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III. TROISIEME PARTIE : L’ENTRETIEN FAMILIAL

III.2. Le cadre familial

III.2.5. Familles nucléaires et complexité des familles recomposées

La gestion des conflits, des contraintes, des obligations et le travail de négociation sur les désaccords viennent modifier l’expérience amoureuse du couple parental. Pouvant jouer un rôle perturbateur, ils peuvent aussi, lorsque les éventuels conflits sont résolus, contribuer à forger et consolider l’identité du couple. Il n’existe pas de normes généralisables à toute situation pour qu’une union entre deux personnes soit perçue comme réussie. Des solutions satisfaisantes pour un couple pourront être considérées comme inacceptables par un autre. Chaque couple est amené à trouver des formes de compromis face à ses aspirations et ses contraintes opposées. Ces compromis se modifient et se remodèlent plus ou moins tout au long des cycles de la vie personnelle, du couple, et de la famille.

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Dans le temps, les couples sont confrontés à plusieurs crises (Hefez, Laufer, 2002) [98], liées à des modifications identitaires et narcissiques d’un des partenaires ou des deux. La première crise est fréquemment liée à la disparition de la cristallisation amoureuse et au deuil à faire du conjoint idéal ; la seconde à la naissance du premier enfant, qui triangule les relations et transforme le couple familial en un couple parental. Celui-ci se voit obligé de faire face à de nouvelles contraintes éducatives mobilisant de nouvelles compétences parentales, et à la redéfinition des positions par rapport aux familles d’origines. La troisième peut être liée à l’arrivée d’autres enfants, qui bouscule à chaque fois les rapports intrafamiliaux et complexifie les triangulations possibles. A ces différentes étapes se surajoutent les crises liées à la mise à l’épreuve de la fidélité, la jalousie, la gestion de la confiance et de la défiance (Bruel, Flye Sainte Marie, 2002) [39], avec les cortèges du secret, du mensonge et de la désinformation (Neuburger, 1997) [175], les crises liées au décès d’un parent, l’apparition d’une maladie chez l’un des conjoints, la ménopause, l’andropause, le départ des enfants du nid familial, la retraite…

La famille est un groupe doué d’un certain degré d’unité et de cohésion. Elle offre à chacun une appartenance à priori indiscutable, assumable par chacun des membres et reconnaissable par tous. Elle implique le partage de représentations communes que chacun utilise dans la construction de sa propre identité, et notamment les enfants. Mais certaines crises touchent les parents aux raisons mêmes d’être ensemble, c’est-à-dire aux mythes fondateurs du couple. Le choix peut être alors, pour eux, la séparation ou le divorce.

La famille, en tant que telle, possède en règle deux qualités : être un système non équivoque d’appartenance, et posséder des références spécifiques intériorisées par les membres du groupe familial (Schmit et al., 2003) [204]. L’enfant fait l’expérience de l’appartenance à une famille ; il y est reconnu dans une place, facile ou difficile à tenir, et se construit dans la logique des références familiales.

La rupture du couple parental peut amener à plusieurs cas de figure : le célibat ou la construction d’un nouveau couple. Dans la décision éventuelle pour les parents d’une nouvelle vie commune, les liens se complexifient. Couple parental et couple conjugal se distinguent de fait et l’organisation de la famille se recompose.

La famille se perçoit le plus souvent comme recomposée lorsqu’un enfant nait du nouveau couple, mais pour autant, les couples parentaux initiaux ne disparaissent pas. Ils sont maintenus par

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la responsabilité parentale, régulée par les exigences éducatives des premiers enfants, leurs problèmes et leurs symptômes éventuels, et les contraintes légales imposées par la société.

La famille recomposée se définit à partir des enfants et de leur espace de circulation (Van Custem, 1998) [221]. Une telle famille n’est pas seulement constituée par la création d’un nouveau couple ou d’une nouvelle famille nucléaire, mais comprend à la fois, la famille des parents gardiens des enfants et la famille des parents non gardiens.

Les familles recomposées sont une affaire de négociation évolutive, tant au sein de ces familles que dans le cadre des consultations familiales. « La famille recomposée sera sans cesse confrontée à des problèmes qui n’ont rien à voir avec ceux que posent les premiers mariages. Sans solutions instituées, ces familles doivent résoudre des problèmes quotidiens entraînant l’embarras, l’indécision, le conflit entre les différents membres. Non seulement les relations familiales seront complexes, car les nouvelles figures parentales ne remplacent pas les parents du premier mariage, mais en plus les familles élargies sont beaucoup plus vastes et souvent en conflit les unes avec les autres. L’obligation de dialoguer, de négocier, de chercher des compromis est bien plus grande dans une famille recomposée, car la complexité relationnelle provoque des occasions incessantes de définir ou redéfinir les relations » (Van Custem, 1998) [221].

L’enfant est amené à s’inscrire dans une nouvelle situation familiale, voire une succession de situations, que Schmit et al. (2003) [204] désignent par le terme de « constellation familiale complexe », constituée de l’ensemble des noyaux se formant autour de coparents séparés (qu’il s’agisse d’une ou plusieurs séparations successives). Soulignant le changement de nature logique du système d’appartenance de l’enfant, cette appellation désigne un groupe hétérogène de personnes liées de diverses manières par des liens de filiation ou de conjugalité, fonctionnant de fait comme un système d’interactions réunissant enfants d’une part, et adultes-parents ou beaux-parents d’autre part (Schmit et al., 2003) [204].

Les deux caractéristiques de la famille manquent dans la constellation familiale complexe : l’évidence naturelle de l’appartenance au groupe et l’existence d’un ensemble de références communes.

La famille nucléaire est le plus souvent fondée sur le désir du couple parental et son projet d’avoir des enfants, alors que c’est la réalisation de la séparation qui fonde la constellation familiale complexe. Ce nouveau schéma relationnel ne repose pas sur des désirs partagés ; son existence est

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d’abord une existence de fait. La constellation familiale complexe se constitue autour d’un ou plusieurs enfants issus d’un premier couple parental séparé, sans que puisse être assumé un désir fondateur portant sur la constellation elle-même. La constellation comporte en elle-même le paradoxe d’un groupe qui ne peut se reconnaitre comme groupe. Son existence est d’abord une existence de fait qui peut être en contradiction avec un vécu subjectif de non-appartenance pour les anciens conjoints et leur nouveau partenaires. La formalisation des conflits et la définition des places de chacun de ses membres nécessitent un cadre symbolique interne suffisamment clair et représente un enjeu relationnel important.

L’enfant dont les parents divorcent est pris dans un système d’appartenance complexe, composé d’au moins deux familles recomposées. Il s’agit d’un groupe hétérogène qui comprend une hétérogénéité des mythes familiaux. Son appartenance aux deux systèmes ne fait le plus souvent aucun doute pour lui, ce qui le met dans une situation différente de celle des adultes, parents ou beaux-parents. Il conserve le plus souvent un fort sentiment d’appartenance à sa famille d’origine, bien que disparue, tandis que les adultes ont tendance à s’efforcer de faire le deuil de leur relation passée.

Une fidélité, voire une loyauté au mythe d’une famille nucléaire unique continue de fonctionner au sein de la constellation familiale complexe. L’enfant se comporte comme le gardien vigilant des mythes familiaux de ses origines (Miermont 2001) [168]. Tandis que l’enfant s’est construit dans cette appartenance initiale qu’il ne peut dénier sans se renier, ses propres parents ont parfois à l’égard de leur passé conjugal commun une position de défiance pour ce qui peut représenter un échec, voire une erreur. Cette dynamique renforce des mécanismes de refoulement ou de déni susceptible d’entrainer des phénomènes d’hostilité ou de rejet à l’égard des parties non communes des familles d’origine. La difficulté ou la résistance des parents à reconnaitre ou penser leur propre appartenance à une constellation familiale complexe peut contribuer à accroitre les conflits de loyauté de l’enfant concerné et à l’enfermer dans des clivages objectaux.

Les motifs de consultation peuvent être liés à des symptômes présentés par les enfants, mais aussi à des difficultés liés à la renégociation des liens, des tâches éducatives des différents parents, et au besoin de reconnaissance sociale de leur nouvelle organisation. Lorsqu’un parent souhaite consulter pour un enfant, il apparait nécessaire de s’assurer que l’autre parent séparé soit informé de cette demande de consultation et ait donné son accord.

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