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Facteurs impactant la consommation d’antibiotiques au Maroc

Rappels généraux

68 5. Impact du niveau de revenus

II. Analyse et discussion

1. Facteurs impactant la consommation d’antibiotiques au Maroc

L’analyse a révélé des corrélations pertinentes entre le profil sociodémographique de l’individu et son comportement d’usage de l’antibiotique.

Ainsi, il s’avère à partir de l’enquête que 60 % des répondants ont pris l’antibiotique durant la dernière année. Ce chiffre est moins élevé par rapport aux études réalisés au niveau des pays en voie de développement (80 %) [45, 52]. En particulier, 50 % des répondants marocains affirment avoir pris un antibiotique durant les six derniers mois, se positionnant largement devant le Soudan, l’Egypte et l’Inde (76 %) [52].

Par ailleurs, l’enquête montre que les hommes sont plus consommateurs d’antibiotiques que les femmes quand il s’agit d’usage important par année (plus que deux fois par an). Plusieurs études ont souligné auparavant l’impact du sexe dans l’usage des antibiotiques [46, 45, 44]. Il semblerait par ailleurs que cet impact, certes présent, dépend d’un pays à l’autre. Ainsi, en Europe, les femmes seraient plus consommatrices d’antibiotiques [44] tandis qu’en Afrique, ce seraient les hommes qui consommeraient le plus [45]. Cela dit, les études menées ne croisent pas en général le sexe de l’individu et l’intensité de l’usage. Notre enquête permet de voir que dans le cas d’usages modérés (moins de deux fois par an), les ratios des consommateurs hommes et femmes sont sensiblement pareils.

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Notre enquête souligne également que les hommes intègrent les aspects liés au coût d’achat et à la facilité d’accès (39 % et 22 % respectivement) au médicament que les femmes (29 % et 17 % respectivement). Enfin, nous avons observé que les hommes recouraient moins fréquemment à la prescription médicale (42 % qui y recourent toujours parmi les hommes face à 56 % pour les femmes). Ces chiffres sont différents de ceux rapportés par [55] observant plutôt un ratio d’automédication 64 % pour les femmes et 36 % pour les hommes.

Par ailleurs, l’enquête trouve que les hommes seraient plus enclins à changer d’antibiotique en cours de traitement lorsqu’ils jugent qu’il est inefficace (84 % d’hommes et 80 % de femmes).

En globalité, nous avons observé que 50 % des répondants recouraient à l’automédication. L’étude de l’OMS [52] révèle des chiffres d’automédication bien plus faibles dans les pays en voie de développement LIC : 30 % en Egypte, 20 % au Nigéria et Chine et 5 % au Mexique et en Afrique du Sud. D’autre part, les études menées en Grèce soulignent un taux d’automédication atteignant les 70 % [41], alors qu’au Royaume-Uni, le patient est incité à se rendre directement à la pharmacie, soit un taux d’automédication est de 51 % [61].

L’enquête explore les raisons d’automédication. Elle démontre que dans 38 %, le patient considère que c’est plus pratique de se diriger directement à la pharmacie. Par ailleurs, Oirdi et al, [55] dans leur étude à Rabat trouvent que le type de l’automédication pratiquée par les clients : 63 % demandaient conseil, versus 30 % qui connaissaient un produit et 7 % qui avaient une ordonnance avec date de renouvellement expirée.

Ce chiffre correspond également au résultat observé par rapport aux critères de choix de l’antibiotique, montrant que pour notre population, 67 % des répondants se basaient sur la recommandation d’un pharmacien tandis que 30 % se basaient sur l’avis de personnes de leur entourage qui connaissaient l’antibiotique auparavant.

La pharmacie est la principale source d’antibiotiques (dans 94 % des cas), tout comme souligné pour les autres pays dans [47, 52, 57, 60].

Il a été observé que 68 % ne changent pas de dosage d’antibiotique en cours du traitement et que 28 % le changeait parfois. Il a également été observé que ce chiffre grimpait de 68 % à 78% quand il s’agissait de changer carrément d’antibiotique. Ceci confirme que les personnes se permettraient plus facilement de changer de dosage que de changer d’antibiotique.

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Il a été observé également que 78 % des personnes arrêtaient l’antibiotique seulement et seulement après avoir complété le traitement. Selon l’OMS [52], 64 % des personnes interrogées dans douze pays seraient contre l’arrêt de l’antibiotique en cours de traitement. Ce chiffre varie de 53 % en Chine et en Egypte à 87 % en Afrique du Sud. Le résultat que nous avons obtenu place le Maroc devant la Serbie, la Russie mais derrière le Mexique et l’Afrique du Sud.

Par rapport à l’impact de l’âge dans l’usage d’antibiotiques, nous avons observé que les personnes âgées de plus de 40 ans se basent en majorité sur la prescription médicale avant l’achat d’un antibiotique. D’autre part, toutes les personnes ayant déclarés ne jamais recourir à une prescription médicale ont entre 24 et 40 ans. L’enquête est en adéquation avec les observations d’études antérieures [47, 46, 45, 48, 52], concluant également que les personnes les plus âgées se basaient plus sur l’avis du médecin que les personnes jeunes.

Par ailleurs les quelques personnes âgées recourant à l’automédication se basent tous soit sur l’avis du pharmacien, soit sur une expérience personnelle passée. Les personnes ayant moins de 30 ans, par contre, considéreraient également l’avis d’amis et / ou membres de leur famille. Ce résultat appuie davantage le constat de prudence observé chez les personnes âgées dans la prise des antibiotiques.

La comparaison des raisons d’automédication chez les jeunes adultes ayant moins de 40 ans et les personnes ayant plus que 40 ans révèle que les jeunes intègrent l’aspect économique dans leur décision d’usage. Par contre, les personnes ayant plus que 40 ans se passent de l’avis du médecin car considérant que l’automédication est plus pratique.

Enfin, l’analyse des résultats note que les personnes ayant moins de 30 ans seraient plus enclins à changer de dosage d’antibiotique en cours de traitement. D’autre part, les personnes ayant plus de 30 ans seraient plus prudentes par rapport à l’arrêt de l’antibiotique avant la fin du traitement.

En analysant l’impact du lieu d’habitat, il s’ensuit que les antibiotiques sont plus utilisés en milieu péri-urbain. L’automédication est par ailleurs plus importante en péri-urbain, notamment pour des raisons économiques et par souci d’accès rapide et pratique à l’antibiotique. En péri-urbain, il a été observé également une plus forte part d’arrêt

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d’antibiotique avant la fin du traitement. Les analyses explorant l’effet du type de zone habitat dans un même pays sont rares. Nous retiendrons que dans les pays développés cette distinction s’avère ne pas être significative [51], alors qu’en pays LIC cette distinction est tout à fait justifiée [48, 52].

L’enquête s’intéresse également à l’impact de l’éducation, en croisant le niveau d’étude de la personne interrogée et son comportement d’usage des antibiotiques. Nous observons une corrélation claire et nette entre les deux variables : plus le niveau d’études est élevé, plus l’utilisation de l’antibiotique repose sur une prescription médicale. Nous observons une deuxième corrélation par rapport à la fréquence d’utilisation : plus le niveau d’études est avancé, moins l’antibiotique est utilisé. Plusieurs études dont [52, 46, 45] confirment que le niveau de consommation des antibiotiques est plus élevé chez les personnes à un niveau moins élevé d’étude. Nous noterons également à partir de notre enquête que plus le niveau d’étude est élevé, moins il y a de risque de changer d’antibiotique en cours de traitement.

Nous avons par ailleurs poussé l’analyse plus loin en distinguant les niveaux d’étude en Bac, Bac+2, Bac+3, Bac+5 et Bac+7. A partir des résultats de l’enquête, nous pouvons affirmer clairement que les personnes ayant Bac+7 se basent sur la recommandation du pharmacien et sur leur expérience personnelle, les personnes ayant un niveau Bac/ Bac+2 se basent exclusivement sur les avis des membres de la famille et /ou sur l’avis d’amis tandis que les personnes ayant entre Bac+3 et Bac+5 se basent surtout les recommandations du pharmacien.

Par un focus sur les personnes ayant mené des études dans le domaine médical, il s’avère que ces personnes prennent moins fréquemment d’antibiotiques. Compte tenu de leurs connaissances, cette catégorie d’individus a plus souvent recours à l’automédication, estimant qu’elle n’a pas besoin de l’avis d’un médecin : 31 % des personnes dans le domaine médical s’appuient sur leur avis personnel pour utiliser un antibiotique. Nous avons noté par ailleurs que ces personnes, consciente donc de la nécessité de prendre l’antibiotique jusqu’à la fin du traitement, risquaient moins de changer d’antibiotique (13 % contre 20 %). Par ailleurs, en cas de changement d’antibiotique, leur décision est motivée principalement par le constat que l’antibiotique en cours ne donnait pas de résultat (à 57 %). Scaioli et al, [62] ont réalisé une enquête en Italie auprès d’étudiants en médecine. Cette enquête s’adresse également au

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comportement d’usage tout en évaluant les connaissances des étudiants. Les auteurs démontrent que les personnes en cursus médical souvent ne pratiquent pas ce qui leur est enseigné, confirmant le résultat de notre étude : 15% des étudiants arrêteraient la prise d’un antibiotique avant de le finir.

L’évaluation des connaissances des personnes ayant fait des études en médecine par rapport aux autres confirme que clairement ces personnes ont une meilleure appréhension des enjeux de l’antibiorésistance et des modes d’usage de l’antibiotique.

En interrogeant d’autre part le niveau des revenus, paramètre corrélé d’ailleurs au niveau d’études, nous confirmons que les raisons d’automédication sont significativement impactées par des préoccupations économiques. En l’occurrence, les personnes à faibles revenus sont plus sensibles à l’aspect économique que les personnes à hauts revenus. Ces dernières recourent plutôt à l’automédication pour des raisons pratiques d’achat de l’antibiotique. Les personnes à hauts revenus, ayant en majorité un niveau d’étude élevé, considèrent souvent qu’elles n’ont pas besoin du médecin.

Enfin, l’évaluation des connaissances des répondants montre que 85 % savent que l’antibiotique est utilisé pour traiter les infections bactériennes.

2. Rôle du pharmacien d’officine dans la prévention de la résistance