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Facteurs qui entravent l’expérience de parentalité de PADV

Chapitre 5 : Discussion

5.1. Facteurs qui entravent l’expérience de parentalité de PADV

La présente section résume les situations et les difficultés particulières auxquelles sont confrontés les PADV, en précisant les éléments et les aspects qui ont déjà été explorés dans les études antérieures. Certaines sont de nature environnementale, et la plupart sont

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susceptibles d’être modifiés. Par exemple, la précarité financière des parents, leurs moyens de déplacement, leur accès aux nouvelles technologies ou encore leur connaissance des services en soutien à la parentalité sont autant d’éléments qui peuvent avoir une influence sur l’exercice du rôle parental et la satisfaction des besoins de l’enfant.

Il est intéressant de noter que les résultats obtenus en lien avec le thème de la mobilité corroborent les résultats d'autres écrits (Begley et al. 2009; Gojard, 2003). En plus de manifester un fort désir d'autonomie, plusieurs personnes ayant une incapacité visuelle ont conquis leur indépendance en apprenant à se déplacer avec une canne ou un chien. Cependant, lorsqu’ils deviennent parents, leur autonomie est fragilisée en raison de nouveaux apprentissages auxquels ils sont confrontés, comme par exemple lors de sorties avec les enfants. L’autonomie apprise préalablement risque être compromise avec leur nouveau statut de parent. Les questions de mobilité, de transport ou encore de déplacement peuvent être aggravées par plusieurs facteurs environnementaux, tels que la situation financière, la localisation géographique, le réseau de soutien. Plusieurs auteurs insistent sur le fait que l’aménagement de l’environnement physique de ces parents entraine une diversification des possibilités de participer aux activités dans leur communauté, ce qui réduit les barrières dans la vie avec leurs enfants (Conley-Jung & Olkin, 2001; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014).

Par ailleurs, répondre efficacement aux besoins des enfants englobe différents besoins sur le plan du soutien à l’autonomie. Certains des problèmes rencontrés par les parents handicapés peuvent être liés à des défaillances du système organisationnel plutôt qu'à des difficultés individuelles. En ce sens, le fait pour un parent d’avoir un réseau de soutien élargi et significatif pourrait représenter le point de départ à la pleine participation sociale. Si les services étaient fournis de manière adéquate, toutefois, les parents n'auraient pas besoin de faire appel à leurs proches pour obtenir de l'aide (Olkin, 1999). Cependant, encore faut-il que ces services soient en adéquation avec plusieurs facteurs personnels et environnementaux. Pour être efficaces et adéquats, les services offerts doivent tenir compte de l’incapacité du parent, des besoins liés à l'âge des enfants, des antécédents familiaux, de l'environnement résidentiel et collectif et du partage des tâches entre conjoints. Ce constat rejoint les conclusions des travaux de Preston (2010).

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De plus, l’absence d’aménagements dans l’environnement physique et social du PADV aidant à assumer l’éducation et le développement de l’enfant, pourrait justifier le sentiment d’incertitude, la perception de connaissances insuffisantes et l’impression de ne pas avoir les bons outils manifestés dans les entrevues. Par exemple, les PADV rapportent rencontrer des difficultés pour l’accompagnement dans les devoirs. Concrètement, lorsqu’il s’agit pour le PADV de vérifier les devoirs à faire dans l’agenda de l’enfant et de convenir avec lui d’un plan de travail qui établit l’ordre des tâches à effectuer, de nombreux freins à l’accompagnement dans les devoirs sont repérés (comme la lecture des écrits papier). Dans ce cas, l’accès aux équipements technologiques adaptés permet aux PADV de prendre confiance dans l’accomplissement de cette tâche. Néanmoins, quelques chercheurs remarquent que l’accès aux supports technologiques adaptés demeure toujours limité à ce jour (Begley et al., 2009).

En se référant au modèle du MDH-PPH2, ce sont non seulement les obstacles physiques et architecturaux, mais aussi psychologiques et sociaux qui empêchent les personnes ayant des incapacités de pleinement participer socialement et de mener une existence autonome (Fougeyrollas, 2010; Weber, 2004). Avec ce modèle conceptuel, nous nous trouvons au cœur du rapport personne-environnement, omniprésent en travail social. Rappelons que le travail social considère que l’individu et son environnement sont inévitablement liés dans un processus dynamique (OTSTCFQ), 2012). En ce sens, il devient impossible d’occulter l’impact du milieu de vie sur la participation sociale des PADV. Les interventions visent à améliorer la participation sociale par un soutien aux PADV doivent donc simultanément considérer les dimensions personnelles et environnementales. Dans ce sens, le MDH-PPH2 est certainement le modèle le plus adapté à la lecture de nos résultats de recherche.

Dans la présente étude, les PADV affirment avoir subi plusieurs préjugés à l'endroit de leurs compétences parentales. Ces parents semblent ne pas répondre à la norme que la société a créée en matière de rôle parental. Alors, ils disent se sentir souvent stigmatisés. Pour Goffman (1963), le stigmate est la marque de la différence et il considère que le handicap est stigmatisé en raison de sa non correspondance à la norme. Tel que l’ont démontré d’autres études, la stigmatisation des personnes ayant des incapacités reste ancrés dans l’inconscient

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collectif (Frederick, 2015; Meadow-Orlans, 2002; Molden, 2014). Selon ces auteurs, plusieurs PADV ont déjà été victimes de discrimination ou ont été traitées injustement à cause de leur déficience corporelle. Cette notion de discrimination nous mène au cœur du principe de participation sociale (Weber, 2004). En effet, il s’agit d’envisager des mesures en vue d’éliminer les formes multiples de discrimination qui frappent les personnes ayant des incapacités. Nos résultats offrent des repères pour l’action. Par exemple, le fait de vivre des situations de discrimination fondées sur le handicap témoigne du niveau d’inadéquation entre l’environnement et les caractéristiques de la personne (Weber, 2004).

Ces résultats permettent de s’interroger sur certains préjugés ou stéréotypes qui pourraient contribuer à la sensation des PADV d’être en quelque sorte surveillés quant à la qualité de leurs compétences parentales. En somme, la présente recherche montre que c’est la société, par ses normes établies, qui semble déterminer la valeur à donner au PADV en tant que personne « capable » ou « incapable » de satisfaire aux besoins d’un enfant. En ce sens, la majorité des participants ont rapporté ressentir l’obligation de dépasser les limites normatives établies par la société dans la vie avec leurs enfants. Certains en viennent à développer de grandes attentes à l’endroit de leurs enfants. Par exemple, les PADV aspirent que leur enfant soit sage, bien élevé, obéissant, etc. Conséquemment, ces parents s’investissent énormément afin que leurs enfants réussissent sur le plan scolaire et social. La parentalité avec une déficience visuelle sollicite un engagement important de la part des parents, ce qui mobilise inévitablement une somme importante de temps et d’énergie des parents concernés. Autrement dit, l’engagement parental peut être éreintant. À ce sujet, pendant que ces parents affirment répondre de manière satisfaisante aux besoins de leurs enfants, ils ont l’impression que la société juge leurs capacités personnelles insuffisantes. Ceci rejoint un constat établi par plusieurs auteurs qui montrent dans leurs travaux que le soupçon d'incapacité parentale pèse parfois injustement sur les couples aveugles (Gojard, 2003 ; Kent, 2002; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014).

Plusieurs PADV éprouvent de la crainte et de la résistance à l’idée de demander de l’aide, ou tout simplement, ils refusent d’accepter les services offerts. Ils affirment avoir souvent masqué ou dissimulé la DV en raison du malaise que paraît soulever leur parentalité.

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Pressentant ou anticipant des reproches à leur endroit, ces parents peuvent hésiter avant de demander l’aide nécessaire (Gojard, 2003).

Témoignant d’une attitude pessimiste, quelques participants ont fait un portrait sombre de leur parentalité, ancré dans des événements vécus. Leur discours se distingue par une insistance sur leurs vulnérabilités (p. ex. : déficit visuel) et par l’absence ou le peu de référence à leurs capacités. Selon Meadow-Orlans (2002), la présence d’attitudes négatives et de croyances stéréotypées peut nuire à la mise en place de stratégies ingénieuses et créatives de la part des PADV.

Notre analyse nous permet de voir comment l’environnement, pris au sens du Processus de production du handicap, constitue un lieu de production de préjugés et de stéréotypes qui influent sur la parentalité de PADV. Nos résultats soulignent bien que les PADV rencontrés sentent que persistent les perceptions relativement négatives à leur égard. En effet, leur potentiel de participation sociale, notamment concernant leur capacité à élever un enfant, ne leur semble pas pleinement reconnu.

Nos résultats mettent aussi en exergue les conséquences néfastes pouvant survenir lorsque les compétences parentales de PADV sont remises en question. D’après les résultats de plusieurs études,de telles conséquences peuvent se traduire par du repli sur soi, de l’isolement, une baisse de l’estime de soi ou encore de la détresse psychologique (Conley- Jung & Olkin, 2001; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014). Lorsqu’ils rencontrent plusieurs difficultés, la plupart de ces parents se sentent souvent découragés, ce qui affecte dans le même temps leur confiance en eux. Dans ces cas, ils perçoivent leur situation personnelle comme éprouvante. Dans une autre étude (Kent, 2002), on souligne que la plupart des problèmes vécus par les PADV peuvent, au-delà des questions de déficience visuelle, être en lien avec une détresse psychosociale. Les PADV vivent assez souvent des émotions polarisées, en ce sens qu’ils se sentent tiraillés entre des émotions positives et des émotions négatives.

En conclusion, ces points semblent particulièrement centraux au regard des habiletés parentales. Les incapacités visuelles limitent certaines habiletés, ce qui génère des besoins chez les parents. Par exemple, le niveau de pauvreté, l’absence d’implication de l’autre

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conjoint ou encore l’isolement social et la stigmatisation représentent des circonstances aggravantes en matière de préoccupations. Le tout peut amener les personnes à éprouver un sentiment d’incompétence, qui est présent depuis leur enfance, mais qui s’étendra aux interactions pour lesquelles ils ont des responsabilités, à savoir la pratique parentale. Il s’agit d’un cercle vicieux : l’augmentation des besoins renforce et augmente le sentiment d’incompétence, qui contribue à maintenir un niveau de préoccupation élevé, et ainsi de suite. Il est toutefois important de spécifier que l’objectif visé par les PADV rencontrés n’est pas de ne jamais rencontrer d’obstacles ou vivre de situations difficiles, mais bien d’être en mesure de s’en sortir lorsque cette éventualité se produit.

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