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C HAPITRE III

III) Les animaux hybrides de Moacyr Scliar

III.1) Des félins au sphinx

La présence des félins dans la littérature scliarienne est sans aucun doute bien représentative. Tout au long de trois décennies, les œuvres telles que O Carnaval dos

animais (1968), A Guerra no Bom Fim (1972), O Centauro no jardim (1980), Max e os felinos (1981) et Os Leopardos de Kafka (2000) ont mis en scène ces animaux

sous des formes les plus diverses. Ainsi, le lecteur a pu se confronter à la chatte Lisl de Chagall, aux jaguars brésiliens, aux léopards de la parabole kafkaïenne, ou encore, à la présence effective d’un personnage sphinx dans le récit.

L’imaginaire de l’écrivain semble avoir une prédilection pour ces bêtes qui inspirent l’impétuosité et la force. Le témoignage de Moacyr Scliar, que nous avons cité auparavant concernant « l’état de métamorphose » dans lequel il se trouvait lors d’une création littéraire, ne relève pas simplement d’une blague. Ce témoignage met en évidence une certaine identification de l’écrivain aux fauves, partagée également par Kafka. En 1910, dans son journal, l’écrivain tchèque expose déjà ses désirs intimes de se transformer en chat : « Je me suis écouté un instant de l’intérieur et j’ai

perçu incidemment quelque chose comme le miaulement d’un jeune chat. Soit, ce n’est déjà pas si mal253

. »

Le conte « Les Lions » d’O Carnaval dos animais inaugure la présence des félins dans la littérature de Moacyr Scliar. Dans ce conte, l’homme s’acharne avec les moyens technologiques les plus avancés, parmi lesquels une bombe atomique et l’utilisation de gazelles automatisées empoisonnées, à exterminer les lions de la face de la Terre. De ces lions, autrefois très redoutés des hommes, il ne restera qu’un lionceau radioactif qui, rapatrié au zoo de Londres, sera tué par un fanatique. La population n’a pas le temps de fêter l’extermination du Mal que le lendemain éclate la Guerre de Corée.

Certainement ce conte allégorique, dans lequel les lions peuvent très bien occuper la place des nationalités pourchassées et opprimées, attire l’attention du lecteur sur le fait que la violence humaine se manifeste de forme cyclique et continue. Sans répit, l’homme trouve un prétexte pour détruire l’Autre ou pour faire de lui le bouc émissaire dont la fonction consiste à instaurer une paix éphémère au sein de la collectivité, atténuant momentanément les violences individuelles. Par ailleurs, le fait d’avoir choisi justement le lion, le roi des animaux, symbole de pouvoir, de sagesse, de justice et de maîtrise pour partager le récit avec des hommes, peut également renvoyer au fragile pouvoir politique de certains pays qui, renversés lors d’une guerre, voient une grande partie de leur population périr.

Comme nous pouvons le constater, dans ce conte, l’allégorie animale laisse le champ ouvert à de multiples interprétations, reliant le sens figuré au sens propre. Puisque l’élément de comparaison n’est autre que l’homme, toute la nature destructrice ou féroce que l’imaginaire du lion aurait pu contenir est neutralisée par une nature humaine davantage violente et exterminatrice.

Par ailleurs, dans d’autres œuvres, l’allégorie animale féline ne sert pas seulement d’élément de comparaison avec la nature humaine, mais peut aussi représenter l’interdit ou les peurs de l’inconscient humain contre lesquels l’homme se bat toute sa vie. Deux romans en particulier sont représentatifs de cette nouvelle approche de l’imaginaire félin : Max e os Felinos (1981) et Os Leopardos de Kafka (2000).

Ces deux romans présentent quelques points en commun. Les protagonistes sont tous deux des juifs européens : Max est originaire d’Allemagne, Benjamin, d’un petit village juif de la province de Bessarabie. Max e os felinos s’inscrit dans le contexte de l’émergence du nazisme en Allemagne et de la Seconde Guerre Mondiale ; Os Leopardos de Kafka, dans la période qui précède l’éclosion de la Révolution Russe de 1917. Les deux protagonistes se voient, à un moment donné, obligés d’émigrer vers le Brésil. Pendant toute l’intrigue, la présence des félins tels que le tigre, le jaguar et l’onça brésiliens accompagnera Max partout où il va : que ce soit en Allemagne, pendant sa traversée atlantique, ou encore au Brésil ; Benjamin, de même, sera hanté toute sa vie par l’énigme des léopards.

Considérons tout d’abord l’imaginaire félin dans Os Leopardos de Kafka où l’espace prédominant du récit se situe en Europe. Le titre établit d’emblée la relation intertextuelle avec la parabole Léopards dans le Temple, de Franz Kafka. Dans l’épigraphe du roman, le lecteur a accès direct au contenu de cette parabole qui constituera le leitmotiv de toute l’histoire :

Leopardos irrompem no templo e bebem até o fim o conteúdo dos vasos sacrificiais ; isso se repete sempre ; finalmente, torna-se previsível e é incorporado ao ritual254.

Cette citation apparaît en allemand et signée par un certain Franz Kafka dès la première page du roman, à l’intérieur d’un document intitulé « Relatório Confidencial 125/65 », c'est-à-dire, un rapport réalisé à l’époque de la dictature militaire au Brésil par le DOPS, visant inculper les personnes considérées subversives :

Senhor Delegado : tem por finalidade este relatório informar a V.S. acerca da prisão do elemento Jaime Kantarovitch, codinome Cantareira, detido na noite de 24 para 25 de novembro numa das ruas centrais de Porto Alegre. [...] Detido e conduzido à sede da Unidade de Operações Especiais, foi interrogado. Nesse procedimento utilizou-se o auxílio de choques elétricos, interrompidos por duas razões : 1) sucessivos desmaios do elemento Jaime Kantarovitch, codinome Cantareira, e 2) falta de energia elétrica. Desta maneira, o interrogatório não pôde ser completado. [...] O elemento Jaime Kantarovitch, codinome Cantareira, foi revistado. Em seus bolsos havia : 1) poucas notas e moedas ; 2) um lenço sujo e rasgado ; 3) um toco de lápis ; 4) dois comprimidos de aspirina ; 5) um papel, cuidadosamente dobrado, com as seguintes palavras datilografadas em alemão : Leoparden in Tempel

Leoparden brechen in (sic) den Tempel ein und saufen die Opferkrüge leer; das wiederholt sich immer wieder; schlieslich (sic) kann man es vorausberechnen, und es wird ein Teil der Zeremonie255.

254

Si la citation de ce rapport écrit en italique contribue à créer un effet de réel, comme s’il s’agissait d’un document officiel intégré au texte de Moacyr Scliar, le lecteur verra que les paroles écrites en allemand ne seront pas comprises des policiers. En attendant la traduction du texte, les enquêteurs croient avoir devant eux un message codé, écrit par des terroristes, plus précisément par des communistes, ce qui constituera l’énigme d’une histoire qui relie le contexte de la dictature militaire brésilienne (1964-1984) à celui de la période qui précède la Révolution Russe de 1917. Ainsi, pour comprendre l’origine de cette parabole kafkaïenne, le narrateur omniscient est obligé de réaliser une analepse, tout en revenant à l’histoire de son oncle, Benjamin Kantarovitch, surnommé « ratinho » (petite souris)256, pour expliquer comment ce texte a pu se trouver, tant d’années après, en possession de son cousin, Jaime Kantarovitch.

Cette analepse constitue les souvenirs du vieux Benjamin qui, hospitalisé, raconte à l’un des ses neveux médecins son passé en Europe. L’insolite aventure de Benjamin, dit « la petite souris », débute dans le shtetl de Chernovitzky, dans la province de Bessarabie. Benjamin est un jeune rebelle, influencé par les idéaux communistes et voit chez Trotski (1879-1940), le leader révolutionnaire russe et collaborateur de Lénine (1876-1924), l’homme capable de conduire au changement social. Un jour, Iossi, le meilleur ami de Benjamin, avec qui il partageait ces idéaux, est atteint d’une maladie grave déclenchée quelques jours après sa rencontre avec Trotski à Paris. Iossi demande à Benjamin de venir auprès de son chevet pour lui confier une mission secrète de la part de Trotski : aller à Prague et déchiffrer un message codé qui lui serait adressé par un écrivain anonyme. Dans le dialogue entre deux amis, l’importance de la mission ainsi que l’aspect dramatique de la scène sont mis en relief :

255 id., ibid., pp. 9-10.

256

Le surnom « petite souris » choisi par Moacyr Scliar pourrait mettre en évidence également une autre intertextualité kafkaïenne que l’on trouve dans la nouvelle « Joséphine la cantatrice ou le Peuple des souris ». Franz Kafka, « Joséphine la cantatrice ou le Peuple des souris », in La Colonie

pénitentiaire et autres récits, traduction Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard, 1948, pp. 87-112.

Cette fable raconte l’histoire d’une souris chanteuse qui a le pouvoir de rassembler et d’émouvoir son peuple à travers ses chansons. Pour Marthe Robert, les juifs sont ici changés en souris, en vertu d’une analogie fondée sur la nature prolifique de ces bêtes exécrées, traquées, vouées sans pitié à l’extermination. Ils deviennent à leur tour ces pauvres créatures pourchassées, n’ayant pour toute grandeur que la continuité de leur existence historique, et pour toute vérité que leur courage collectif. Marthe Robert, Seul, comme Franz Kafka, op.cit., pp. 36-37.

Quando a porta se fechou, Iossi fez um sinal para que Ratinho se aproximasse. Segurou-lhe a mão entre as mãos úmidas de suor e, olhando-o bem nos olhos, sussurrou :

– Tenho uma coisa a te pedir, companheiro Benjamin, uma coisa muito importante. – Fala, Iossi. – Ratinho, a voz embargada pela emoção. – Pede. O que pedires eu farei, custe o que custar257.

Il est intéressant d’observer que ce roman, outre le fait d’afficher dès le titre l’intertextualité avec la parabole Léopards dans le Temple, dialogue également avec d’autres récits kafkaïens. Dans cet extrait où les deux personnages se transforment en symboles de l’idéologie trotskiste, dans un rapport spéculaire où l’individualité d’Iossi et celle Benjamin sont annulées au nom d’une mission, nous vérifions une situation analogue à celle du récit Un Message de l’empereur (1914), de Franz Kafka. En effet, ce récit raconte l’histoire d’un empereur qui, de son lit de mort, fait venir un messager et lui adresse un message. L’empereur fait l’homme s’agenouiller à son chevet et lui chuchote le message à l’oreille. Le messager met ensuite toute son énergie et sa bonne volonté pour accomplir sa mission mais, au fur et à mesure qu’il avance, les obstacles deviennent insurmontables :

Le messager s’est mis en route sans retard ; c’est un homme vigoureux, un homme infatigable ; tendant un bras, puis l’autre, il se fraie un chemin parmi la multitude ; quand il rencontre une résistance, il montre du doigt sa poitrine, qui porte l’emblème du soleil ; il progresse d’ailleurs aisément, mieux que personne. Mais la multitude est si grande ; ses demeures n’ont pas de fin. S’il avait le champ libre, comme il volerait, et bientôt sans doute tu entendrais les coups superbes que ses poings frapperaient sur ta porte. Mais au lieu de cela, comme il s’épuise en vain258

!

À l’image du messager de Franz Kafka, Benjamin se trouve lui aussi dans un contexte labyrinthique dans lequel plus il essaie d’atteindre son but, plus il s’en éloigne. Ratinho perd l’enveloppe que Iossi lui a confiée contenant un papier rempli de lacunes, qui devrait être mis par-dessus le texte reçu à Prague, complétant ainsi le réseau codé. Il parcourt différents lieux sans savoir ce qu’il cherche exactement, mais ayant toujours présent dans sa conscience l’image d’un homme déchu, incapable d’accomplir sa mission : « Falhara na missão. Falhara por completo. Não descobrira nada, não fizera nada, conseguira até perder as próprias roupas259. »

Cependant, Benjamin ne baisse pas les bras. Il part à la recherche de cet écrivain qui devrait lui adresser le texte et croit découvrir avec l’aide du schames

257 Moacyr Scliar, Os Leopardos de Kafka, op.cit., p. 20.

258 Franz Kafka, « Un Message de l’empereur », in Dans la colonie pénitentiaire et autres nouvelles, traduction de Bernard Lortholary, Paris, Flammarion, 1991, pp. 163-164.

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(bedeau)de la synagogue de l’ancien ghetto de Prague le nom de celui qui, décrit en tant que rebelle par le vieil homme, pourrait bien être le messager communiste que Benjamin attendait : « Kafka lhe parecia um bom nome para um revolucionário : aquela dupla repetição do K era sugestiva de determinação, de tenacidade. Como o T de Trotski, cujo nome, aliás, também tinha esse K260. »

Guidé par ces fausses associations, Benjamin parvient à avoir Franz Kafka au téléphone et lui demande de lui envoyer le texte à l’hôtel où il séjourne, ce que l’écrivain exécute immédiatement, trahi par l’accent yiddish de son interlocuteur. Ce ne sera qu’à la fin de ses mésaventures en Prague que Benjamin dévoilera le malentendu : Franz Kafka croyait en fait que Benjamin était un journaliste d’une revue en yiddish avec laquelle il collaborait en envoyant ses textes littéraires.

Nous pouvons constater dans ce roman que Moacyr Scliar ne se contente pas de dialoguer avec les œuvres de Franz Kafka. Il transforme l’écrivain lui-même en personnage jouant un rôle secondaire. La description de son caractère et de son comportement sont en accord avec ses données biographiques. Il est perçu comme un homme réservé, révolté, qui souffre de la relation avec son père et qui cherche l’isolement de son minuscule appartement pour pouvoir se consacrer le soir à l’écriture.

Mise à part cette « fictionnalisation » d’un personnage historique, qui permet au lecteur d’être aux côtés de l’écrivain tchèque, le véritable hommage que Moacyr Scliar rend à Franz Kafka consiste à mettre en avant son écriture parabolique, source d’une multitude d’interprétations. Toutefois, Moacyr Scliar nous fait voir que, bien que l’herméneutique symbolique de la parabole ne s’épuise jamais, son interprétation est souvent liée à la cosmovision du lecteur qui l’interprète, relevant également du contexte historique dans lequel ce dernier est inséré. Considérant Benjamin comme un lecteur de l’époque, la lecture qu’il fait de la parabole révèle un monde divisé en deux, où les choses se présentent de façon antagonique : le bien est le communisme, le peuple oppressé ; le mal est le capitalisme, la bourgeoisie enrichie. Ainsi, afin de comprendre le texte codé de la parabole de Franz Kafka, Benjamin souligne les mots-clés « léopards », « temple », « vases sacrificiels » et « rituel ». Commençant par le mot « léopard », il part du sens propre vers le figuré. Mais le sens figuré est immédiatement déplacé vers le contexte politico-social de la lutte entre le peuple et

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la bourgeoisie capitaliste. Un contexte dans lequel l’imaginaire des léopards est associé à la férocité de la société capitaliste :

Tratar-se-ia de atacar leopardos ? Onde ? No zoológico, se é que havia um em Praga. E por quê ? O que teria Trotski contra os leopardos ? Talvez se tratasse de uma coisa simbólica. O leopardo é uma fera. Os capitalistas são ferozes, na sua ganância pelo lucro, na sua disposição de explorar o proletariado261.

En s’appuyant toujours sur le contexte politico-révolutionnaire, Benjamin poursuit ces élucubrations cherchant à figer un monde idéalisé. Son refus de la société capitaliste se transforme en une obsession, et, de ce fait, son unique clé d’interprétation. Il songe notamment que les « Léopards dans le Temple » pouvaient être l’épithète d’un groupe de trotskistes qui l’aiderait à accomplir sa mission. Cependant, il revient sur son idée de départ selon laquelle les léopards n’étaient autres que les bourgeois :

eram no mínimo, bichos controversos. Como chegar a uma conclusão sobre eles ? [...] De repente a verdade emergiu, e ele, como juiz deu a sentença : o texto de Kafka identificava os leopardos com um grupo de predadores particularmente agressivos, capazes de destruir até mesmo valores tradicionais. Que predadores ? Predadores burgueses262.

Suivant ce raisonnement, Benjamin a du mal à comprendre le rapport entre Temple et léopards, car le Temple, en tant que représentation d’une sphère spirituelle, contrastait avec la férocité et la cruauté des hommes qu’incarnaient les léopards. Cependant, il parvient à résoudre la dichotomie spiritualité versus cruauté, tout en récupérant la dichotomie marxiste qui oppose l’homme à la religion :

Qualquer templo – católico, protestante, budista, judaico – era um reduto da religião. E a religião, Marx tinha dito, é o ópio do povo. De modo que um ataque a um templo fazia sentido. Mas por que um templo em Praga ? Isso precisava ser esclarecido263.

Quant au sens de « vases sacrificiels », utilisés dans les temples païens et comparés aux calices dans l’Église catholique, Benjamin préfère penser à une opération non de vol, mais de confiscation, un geste symbolique pour aider à financer la révolution. Pour le sens de « rituel », le protagoniste comprend que les

261 Moacyr Scliar, Os Leopardos de Kafka, op.cit., p. 56.

262 id., ibid., p. 58.

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révolutionnaires devraient subvertir la cérémonie afin de perturber l’ordre établi dans le Temple.

Toutefois, ces énigmes ne l’amènent nulle part et il se voit obligé de rentrer dans son village natal sans avoir réussi ni à déchiffrer l’énigme, ni à accomplir sa mission. Sa rencontre avec Franz Kafka l’aide, du moins, à se rendre compte qu’il ne s’agissait pas du message qu’il attendait. Il emportera tout de même ce texte offert par l’écrivain jusqu’à sa dernière destination : le Brésil.

Obligé d’émigrer avec sa famille vers le Brésil lorsque la Révolution Russe éclate, Benjamin finit par apprendre le métier de son père et, en tant que tailleur, mène une vie modeste et solitaire à Porto Alegre. Bien qu’il garde sur lui toujours un exemplaire du Manifeste Communiste, les rêves révolutionnaires de sa jeunesse s’atténuent avec le temps et se cachent derrière sa petite vie, la routine de son métier et sa vieillesse.

Ce n’est qu’au moment de sa mort que tous ses rêves endormis émergent dans un contexte où l’imaginaire autour des léopards acquiert une nouvelle symbolique. Observons l’extrait suivant :

São eles. Ali vêm, pela trilha, os leopardos. Dois magníficos espécimes de uma raça agora em extinção. Vêm lado a lado, lambendo os beiços. Porque estão sedentos ; há anos que não bebem o líquido que está nos vasos, cujo cheiro agora os atrai./ Ao avistarem Ratinho, os felinos se detêm. Encaram-se, o homenzinho e as feras. É o momento da verdade. Ratinho deveria fugir ; é o que os leopardos esperam, que fuja correndo, que tome um trem, que suma na direção de uma pequena aldeia judaica do sul da Rússia./ Mas não é o que Ratinho faz. Ele simplesmente permanece imóvel, os punhos cerrados. No pasarán, murmura, entredentes. No pasarán. Os leopardos olham-no. Um deles lança um rugido que atroa os ares. Mas Ratinho nem pisca. Continua imóvel, os punhos cerrados. No pasarán./ Os leopardos dão meia-volta e lentamente somem nas sombras de onde emergiram. [...] Ratinho pode enfim descansar. Fecha as portas do templo e se vai264.

Moacyr Scliar dans ce roman prend soin de dialoguer avec l’œuvre kafkaïenne jusqu’à la fin. Les dernières lignes, lorsque Benjamin ferme les portes du Temple et s’en va, font sans doute référence à la parabole de Kafka intitulée « Devant la Loi », publiée en 1919. Ce récit raconte l’histoire d’un paysan qui passe toute sa vie à demander au gardien de la Loi la permission de franchir le seuil de la porte. Ce gardien le dissuade en disant qu’il n’est que le premier des gardiens et que de salle en salle il y aura des gardiens de plus en plus puissants. En attendant toujours sa

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permission, le paysan se résigne et n’ose poser la question cruciale qu’à la fin de sa vie, lorsqu’il est trop tard :

– « N’est-ce pas, dit l’homme, tout le monde voudrait tant approcher la Loi. Comment se fait-il qu’au cours de toutes ces années il n’ait eu que moi qui demande