60), l'existence et la nécessité des constructions spécifiques à des verbes indiquent que l'opposition entre l'analyse des règles lexicales et l'analyse des constructions abstraites est bel-et-bien une fausse dichotomie. Ce point de vue est repris implicitement par les travaux postérieurs de Goldberg (2006, entre autres), qui présument que l’acquisition des langues implique l’acquisition généralisée des constructions et aussi celle des items spécifiques (generalization and item-specific knowledges).

1.4.1.3 Représentation sémantique des verbes et des constructions

Partant de l'analyse de Rappaport Hovav et Levin (1998), Croft (2003) détaille la sémantique de la combinaison de « verbe + construction à double objet » qui peut être divisée en trois composants :

- Constant verbal : noyau du sens qui différentie les verbes de la même classe sémantique ; - Sens de transfert de possession associé avec les verbes en occurrence avec la construction

ditransitive ;

- Modulation qui précise le type de transfert de possession : actuel, conditionnel, intentionné, etc.

Ces trois composants sémantiques sont présentés dans le tableau ci-dessous en occurrence avec différents types de verbes :

Tableau I. 11: Composants sémantiques proposés par Croft (2003)

Classes de verbes Constant

verbal

Modulation Transfert de

possession Groupe I

don inhérent (A1) don conditionnel (B1) transfert futur (D1) √ √ √ √ [actuel] √ [condtionnel] √ [futur] √ √ √

54 Groupe II refus (C1) permission (E1) coût (G1) √ √ √ √ [négatif] √ [permission] √ [léser] Groupe III

déplacement balistique instantanée (A2) causation continue déictique (A3) création (F1) obtention (F2) √ √ √ √ [actuel] [actuel] [intentionné] [intentionné] Croft (2003 : 63)

Si la sémantique des verbes du Groupe I chevauche avec et s'intègre dans un sens plus schématique (Croft 2003 : 62, Goldberg 1995 : 60), la question est de savoir si les verbes du groupe II et III incluent les composants sémantiques additionnés comme une partie des entrées lexicales des verbes dérivés. Ou ces composants sémantiques additionnés sont-ils plutôt apportés par la construction ditransitive (spécifiques à des classes de verbes) ?

Croft (2003) affirme qu’il ne peut être répondu à cette question par l'évidence linguistique pure. Les locuteurs pourraient très bien déclencher ou ne pas déclencher des constructions plus ou moins schématiques. Ils pourraient extraire une seule construction ditransitive schématique [[SUJ DITR. VERBE OBJ1 OBJ2]/[XPoss]] incluant le sens de transfert de possession, et puis la moduler avec les entrées lexicales dérivées. En revanche, ils pourraient également extraire un ensemble des constructions ditranstives dont chacune spécifie le sens de transfert de possession et la modulation, et puis les combiner avec les verbes non dérivés qui s'harmonisent avec la modulation de la construction particulière.

Si l'analyse des règles lexicales se base sur le sens « basique » d'un verbe tandis que l'analyse constructionnelle réclame un sens « unique » du verbe, comment définir ce sens « basique » et « unique » ? Croft (2003) remarque que le sens « basique » ou « unique » d'un verbe est en réalité le sens du verbe en occurrence avec d'autres structures argumentales telle que la construction transitive. Pourtant, les sens des verbes ne peuvent pas être définis dans l'isolation pure. Ce qu'un locuteur entend et utilise réellement, est plutôt proche des constructions spécifiques à des verbes ou spécifiques à des classes des verbes, au lieu des verbes ou des constructions schématiques en isolation. Les linguistes ne devraient ni anticiper (second-guess) la sorte des généralisations faites par les locuteurs au-delà de ces constructions, ni s'attendre à ce que tous les locuteurs fassent les

55 mêmes généralisations.

Ce point de vue est probablement plausible si nous étudions l'acquisition de la langue maternelle et la connaissance de la langue chez des locuteurs natifs, car effectivement ils prennent comme input les verbes réalisés dans des constructions spécifiques. Mais sur le plan de l'acquisition des langues étrangères, surtout dans un environnement d'enseignement institutionnel, le type d'input varie selon la méthodologie didactique. Une méthodologie plus traditionnelle pourrait commencer par une liste de vocabulaire où les verbes sont effectivement isolés. Ainsi un verbe comme bake est censé être attribué un sens « basique » et/ou « unique » qui pourrait être associé avec une construction transitive au lieu d'un sens « dérivé » ou « modulé » en occurrence avec une construction ditransitive. Une approche plus communicative ou interactionnelle pourrait commencer l'enseignement par un dialogue sous la forme auditive ou audio-visuelle. Quelle serait la première occurrence de bake ? Est-ce que l'acquisition de « bake Obj1 Obj2 » est sans problématique ? D'ici, beaucoup de questions se posent : est-ce que l'enseignement/acquisition des verbes « typiquement ditransitifs » (comme ceux du Groupe I) doivent précéder celui des verbes « dérivés » ou « modulés » en occurrence avec la construction ditransitive (comme ceux des Groupes II et III), plus concrètement, give avant bake par exemple, afin que les apprenants puissent faire une analogie et une extension entre ces différents groupes de verbes ? Est-ce que l'enseignement/acquisition de la représentation sémantique des verbes ditransitifs des Groupes II et III peut précéder celui du Groupe I, comme bake avant give ? Est-ce que et comment est-ce que les apprenants peuvent déduire le composant sémantique de transfert de possession dans l'expression ditransitive avec bake sans passer par l'acquisition de give ?

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