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III- Objectif de l’étude

1) Facteur d’enrichissement trophique (TEF)

a/ TEF du carbone

De façon générale, la composition isotopique en carbone s’enrichit en 13C de 0 à 1‰ entre un consommateur et sa nourriture (Peterson and Fry, 1987), mais il n’est pas rare de mesurer des TEF supérieurs (McCutchan et al., 2003). Les TEF du carbone estimés lors de notre expérience sont compris entre 2.0 ± 0.8 ‰ et 2.8 ± 0.5 ‰, toutes températures confondues, ce qui parait élevé par rapport aux valeurs moyennes publiées dans la littérature mais correspond

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à la gamme des certaines observations (McCutchan et al., 2003). Remy et al. (2017) ont

obtenu des valeurs de fractionnement isotopique en carbone de l’ordre de 0.81 ± 0.39 ‰ chez des individus de G. aequicauda nourris avec une autre espèce de gammare d’eau douce G. pulex. En revanche, un enrichissement de 1.2 à 2.3 ‰ a été estimé chez les copépodes Temora longicornis (Klein Bettler et al., 2002). Tout en gardant à l’esprit les limitations due à notre protocole et la variabilité isotopique du krill, plusieurs hypothèse pourrait justifier ces hautes valeurs de fractionnement isotopique.

La première est qu’un fractionnement élevé peut être la conséquence d’un taux élevé de respiration. En effet, le 12C est d’avantage utilisé dans la respiration mitochondriale que le 13C. A température égale, nous observons des différences de taux de respiration entre les témoins et tous les traitements. Un métabolisme plus élevé pourrait conduire à un fractionnement isotopique plus élevé. D’une part, on peut supposer que les conditions d’élevage (densité élevée, volume faible, absence de cachette) impliquent un surcroit de stress et donc une élévation du taux de respiration par rapport à l’aquarium de réserve. D’autre part, la nourriture de meilleure qualité (i.e. nourriture animale vs. Nourriture végétale ou détritique) pourrait aussi permettre une activité plus intense, associée à une respiration plus élevée et un fractionnement isotopique plus élevé.

A ceci s’ajoute un effet potentiel de la température. En effet, nous avons observé une augmentation significative du taux de respiration jusqu’à la température de 25.2°C ce qui pourrait expliquer la différence des valeurs de TEF du carbone de 15.5 à 25.2°C. Cependant, cette hypothèse ne peut pas être approuvée à cause, d’une part, de l’incertitude des valeurs de TEF estimés au cours de notre expérience, et d’autre part, aucune relation positive n’a été montré entre les taux de respiration et les valeurs de δ13C chez G. aequicauda. En effet, seul le TEF du carbone estimé à 15.5°C diffère significativement du Δ13C à 25.2°C. Mais cette hypothèse reste intéressante et corrobore avec les observations de Masclaux and Richoux (2017) et devrait être retestée avec un protocole amélioré. Masclaux and Richoux (2017) ont montré une influence significative de la température sur le fractionnement isotopique chez les cladocères d’eau douce. Cette différence fût expliquée par le fait que les valeurs de δ13C s’équilibrent entre le taux de respiration et d’assimilation, deux paramètres dépendants de la température. La hausse de température encourage donc la respiration et l’expiration de 12CO2, provoquant l’enrichissement en 13C du consommateur. De même, l’augmentation du taux métabolique lié à la hausse de la température a provoqué un enrichissement en 13C et un appauvrissement 15N chez des invertébrés aquatiques tropicaux (Carvalho et al., 2015).

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Enfin, une seconde hypothèse pourrait aussi contribuer, de façon non exclusive, au

fractionnement isotopique important observé ici. Les fèces peuvent être enrichis en 13C par rapport à la nourriture ingérée suite d’une part aux processus de digestion des gammares et d’autre part à l’action bactérienne durant leur dégradation. Nous ne pouvons pas exclure qu’une activité de coprophagie importante conduise à un TEF apparent plus élevés. Cependant, nous n’avons pas mesuré la composition isotopiquement des fèces.

b/ TEF de l’azote

On sait que les valeurs de δ15N augmentent avec le niveau trophique et que le fractionnement isotopique de l’azote est fortement lié au régime alimentaire du consommateur (Vanderklift and Ponsard, 2003, Caut et al., 2008). Nos résultats concordent avec ces observations puisque les valeurs de δ15N sont significativement différentes entre les gammares nourris au krill (valeur moyenne de 8.2 ± 0.9 ‰) et ceux de l’aquarium de réserve où les gammares ont un régime alimentaire détritivore (valeur moyenne de δ15N est de 3.4 ± 1 ‰) (Remy et al., 2017). Le fractionnement isotopique estimé chez G. aequicauda au cours de notre expérience est compris entre 1.0 et 2.8 ± 0.3 ‰. Si on compare nos valeurs avec celles obtenues par Remy et al. (2017), on remarque que nos valeurs sont plus proches de celles des individus nourris au traitement animal (Δ15N = 2.91 ± 0.56 ‰) que celle des individus nourris à la litière de posidonie, soit Δ15N = 0.96 ± 0.42 ‰. Cette valeur de fractionnement isotopique est donc non représentative d’individus détritivores mais bien à celui d’un carnivore (Vanderklift and Ponsard, 2003). Cet enrichissement en 15N peut s’expliquer par l’apport excessif d’azote par la nourriture des gammares. Le krill est plus riche en azote que la litière de posidonie et les macrodétitus dont se nourrissent généralement G. aequicauda. La qualité nutritionnelle du krill est donc supérieure à celle d’un régime détritique ce qui se traduit dans nos analyses isotopiques par une augmentation du rapport C/N et donc de TEF de l’azote. Les besoins en azote de G. aequicauda sont donc bien inférieurs à l’apport par la nourriture lors de notre expérience. Cet apport excessif d’azote peut se traduire par une augmentation de l’excrétion azotée favorisant l’élimination de 14NH4 et induisant ainsi à l’enrichissement en 15N des tissus des gammes (Vanderklift and Ponsard, 2003).

Nous avons montré précédemment que la hausse de la température influençait le taux de respiration, l’assimilation, la digestion et donc l’excrétion chez les gammares. On peut donc

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supposer que les valeurs de fractionnement isotopique de l’azote augmenteront avec la hausse

de la température d’élevage. Cette hypothèse fût vérifiée par Masclaux and Richoux (2017). La température a induit une augmentation du taux d’ingestion chez les cladocères d’eau douce, diminuant alors la rétention de la matière organique dans le système digestif qui favorise l’assimilation incomplète de la nourriture et donc un enrichissement en 15N chez le consommateur. Nos résultats ne nous permettent pas d’affirmer clairement cette hypothèse, mais la différence significative des valeurs de δ15N chez les gammares élevés entre 21.5 et 27.5°C peut témoigner de l’influence de la température sur la physiologie des individus.

c/ TEF du soufre

Les valeurs de δ34S chez G. aequicauda obtenues au cours de notre expérience sont comprises entre 6.2 et 14.1‰. Ces valeurs correspondent aux valeurs estimées chez les consommateurs vivants dans les marais et les estuaires, soit d’un système benthique (Peterson and Howarth, 1987, Newsome et al., 2007). Or, ces milieux sont caractérisés par une forte dégradation bactérienne liée à la décomposition de la matière organique et représentent des milieux propices à la production d’H2S. L’aquarium de réserve, dans lequel ont été prélevé les gammares utilisés pour notre expérience, présente également ces caractéristiques. On peut donc s’attendre à une augmentation du δ34S au ours du temps puisque le krill, animal planctonique, présente des valeurs de δ34S plus élevées. Cela semble être le cas. Néanmoins, les δ34S des gammares restent inférieurs à ceux du krill en fin d’expérience ce qui conduit à déterminer des Δ34S négatifs (i.e. un appauvrissement en 34S entre la nourriture et les gammares. Les Δ34S sont estimées entre -3.2 ± 1.6 ‰ et -2.3 ± 0.4 ‰. L’équilibre isotopique n’étant pas atteint, le fractionnement isotopique estimé à l’issue de nos expériences peut ne pas être pas représentatif de l’espèce étudiée et de ces conditions d’élevage. Dans le cas du soufre, le turnover est d’autant plus lent que cet élément ne se retrouve que dans certains acides aminés. Cependant, un fractionnement négatif est parfois observé (McCutchan et al., 2003) et n’est pas contre intuitif dans la mesure si on considère que les processus de biosynthèse favorisent l’utilisation du 32S plutôt que le 34S.

Il est intéressant de souligner la variabilité des valeurs de δ34S entre les traitements de température, et donc de l’influence de ce paramètre sur le fractionnement du soufre chez G. aequicauda.

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Si on considère les trois éléments carbone, azote et soufre, il est important de noter que

l’impossibilité à définir précisément durant notre expérience si l’équilibre isotopique est atteint augmente l’incertitude sur le calcul des fractionnements isotopiques et limite fortement l’appréciation critique des résultats. La variabilité des compositions isotopiques observée entre les individus et entre les traitements de température peuvent à la fois refléter une influence directe du paramètre expérimental (i.e. température) mais aussi la variabilité liée à la source alimentaire. La différence de valeurs des estimations de TEF entre les deux méthodes de calcul avec et sans intégration de la variabilité isotopique du krill tend à montrer que la température n’agit de manière significative qu’entre certaines températures. Belle et al.,

(2020) ont conclu dans leurs travaux que la température n’est pas un indicateur propre à la variabilité du fractionnement isotopique chez Chironomus riparius (diptères) mais que ce paramètre influence les compositions de la nourriture avec la hausse de l’activité bactérienne avec la température, comme nous l’avions émis précédemment. Par conséquent, les baseline

isotopiques ont été modifiées au cours de l’expérience. Ils émirent également la conclusion que le changement des valeurs de C/N serait probablement lié à la teneur en lipides de la source mais sans en être la cause principale.

De plus, aucun turnover isotopique n’a pu être calculé en l’absence d’équilibre isotopique. On peut toutefois supposer que la température, agissant sur les réactions biochimiques d’un organisme, influence le taux de renouvellement tissulaire, notamment chez les ectothermes où les turnovers isotopiques sont plus rapides lorsque les températures sont hautes (Bosley et al., 2002). Il est important également d’introduire l’influence des paramètres biologiques sur les réponses des gammares face aux variations de température pour permettre d’appréhender au mieux les analyses isotopiques.

2) Optimum de température

Il a été montré de nombreuses fois que la température influençait la biologie, la physiologie et l’écologie des gammares (Janssen et al., 1979, Neuparth et al., 2002, Prato and Biandolino, 2003, 2009, Prato et al., 2006, 2008). Les résultats de notre expérience ont montré une influence significative de la température sur les gammares et ont permis de mettre

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