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4. Examen du contenu du manuel 1 ère partie : Les séquences « Read and Listen »

4.3. Conclusion sur les séquences « Read and Listern »

L’hypothèse de départ de ce travail est que ce manuel effectue une surreprésentation de certains types, comportements et modes de vie stéréotypées de l’adolescent, exagérés et caricaturés, et manquant de nuance, ne laissant peu ou pas de place aux identités non-typiques, notamment sur ce que Porfilio et Hickman (2010) appellent les axes de la race, de la classe, du genre, de la sexualité et du handicap. Si certains éléments contre-normatifs apparaissent, le manuel de langue en question, selon cette hypothèse initiale, reflète une image simpliste et stéréotypée de l’adolescent qui ne correspond pas à la complexité de la réalité. On peut aussi noter à l’intérieur de ces séquences des occurrences de divers autres types de biais dans la représentation de l’adolescent, notamment l’invisibilité, ou omission de certains types et comportements adolescents, l’irréalité ou l’idéalisation.

Pour résumer les résultats de l’examen des séquences « Read and Listen » d’EIM 2, l’on pourrait noter que l’analyse des séquences « Read and Listen » à travers les critères de la grille d’analyse semble indiquer la nette prépondérance d’une représentation stéréotypique de l’adolescent, véhiculant par là un curriculum caché particulièrement en ce qui concerne le statut social, l’origine ethnique et culturelle, le statut de sociabilité, l’état de santé (par omission), l’allure physique et le style vestimentaire, les activités pratiquées, les espaces géographiques représentés, l’orientation sexuelle, et la sexualisation des rôles.

En effet plusieurs constantes corroborant notre hypothèse sont apparues, notamment pour ce qui est des biais esthétiques (jeunes beaux, bien habillés, de bonne famille, cheveux coupés, gélés, coiffés), au niveau des « passe-temps/activités des ados » (musique pop, cinéma), ainsi qu’au niveau des modes de communication entre ados (conflits non-résolus, jalousie, compétitivité, mesquineries), et des rôles sexués stéréotypiques (les deux filles sont des chanteuses, les deux garçons, jouent de la guitare et de la batterie.) Les rapports entre adolescents semblent régis par des facteurs de popularité. Toujours au niveau des rapports entre adolescents, ceux-ci paraissent dépendants de la notion de groupe, et on trouve une valorisation de l’appartenance à un groupe à succès, victorieux et/ou populaire, constituant un curriculum caché véhiculant des valeurs sociales particulières, de réussite et de supériorité par la popularité.

Quelques éléments contre-normatifs ou anti-stéréotypiques, ou encore pouvant, par l’image de l’adolescent qu’ils véhiculent, favoriser le développement de l’adolescent en proposant des possibilités nuancées, des « désirs, habitudes et identités » (Suaysuan et Kapitze 2005) autres, apparaissent pourtant dans ces séquences. Le premier est la possibilité de changer de statut à l’intérieur d’un

groupe, comme le fait Amy, qui passe du statut de rejetée à celui de « star », même si cela entraîne la destitution de Joanne. Autre aspect non-biaisé, en termes raciaux cette fois : le personnage basané, Amy, finit par être le « héros », à la tête des rapports de pouvoirs dans le groupe, contrant ainsi des représentations racistes souvent constatés dans les manuels scolaires (Ndura 2004, Britton & Lumpkin 1997, HALDE 2008, Porfilio & Hickman 2010 .

Quelques autres éléments perçus comme contre-normatifs en relation à la norme de l’image de l’adolescent ont aussi été relevés dans les domaines : « profession/scolarité » et « statut social » : Dave, pourtant encore étudiant, travaille le samedi. Dans « situation/contexte », si l’on observe la séquence à la page 22, les personnages évoluent dans un lieu architecturalement ancien. Dans le cadre des « activités pratiquées », s’il s’agit toujours d’un intérêt pour la musique, Joanne et Dave écoutent une chanteuse dont la musique pourrait être qualifiée de «socialement critique », ce qui donne a ces adolecents une touche « intellectuelle » socialement valorisée. Dans le domaine de la « sexualisation des rôles », on a vu en tant que fille Joanne effectue un acte non-stéréotypique en proposant son numéro de téléphone à Dave, mais que si l’on met cet évènement en regard du rôle essentiellement négatif que Joanne va acquérir au cours des séquences, cet élément peut prendre une autre teinte, négative et critique. On retrouve aussi des éléments contre-normatifs pour ce qui est de l’« origine ethnique et culturelle » : Amy est visiblement métisse, et donc minoritaire, mais ses traits sont toujours très européens et son teint très clair et son altérité est donc émoussée, affaiblie, ne la laissant pas trop s’écarter du stéréotype en vigueur. On retrouve d’autres détails par exemple pour le « style vestimentaire » (à la page 48 Amy porte une veste sans forme), et en ce qui concerne la « hiérarchie entre les personnages » (Joanne, à la page 68, se montre dominante dans le groupe, ses suggestions sont acceptées, mais, comme on l’a vu, ce n’est pas, au vu de la suite de l’histoire, une attitude forcément valorisée par le récit).

Si ces éléments contre-normatifs ou non-stéréotypés paraissent contredire notre hypothèse, on constate d’abord qu’il sont minoritaires, et puis aussi que plusieurs de ces éléments en apparence anti-stéréotypés, lorsqu’ils sont décortiqués de plus près et mis dans le contexte de la narration dans son entier, sont d’une manière ou d’une autre disqualifiés, et révèlent un biais sous-jacent qui valorise la norme et critique ou disqualifie le contre-normatif.

D’une autre manière, il me semble aussi que ce roman-photo est très centré sur des situations répétitives. C’est un parti-pris, certes, mais, vu la longueur de l’histoire, on aurait pu imaginer un récit qui mettrait en scène des aspects plus divers de l’expérience de l’adolescent—relations amicales,

amoureuses, activités extrascolaires, situations scolaires, enjeux culturels et sociaux, mais aussi relations avec les parents. Celles-ci ne sont pas même mentionnées, ces adolescents semblant évoluer complètement à part du monde adulte, leur donnant une illusion d’autonomie. Heinz-Knowles (2010) remarque un phénomène identique dans la représentation de l’adolescent au sein de séries télévisées, et constate la dualité d’une telle image au niveau de la signification et de l’effet qu’elle peut avoir chez l’adolescent, à savoir un sentiment de toute-puissance et de non-conscience de leur dépendance à leur environnement:

Youth characters frequently existed in a world devoid of parental or family involvement. For many of the characters, family situations were unknown. For those whose family situations were known, parent characters were often absent, uninvolved, or ineffective. This portrayal of youth as self-reliant sends an empowering message to youth viewers, but it can also convey the sense that youth do not need connections to their families or the larger community. This type of message can impact the way both adolescents and adults think about the needs of youth. (p.22)

Plus simplement, encore, cette absence des parents et de la famille dans les séquences, même sous forme d’évocation indirecte, est une manifestation du biais que Sadker et Zittelman (2010) appellent l’irréalité, car dans la plupart des cas réels l’essentiel du temps d’un adolescent qui n’est pas passé à l’école est passé à la maison, avec ses parents, engendrant une multitude d’interactions parfois problématiques, portant à conséquence dans la vie de l’individu, et qu’il est par conséquent important à traiter.

5. Examen du contenu du manuel*—2ème partie : Les