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Approche « verb sensitive » : interactions lexicale et constructionnelle 55

Chapitre I. Verbes et constructions en anglais: base méthodologique 12

1.4 Verbes et construction : non-dissociables 50

1.4.2 Approche « verb sensitive » : interactions lexicale et constructionnelle 55

Suite au développement des études sur l’alternance dative, différentes approches sur le sens verbal sont d’accord sur une distinction entre le sens noyau d’un verbe et un schéma structuré représentant un type d’événement soit en terme de construction (Goldberg 1995, Jackendoff 1997, Kay 2005), soit en terme de structure d’événement lexical (Pinker 1989), soit en terme de représentation syntaxique (Borer 2003, Harley 2003, Ramchand 2008). Toutes ces analyses sur l’alternance dative, comme remarqué par Rapapport Hovav &Levin (2008), associent un même

56 sens noyau d’un verbe donné avec les deux variantes syntaxiques illustrant respectivement le déplacement causé et la possession causée. Ce genre d’approche est appelé « approche unifiée de multiples sens » (the uniform multiple meaning approach) (2008 : 132).

Tableau I. 12: Approche unifiée de multiples sens

Variante - to Variante à double objet Tous les verbes datifs déplacement causé possession causée

Rapapport Hovav &Levin (2008) proposent dans leur approche « verb sensitive » que les schémas d’événement sont associés à la racine du verbe ; plus important encore, les verbes du type-give sont associés seulement au schéma d’événement de possession causée, même dans la variante-to.

Tableau I. 13: Approche verb sensitive

Variante-to Variante de double objet Verbes du type-give possession causée possession causée Verbes du type-throw/send déplacement causé possession causée

possession causée

1.4.2.1 Réanalyse sur les verbes du type-give

Dans les analyses précédentes, le verbe give lexicalise une possession causée (Pinker 1989, Goldberg 1995, entre autres). D’après Gruber (1965), Jackendoff (1990), Krifka (1999, 2003), etc., give peut donner une interprétation locative (localist construal) pour se réaliser dans la construction prépositionnelle-to.

Rapapport Hovav &Levin (2008) affirment que dans les deux variantes syntaxiques, les verbes du type-give sont toujours associés avec un sens de possession causée. Ces verbes ne prennent pas d’argument de trajectoire possessionnelle et le récipient marqué par to ne peut être analysé comme le but d’une telle trajectoire.

1.4.2.1.1 Argumentation : pas de trajectoire impliquée par give

57 where. En plus, les verbes du type-give ne sont pas compatibles avec de vrais PPs spatiaux, parce qu’ils n’impliquent pas de changement d’emplacement physique.

Un changement le long d’une trajectoire possessionnelle est souvent attribué à la variante-to, alors que la variante à double-objet implique seulement une causation d’un état de possession sans interprétation locative (Krifka 2003, entre autres).

Rapapport Hovav &Levin (2008) donnent deux phrases attestées contre la proposition de la trajectoire possessionnelle :

… give a fresh coat of paint to the front door. (=> the front door has a fresh coat of (I.63)

paint)

I promise a good time to all who come. (=> all who come will have a good time) (I.64)

L’emploi des verbes du type-give dans ces phrases n’implique certainement pas de transfert de possession d’un possesseur à un récipient vu que le thème n’existe même pas avant l’événement. Ce sont des événements de possession causée mais pas de transfert de possession. Si selon les travaux précédents la variante-to encodait forcément un événement de transfert avec une trajectoire possessionnelle, l’événement de peinture sur la porte n’aurait pas été compatible avec cette variante. Ces exemples montrent que le sens de give et d’autres verbes du même type inclut seulement la possession causée.

Mais pourquoi give est-il faussement mais largement interprété comme un transfert de possession? Parce que dans un événement de possession causée, le sujet d’un verbe du type-give est souvent interprété comme la source, ce qui donne l’impression que le sens du sens implique un transfert de possession. Mais l’interprétation de transfert n’est obligatoire que quand la possession est interprétée comme contrôle physique. Quand il s’agit de la possession d’une entité abstraite, il n’y a donc pas de contrôle physique. Du coup, le changement de possession peut être réalisé sans possesseur original. Un tel cas peut être illustré par l’exemple ci-dessous:

Must an employer offer a job to a worker ? (I.65)

58 RH&L (2008 : 140)

1.4.2.1.2 Argumentation : rien n’est déplacé, malgré to

L’argument le plus fort pour une analyse de transfert possessionnel est l’usage de la préposition to, homophonique du marqueur allatif to. Selon l’Hypothèse Locative (Localist Hypothesis), les récipients peuvent être marqués par la même préposition comme qu’un but spatial, parce que les récipients peuvent être considérés comme but par métaphore. Mais Rapapport Hovav &Levin (2008) signalent que « although such metaphorical extensions may determine the choice of preposition found with a verb, […] the appearance of a particular preposition does not fundamentally change the semantic type of the verbe ». Cet argument peut être illustré par deux exemples avec un verbe de changement d’état :

He died from exhaustion. (I.66)

The water melted into/to ice. (I.67)

Selon l’Hypothèse Locative, les causes de changement d’état pourraient être marquées par from, préposition indiquant des sources ; et un état résultant pourrait être considéré comme emplacement ou but marqués par into ou to. Mais melt et die eux-mêmes sont toujours verbes de changement d’état, mais pas verbes de changement d’emplacement malgré l’usage des prépositions from et into/to.

Via le même raisonnement, en dépit de la présence de to marquant un récipient qui pourrait être métaphoriquement considéré comme but, les verbes du type-give ne changent pas leur schéma d’événement de possession causée au déplacement causé.

Pour renforcer cet argument, Rapapport Hovav &Levin (2008 : 160-161) et Levin (2008) fournissent des preuves translinguistiques : si une langue marque différemment le récipient et le but spatial, le marqueur le but spatial n’est pas compatible avec les verbes du type-give. Par exemple, en russe, la préposition allative k ne marque pas la possession causée (Levin 2008 : 11- 13).

59 De ce fait, Rapapport Hovav &Levin (2008) sont d’accord avec Haspelmath (2003) sur le fait qu’en anglais, to indique un éventail large de types d’arguments, y compris récipient (but possessionnel), but spatial et d’autres arguments.

1.4.2.2 Réanalyse sur les verbes du type-send/throw

D’après Rapapport Hovav &Levin (2008) les verbes du type-throw décrivent des événements où une entité exerce instantanément une force sur une seconde entité-récipient de la force ; en même temps l’entité-récipient de la force ne peut être jetée sans se déplacer (au contraire de l’analyse de Krifka (1999)). Jackendoff (1992) note que ce sont des verbes à deux arguments à la base. En revanche, les verbes du type-send lexicalisent à la base un déplacement causé et sont des verbes à trois arguments, prenant un agent, un thème et un but spatial.

1.4.2.2.1 Déplacement causé vs possession causée

Tous les deux types de verbes impliquent un événement du changement d’emplacement causé. Rapapport Hovav &Levin (2008) affirment que la causation d’un déplacement d’une entité par une force exercée sur cette dernière pourrait lui provoquer un nouveau possesseur (« causing a change in an entity’s location, perhaps effected by imparting a force to that entity, may result in its having a new possessor »).

Bien que Rapapport Hovav &Levin (2008) ne l’aient pas précisé, il faut noter que ce nouveau possesseur résultant n’est pas impliqué dans le sens noyau/racine mais une implicature.

John threw the ball. (I.68)

John threw the ball (without knowing the goal/ just in order to get rid of it). (I.69)

John threw the ball to Paul (hoping Paul could get it/ in order to hurt him). (I.70)

John threw Paul the ball (hoping Paul could get it/ *in order to hurt him). (I.71)

Selon nos exemples ci-dessous, le sens de throw constant dans ces phrases est la causation de déplacement avec une force exercée instantanément, ce qui constitue le sens noyau du verbe. La

60 trajectoire du déplacement du thème, la position finale (but spatial ou humain) ainsi que l’objectif du déplacement causé y compris la relation possessive ne sont pas impliqués dans ce sens noyau, parce qu’ils peuvent être niés. Mais ils sont compatibles avec cet événement de déplacement d’un point de vue cognitif (Goldberg 2010) et pourraient être réalisés de différentes manières selon les règles syntaxiques d’une langue. Autrement dit, à partir toujours d’un point de vue constructionnel, le schéma d’événement de possession causée, encodé par les constructions, est cognitivement associable avec le schéma d’événement de déplacement causé encodé par throw.

Par ailleurs, le contraste entre (I.69) et (I.70) montre que dans la variante prépositionnelle-to, throw peut être associé avec soit un événement de possession causée soit un événement de déplacement causé, tandis que dans la variante à double-objet le verbe est associé seulement avec un événement de possession causée. C’est un point de vue argumenté par Rapapport Hovav &Levin (2008).

1.4.2.3 Réanalyse sur l’inférence de transfert réussi

Il est proposé dans beaucoup de travaux précédents (Green 1974, Goldberg 1995, Harley 2003, Krifka 1999, entre autres) que les deux constructions étudiées impliquent différentes complétudes de transfert. Plus précisément, la construction à double objet est associée avec une inférence de transfert réussi (successful transfert) tandis que la construction prépositionnelle est dépourvue de cette inférence.

Mary taught John linguistics. (I.72)

La phrase ci-dessus devrait impliquer que John a appris la linguistique auprès de Mary.

Mary taught linguistics to John. (I.73)

En revanche, la phrase ci-dessus implique uniquement que John est élève de Mary sans plus d’information sur son succès (ou non) dans ses études de linguistique.

61 Pourtant, ce jugement d’implication n’est pas partagé par tous les linguistes, car la phrase suivante pourrait être acceptable :

I taught them English for an entire year, but they don’t seem to have learned a thing. (I.74)

RH&L (2008 : 147)

Rapapport Hovav &Levin (2008) argumentent que la disponibilité de l’implication de l’atteinte au but réussie et du transfert réussi est déterminée par le sens lexicalisé dans le verbe au lieu de la construction.

1.4.2.3.1 Réanalyse des verbes du type-give

Ce genre de verbe, y compris aussi lend, rent, sell, serve, etc., lexicalise une possession causée; par nature, ils impliquent un transfert réussi dans les deux constructions, ce qui est observé par Oehrle (1976: 129) et reflété par la négation étrange du transfert :

# My aunt gave/lent/loaned my brother some money for new skis, but he never got it. (I.75)

# My aunt gave/lent/loaned some money to my brother for new skis, but he never got (I.76)

it.

RH&L (2008 : 146)

1.4.2.3.2 Réanalyse des verbes de possession future

Les racines de ces verbes impliquent un composant sous-lexicalisé de modalité qui restreint les mondes possibles où le transfert peut être réussi (Croft 2003). Du coup, l’implication de transfert réussi n’existe dans aucune construction :

Sarah promised Catherine her old car, but then gave it to her son instead. (I.77)

Sarah promised her old car to Catherine, but then gave it to her son instead. (I.78)

62 1.4.2.3.3 Réanalyse des verbes du type-throw

Ce type de verbe, étant semelfactif, décrit juste le moment où un objet physique est lancé dans le déplacement. De ce fait, l’atteinte au but prévu réussie ou non n’est pas impliquée dans le sens du verbe, sans parler le transfert réussi. Oehrle (1976) propose que dans la construction à double objet, l'action de NP1 soit suffisante pour mettre NP3 sous le contrôle physique de NP2, alors que cette relation de contrôle est affaiblie dans la construction prépositionnelle. Mais Rappaport Hovav & Levin (2008) signalent que le manque d’implication réside dans les deux constructions:

I threw Mary the ball, but she was looking at the birds flying overhead and didn’t (I.79)

even notice.

I threw the ball to Mary, but she was looking at the birds flying overhead and didn’t (I.80)

even notice.

RH&L (2008 : 147)

1.4.2.3.4 Réanalyse des verbes du type-send (et verbes de communication via instrument)

Similaires aux verbes du type-throw, les verbes du type-send dénotent l’envoi des objets avec une destination prévue. Mais l’arrivée à la destination n’est pas impliquée (Oehrle 1976: 130).

Lewis sent/shipped Sam a bicycle, but it never arrived. (I.81)

Lewis sent/shipped a bicycle to Sam, but it never arrived. (I.82)

RH&L (2008 : 145)

1.4.2.3.5 Réanalyse des verbes du type-pull vs. verbes du type-throw

Suivant l’analyse de Krifka (1999, 2003), Rappaport Hovav (2006) reconnait la différence temporelle encodée dans ces deux types de verbes. La trajectoire dénotée par le PP introduit par to est toujours bornée (Jackendoff 1983: 165). Les verbes du type-throw impliquent la relâche d’un objet en le lançant dans un déplacement et à la fois son parcours le long de la trajectoire. Et clairement l’activité engagée par l’agent, c’est-à-dire la relâche de l’objet, et le changement de position de l’objet ne sont pas simultanés. Au contraire, les verbes du type-push (pull, drag…) lexicalisent l’activité engagée par l’agent comme simultanée au changement de position du

63 thème, un homomorphisme selon Krifka. Rappaport Hovav & Levin (2008) signalent que si et seulement si l’événement (de causation) lexicalisé dans le verbe et le parcours de la trajectoire sont homomorphiques, le parcours de la trajectoire bornée entière est impliquée.

I threw the ball to Julian, but it fell short of him. (I.83)

# I pulled/dragged the box to the door, but stopped before I got there. (I.84)

RH&L (2008 : 145)

Mais nos informateurs anglophones ne sont pas d’accord sur le jugement de (I.84), c’est-à-dire que nous pourrions tirer la boîte à/vers la porte sans y arriver réellement. Mais la différence temporelle impliquée entre ces deux types de verbes est tout de même importante pour leur comportement syntaxique (voir 1.4.3).

1.4.2.3.6 Réanalyse des verbes comme read et write

Les verbes de ce genre décrivent à la base des événements avec deux participants parmi lesquels aucun n’est récipient. Ils n’impliquent pas de possession causée, sans parler de transfert réussi:

I wrote a letter to Blair, but I tore it up before I sent it. (I.85)

I wrote Blair a letter, but I tore it up before I sent it. (I.86)

1.4.2.3.7 Récapitulation

Via des examens des phrases sous forme de paire minimale de différentes sous-classes, Rapapport Hovav &Levin (2008) argumentent d’une manière très convaincante que l’inférence de transfert réussi n’est pas déterminée par la construction mais par le sens lexical. Mais pourquoi l’inférence de transfert réussi semble-t-elle plus forte dans la construction à double objet ? Les auteurs supposent que vu que le premier objet est la forme dédiée pour exprimer des possesseurs, et que prototypiquement un possesseur est dans la relation possessive actuelle du thème, quand un locuteur réalise le récipient comme le premier objet mais pas dans le syntagme introduit par to, il est généré l’inférence que la causation de possession du thème par le récipient est réussie.

64 1.4.2.4 Récapitulation de l’approche « verb sensitive »

L’approche « verb sensitive » prend comme point de départ le sens lexical des verbes par définition. Au contraire de l’approche unifiée de multiples sens qui associe tous les verbes datifs à un événement de déplacement causé dans la construction prépositionnelle-to qui n’implique pas de transfert réussi et à un événement de possession causée dans la construction à double objet qui implique un transfert réussi, l’approche « verb sensitive » argumente que c’est le sens noyau d’un verbe qui détermine les schémas d’événement à associer avec lui et qui détermine la possibilité d’inférence de transfert réussi.

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