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5. Examen du contenu du manuel*—2ème partie : Les exercices et activités

5.2. Analyse et discussion des exercices

5.2.1. Les activités pratiquées par les adolescent

5.2.1.13. La fête, ou « Party »

5.2.1.13. La fête, ou « Party »

L’exercice 2 de la page 1317, qui rassemble l’image dessinée et des mentions écrites, est particulièrement parlant au niveau des stéréotypes dans la représentation des activités pratiquées par

des adolescents. Même s’il est plutôt difficile de tirer des conclusions d’une image fixe et, en plus, dessinée, plusieurs choses apparaissent ici. Si l’on regarde le contexte général, on voit que ces ados se retrouvent, en groupe, dans un appartement pour une « party » à—et on voit là la réapparition du même stéréotype récurrent--écouter de la musique. Les élèves ont pour exercice la sélection d’un choix d’activités différentes à calquer à chaque personnage dessiné, et ces activités sont : écouter de la music, danser ensemble, être assis sur le canapé, boire du jus d’orange et parler au téléphone portable. Des activités d’adolescents « typiques » sensés parler aux élèves. Pourtant combien d’élèves ne font pas des fêtes, n’y sont pas invités, les trouvent idiotes, combien d’adolescents font autre chose de leurs existences malgré la valorisation sociétale de ce comportement? Ce modèle d’activité-type pour adolescent est-il véritablement constructif quand on sait qu’une grande partie des jeunes se sentent mal-à-l’aise dans ce type de contexte de groupe, où l’importance est mise sur l’appartenance au groupe et sur l’apparence cosmétique et vestimentaire ? D’autant plus que ce comportement, ce « rite » adolescent n’est ni discuté ni remis en question.

En plus du caractère stéréotypé de la scène, on trouve au niveau des biais présents une prépondérance du phénomène d’idéalisation et d’invisibilité : Si cette version de la « party » entre adolescents est largement aseptisée, on peut percevoir derrière cette image ce qu’il peut vraiment en être, en commençant par exemple par les verres de jus d’orange, ersatzs politiquement corrects d’un réel problème chez les jeunes qu’est la consommation excessive d’alcool. Il en est de même pour l’exclusion, la mise à l’écart d’adolescents moins populaires dans ces contextes ultra-sociaux, qu’on pourrait entrevoir chez Kemal, le garçon assis seul et inactif sur le sofa, mais qui, contrairement à la réalité, n’est pas du tout abordée explicitement dans ce tableau. L’ambiance parait cohésive et il n’y a aucune indication que les protagonistes pourraient se sentir mal-à-l’aise, exclus ou anxieux, ce qui est pourtant le lot de bien des adolescents au cours de l’ordalie sociale qu’est une « party ». L’une des moments centraux de ce rite pourrait bien être la danse ; l’une des épreuves les plus violentes de la fête, torture pour certains moins à l’aise dans leur corps changeant d’ado, graal pour d’autres, mais dans tous les cas facteur de sélection au niveau de la popularité d’un adolescent. Cette même activité qu’est la danse apparaît elle aussi à plusieurs endroits dans le manuel. Il est visiblement bien vu d’aimer la danse, et de la pratiquer beaucoup pendant les fêtes : « They danced all night. » (p.13).

Une autre activité stéréotypée déjà mentionnée plus haut apparaît dans l’image—la discussion au téléphone portable, autre activité souvent problématique, parce que coûteuse et potentiellement addictive, liée à l’adolescence.

Quelques occurrences d’éléments contre-normatifs et potentiellement positifs pour l’identification et le développement de l’adolescent apparaissent pourtant dans cette image. D’abord, même s’il s’agit d’une exception, l’un des six personnages, Kemal, a un nom qui n’est visiblement pas Européen, ce qui peut être un atout pour ce qui est de l’intégration d’adolescents extra-européens qui peuvent se reconnaître dans ces noms arabophones. On constatera tout de même que c’est le seul protagoniste de la scène qui est inactif, puisque tous les autres effectuent des actions, alors que lui est passif, lié àà l’énoncé« sitting on the sofa ». Dans la même veine, toujours au niveau de l’effort fourni contre la présence de biais ethniques, si l’on regarde l’ensemble des personnages on voit un net effort vers la représentation de la multiculturalité. Plusieurs personnages sont bazanés, Anna, qui danse, a la peau très sombre. Seul Hugo est véritablement blanc de peau. Pourtant, toujours aucune thématique liée à l’ethnicité à la culture ou au racisme n’est évoqué, alors même que ce sont des sujets avec lesquels nombre d’adolescents ont à composer dans leur vie quotidienne.

Pour résumer, ce dessin à la page 13, avec son texte associé, véhicule des stéréotypes au niveau du mode de vie des adolescents (participent à des fêtes, parle au téléphone portable), mais comprend aussi des occurrences d’idéalisation et d’invisibilité (les ados boivent du jus d’orange, tous semblent s’amuser, aucune exclusion ni mal-être n’est visible ou problématisé, personne n’est ivre). De plus, l’image valorise des activités potentiellement défavorables pour le bon développement de l’adolescent, tels que l’usage abusif du téléphone portable et la pression d’être intégré à des activités sociales de groupe.

Une certaine pression des pairs qui pousse les adolescents à participer à ces fêtes est aussi évoquée : « I won’t tell you my secret if you don’t come to Mark’s party with me. » (p.27) Outre le mode de communication puéril on voit là une tentative de faire pression sur l’autre pour qu’il accompagne le protagoniste à la fête. La « party » est donc révélée comme un lieu ou le lien social est fondamental. Les adolescents attendent d’être invités par des camarades : « If Tom invites me, I’ll go to the party. » (p.30), et être à une fête ou non est une chose importante : « She won’t be at the party, will she ? » (p.35).xxi

D’autres activités tournent aussi autour du thème de la fête : Maria, par exemple, fait des achats non pas pour aider à la maison, mais pour « the party » (p.37), et le fait d’être malade n’a pour conséquence, dans les exercices examinés, que d’empêcher les ados d’aller à leurs fêtes : « Anne is ill, so I’m sure she won’t go to the party on Saturday. » (p.26), ou « I’m sure Andy will not come to the party

on Saturday, he’s ill » (p.30). Ainsi l’activité-type du Samedi soir pour l’adolescent serait d’aller à une « party », et la maladie d’Anne, qui n’est pas explicitée, et traitée de manière légère—s’agissant probablement d’un rhume, n’a pour toute conséquence de l’empêcher de participer à la fête. Ce qui est, on est d’accord, un moindre mal par rapport aux désagréments réels de ce que certains adolescents subissent lorsqu’ils sont atteints, pendant leur scolarité, de maladies graves, chroniques ou aiguës.