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1.4 Le pseudo-gap : phénoménologie et modèles

1.4.1 Les faits expérimentaux

Les degrés de liberté de charge. En l’absence de champ magnétique, dans l’état normal du régime sous-dopé, la surface de Fermi disparaît progressivement au niveau des points anti-nodaux. La surface de Fermi, bien définie dans le régime sur-dopé ou à haute température dans le régime sous-dopé (cf Fig. 1.4), se réduit alors à des arcs de Fermi (cf. Fig. 1.9c.) lorsque l’on abaisse la température dans la région sous-dopée [143, 57]. Ces arcs de Fermi, associés à des quasiparticules, voient leurs longueurs di- minuer et disparaître lorsque T tend vers zéro comme le montre la Fig. 1.9d. [105]. Parallèlement, les mesures de Raman [124] confirment cette dichotomie entre les points nodaux et anti-nodaux de la surface de Fermi. Cette symétrie comparable à la symétrie d du gap supraconducteur est un des arguments des théories considérant la phase de pseudo-gap comme une une phase de supraconductivité fluctuante. Cette perte d’états au niveau de Fermi est vue par toutes les techniques expérimentales sensibles à la den- sité d’états et au spectre des excitations de charge. Parmi celles-ci on citera la diffusion Raman [139], la photo-émission [59], la conductivité optique [93], l’effet tunnel [157], la chaleur spécifique électronique [129]. On trouvera une revue plus exhaustive des proprié- tés associées au pseudo-gap dans les références [142, 181]. Pour ce qui est de la résistivité électrique, on remarque un écart à la linéarité dans la dépendence en température de celle-ci en dessous d’une certaine température de même ordre de grandeur que pour les autres anomalies (cf. Fig. 1.9b.). Systématiquement, la température à laquelle toutes ces anomalies apparaissent diminue avec le dopage.

Y a-t-il des quasiparticules dans la phase de pseudo-gap ? On peut alors se poser la question de la présence de quasiparticules dans la phase de pseudo-gap. Des mesures dans le composé dopé optimalement Bi2Sr2CaCu2O8 (TC=91K, T ∗ ≈130K)

ont montré un pic cohérent de quasiparticules dans le spectre électronique en dessous de TC [68]. Dans la phase normale juste au dessus de TC (95K), ce pic persiste mais

il s’élargit en énergie et le poids spectral associé diminue fortement. La présence de quasiparticules dans la phase de pseudo-gap est donc controversée et il est difficile de les définir. Le débat est toujours d’actualité sur l’absence de celles-ci ou s’ils elles sont présentes de manière très amortie.

Figure 1.8 – En haut. Diagramme de phases schématique dans un modèle où le pseudo-gap est une phase à part entière avec un paramètre d’ordre et une symétrie bri- sée. T* croise alors TC autour du dopage optimal. Il se forme un point critique quantique

(QCP) autour de 19% de trous, et dont les fluctuations seraient à l’origine de l’appa- riement supraconducteur. En bas. Diagramme de phases schématique dans un modèle où le pseudo-gap est un précurseur de la phase supraconductrice. Dans ce cas T* ne croise jamais TC. Dans une approche de supraconductivité fluctuante, T* peut être la

température critique TC de champ moyen, et TC la température où les paires acquièrent

Figure 1.9 – a. Mesure du Knight shift en fonction de la température de l’89Y dans le composé Y Ba2Cu3O6+x pour différentes concentrations (D’après [6]). b. Ecart à la

linéarité de la résistivité en fonction de la température (D’après [98]). c. Carte en fausses couleurs de la surface de Fermi mesurée par ARPES (D’après [105]), d. Dépendance en température de la taille des arcs de Fermi mesurés par ARPES (D’après [105]).

ARPES, et en supposant qu’ils se terminent à leurs extrémités par un gap d’apparie- ment supraconducteur, il est possible d’observer des oscillations quantiques périodiques en 1/B. Cependant, la dépendance en température de ces oscillation n’est pas expliquée par la théorie de Pereg-Barnea et al. ainsi que la dépendance en angle ded la fréquence des oscillations quantiques.

Anisotropie. Une autre propriété rendant difficile une image complète et cohérente de la phase de pseudo-gap est la présence d’anisotropie dans les mesures de transports et dans la dynamique de spin. Tout d’abord les mesures de diffusion inélastique de neutrons ont révélé dans le composé Y Ba2Cu3O6.45 [91, 82] une anisotropie dans la dy-

namique de spin en dessous de 150K et par des mesures de resistivité [13]. Par analogie avec les cristaux liquides, on parle de phase nématique en dessous de 150K et de phase désordonnée au dessus de 150K. En dessous de 40K, les fluctuations de spins deviennent quasistatiques (elles se gèlent) à l’échelle de temps des neutrons (et à plus basse tempé- rature à l’échelle de temps des muons). De plus, sous un champ de 15T, l’ordre statique incommensurable est stabilisé. Cette mesure permet de supposer que l’ordre magnétique observé par diffusion de neutrons est à l’origine de la modification de la surface de Fermi conduisant aux oscillations quantiques. De plus, Daou et al. [54] ont montré une ani- sotropie planaire en dessous d’une température ayant la même dépendance en dopage que T* par des mesures d’effet Nernst dans différentes concentration de Y Ba2Cu3O6+x.

Bien que l’ordre nématique [111] puisse expliquer ces mesures, il est possible qu’elle soit due à l’anisotropie des chaînes du fait de l’orthorhombicité de ce système. En effet, il est connu que le pouvoir thermoélectrique change de signe selon qu’on le mesure paralèlle ou perpendiculaire aux chaînes [94]. Ce changement de signe peut amplifier même une petite anisotropie car le pouvoir thermoélectrique (pairà contribue au signal mesuré par effet Nernst (impair).

Les degrés de liberté de spin. Quid des excitations magnétiques de basse énergie lorsque ce gap s’ouvre progressivement dans le spectre de charge ? Il se trouve qu’his- toriquement, ce sont les mesures de RMN qui ont les premières suggéré l’ouverture

d’un gap (de spin) dans le spectre des excitations magnétiques des cuprates dans le régime sous-dopé. Le Knight shift est proportionnel à la partie réelle de la susceptibilité à Q = 0. Dans la théorie du liquide de Fermi, il est donc proportionnel à la densité d’états électroniques au niveau de Fermi. Alloul et al. [6] montrent systématiquement une diminution du Knight shift en température comme l’illustre la Fig. 1.9a. Pour un métal standard décrit par la théorie des liquides de Fermi, la susceptibilité est de type Pauli : constante en température. Une autre quantité mesurée par RMN est le taux de relaxation spin-réseau 1/T1 qui s’écrit :

1 T1 = kBT 4µ2 B¯h 2 X q |F (q)|2 χ ′′(q, ω) ω ω→0 (1.15) avec : • kB : la constante de Boltzman

• F (q) : le facteur de forme hyperfin associé au noyau observé • χ′′(q, ω) : la partie imaginaire de la susceptibilité de spin

Le taux de relaxation spin-réseau 1/(63T

1T ) du cuivre, dont le facteur de forme

hyperfin FCu(q) sélectionne les fluctuations autour du vecteur d’onde AF est donc pro-

portionnel à la partie imaginaire de la susceptibilité magnétique proche de Q = QAF.

Lorsque l’on regarde le noyau d’oxygène 17O, le facteur de forme sélectionne quant à lui

les fluctuations autour de Q = 0. La diminution de 1/(63T

1T ) en dessous d’une certaine

température indique une diminution du poids spectral des fluctuations AF à basse éner- gie. Cette perte de poids spectral a été confirmée par des mesures de diffusion inélastique de neutrons [159]. Ces mesures de Knight shift et de taux de relaxation de l’oxygène 1/(17T

1T ) d’un côté et le taux de relaxation du cuivre 1/(63T1T ) de l’autre côté, sondant

deux parties distinctes de la surface de Fermi (Q = 0 et Q = QAF respectivement) in-

diquent deux températures proches mais différentes. Cela a suggéré l’existence de deux origines distinctes pour la perte d’états au niveau de Fermi et la perte de poids spectral des fluctuations AF.

Il est toutefois important de préciser que la température exacte de T* se révèle différente d’une technique expérimentale à une autre, même si elles restent du même ordre de grandeur. Aussi lorsqu’on se réfère au T* il est important de préciser à quelle technique expérimentale de détermination du T* on fait référence. Dans la suite, nous utiliserons principalement les mesures de résistivité électrique. La température T* par rapport à cette technique est déterminée par l’écart à la linéarité de la dépendance en température de la résistivité.

Brisure de la symétrie par translation du réseau. Expérimentalement, des me- sures de diffraction de neutrons ont montré un ordre magnétique incommensurable (IC)

Figure 1.10 – a) et b) : Schéma dans l’espace réel de l’organisation des lignes de charges (sans spins) et des lignes antiferromagnétiques. Les deux domaines possibles rend la mesure d’une anistropie 1D impossible. c) : Schéma de la première zone de Brillouin. En noir sont représentées les zones de l’espace réciproque où se trouvent les pic magnétiques de sur-structure dus à l’organisation des lignes AF. d) : Mesure du pic magnétique dans La1.6−xNd0.4SrxCuO4 par diffusion élastique de neutrons d’après

[182].

dans les composés La1.6−xNd0.4SrxCuO4 et La2−xBaxCuO4 autour de la concentration

x=δ=1/8 [182]. Un signal magnétique élastique incommensurable apparaît autour de Q = QAF en QIC = QAF ± (δ, 0) et QIC = QAF± (0, δ) en r.l.u. (Reduced Lattice Unit)

comme illustré Fig. 1.10d. A plus haute température, des pics de Bragg incommen- surables centrés en Q = 2QIC r.l.u. apparaissent et sont associés à l’ordre de charge.

Pour cette concentration particulière x=1/8, on observe en outre une diminution de la température de transition supraconductrice. Cet ordre IC semble donc affecter la tem-

pérature critique. Cet ordre statique de charges et de spins n’a jamais été observé dans d’autres cuprates mais dans les nickelates [183]. Cependant, il existe dans le spectre des excitations magnétiques des fluctuations antiferromagnétique de basse énergie, no- tament dans La2−xSrxCuO4 (seul l’ordre statique des spins est observé) mais aussi dans

d’autres cuprates.

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