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C HAPITRE III

III) Les animaux hybrides de Moacyr Scliar

III.3) Du cheval au centaure

De tous les animaux qui composent l’univers hybride de Moacyr Scliar, le cheval est, sans doute, le plus acclamé, grâce à la renommée internationale d’O

Centauro no jardim (1980), considéré par le National Yiddish Book Center comme

l’un des meilleurs récits ethniques d’expression juive écrits dans les derniers deux-cents ans. Le succès de l’œuvre, qui perdure et suscite de nouvelles interprétations auprès de la critique littéraire, a pour protagoniste un être mythologique hybride – le centaure – mi-homme, mi-cheval. Cette figure permet d’ouvrir le débat autour des questions identitaires complexes, comme l’appartenance de l’individu aux multiples cultures, puisque la force du mythe en tant que signe réactualise certains sujets qui, parfois, résistent à une analyse objective.

De plus, du fait d’être atemporel, le mythe peut être convoqué autant pour spécifier une situation qui remémore un comportement humain dans son ensemble que pour penser les appartenances ethniques spécifiques. Cependant, une lecture plus générale du roman, qui ne s’attarde pas sur les racines juives du personnage ni sur le contexte brésilien de l’État du Rio Grande do Sul, dans lequel la figure du centaure émerge, peut amener le lecteur à minimiser diverses connexions symboliques sous-jacentes à l’œuvre. Le récit s’éloigne donc de la diégèse initiale de la légende des centaures pour s’installer sur le plan du réalisme magique américain. Le centaure scliarien est plutôt une expérience fructueuse de l’écrivain qui se réapproprie le

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mythe grec tout en l’installant dans le contexte littéraire américain où la figure, à l’image de la sirène, se re-métamorphose, ouvrant le débat autour de ses trois filiations identitaires : la brésilienne, la gaucha et la juive.

Différemment des êtres hybrides précédents, jouant un rôle secondaire, comme le sphinx Lolah, originaire de l’Afrique, ou dépourvus de voix, n’existant que dans l’inconscient individuel du narrateur, comme la sirène, le centaure est un personnage à part entière. Il occupe la place de protagoniste et de narrateur autodiégétique, ce qui fait de lui justement l’un des meilleurs représentants du réalisme magique américain314. Toutefois, avant de comprendre la spécificité de cet être hybride, nous proposons de suivre le processus métamorphique du cheval dans l’œuvre scliarienne. Le cheval perçu uniquement dans sa nature animale se manifeste dans l’œuvre de Moacyr Scliar par le moyen de ce que nous appelons une « semi-personnification ». C’est le cas par exemple de la jument Malke Tube dans A Guerra

do Bom Fim (1972), qui, intégrée à l’histoire de Joël en tant que membre de la

famille, a même le pouvoir de combattre les ennemis nazis et de tuer le chien antisémite Melâmpio lors d’une bataille imaginaire orchestrée par Joël. Le caractère quasi humain de la jument est également mis en évidence à travers la relation de promiscuités entre l’homme des pampas et son cheval, comme s’il s’agissait d’un rapport sexuel entre un homme et une femme. Cette union homme-cheval annonce de forme explicite le roman O Centauro no jardim (1980), publié huit ans plus tard :

A égua é linda. Toda branca, apenas uma mancha brejeira em torno do olho que pisca, travesso. O homem ainda tem em suas veias a excitação da batalha. Sangue e amor... Desejo ardente... Sucumbe aos encantos da égua. Depois tomba numa

314 Pour Uslar Pietri, le réalisme magique latino-américain diffère de la littérature fantastique puisque l’élément nouveau n’est pas simplement l’imagination, mais la forme de représenter la réalité dans laquelle l’élément fantastique se manifeste. Dans cette perspective, l’univers latino-américain serait imprégné de magie dans le sens de l’étrange, de l’inattendu. Apud Antônio Esteves et Eurídice Figueiredo, « Realismo mágico e Realismo maravilhoso », in Eurídice Figueiredo, Conceitos de

Literatura e Cultura, Rio de Janeiro/Juiz de Fora, Ed. UEJF/Ed. UFF, 2005, p. 396.

Quant au choix du terme le plus approprié pour rendre compte de la réalité américaine, Irlemar Chiampi préfère le terme « merveilleux » à celui de « magique ». Selon elle, le merveilleux est plus associé à la tradition culturelle, gardant une relation structurelle avec les autres types de discours tels que le fantastique et le réaliste. Le terme magique, au contraire, une fois associé au réalisme, implique une ambiguïté théorique, soit d’ordre phénoménologique (l’attitude du narrateur), soit d’ordre du contenu (la magie comme thème). Pour Irlemar Chiampi, les avantages du terme « merveilleux » s’expliquent par sa propre définition étymologique, car le mot « merveilleux » renvoie à l’ « extraordinaire », à l’ « insolite » et à ce qui échappe à l’humain et au cours des événements. En outre, dans la racine du mot latin mirabilia se trouve « mirar » (en espagnol), regarder attentivement, regarder au-delà, présent aussi dans l’origine des mots « miracle » et « mirage », employés tous les deux en opposition au naturel. Cf. Irlemar Chiampi, O Real maravilhoso, São Paulo, Perspectiva, 1980.

macega, exausto. Adormece e sonha com centauros. [...] No Bom Fim a égua envelhece e perde o deboche. Puxa com resignação a charrete de Samuel. Mas seus olhos não perderam o antigo brilho ; e à noite sonha com centauros315.

Dans le roman Na noite do ventre, o diamante (2005), la « semi-personnification » du cheval est visible dans la manière dont le narrateur Gregório s’en prend à son cheval qui refuse d’avancer en direction d’une mine. Il lance des injures à l’animal qui devient son plus grand ennemi. Les attaques verbales du protagoniste sont entremêlées d’un discours religieux visant à excommunier la bête, à l’image d’un homme pécheur :

Vou te arrancar o couro, cavalo filho-da-puta, anti-semita de merda. Pra mim você é agente da Inquisição, seu ordinário. Você é um cavalo arrogante. De onde é que você tira essa arrogância, animal ? Jesus, o teu Jesus, entrou em Jerusalém montando um jumento. E sabe por quê ? Porque jumento conhece o seu lugar. Jumento não é metido a sebo. Jumento não banca o espertinho como você. Maldito sejas, cavalo. Maldito sejas de dia e maldito sejas de noite, maldito sejas em teu deitar e maldito sejas em teu levantar, maldito ao sair e maldito ao entrar316.

Cette stratégie employée par Moacyr Scliar de rapprocher l’homme de l’animal évolue dans d’autres romans vers l’incorporation de figures issues de la mythologie grecque. Ce n’est donc pas si étrange de trouver un centaure vivant au Brésil, du moment où l’espace brésilien accueille également d’autres figures mythologiques, en l’occurrence les Amazones. Ces femmes guerrières, qui nourrissent avec leurs chevaux une relation fusionnelle, surgissent dans Cenas da vida minúscula (1991) dans le discours du roi Salomon qui raconte à son fils magicien Habacuc les circonstances de cette rencontre inusitée avec l’une d’entre elles :

Corri ao pátio do pálacio, saltei sobre o dorso de minha águia que imediatamente alçou vôo, transportando-me através do oceano. Chegamos a uma região de matas verdejantes e rios caudalosos ; era como já deves ter imaginado, o país das amazonas. E então avistei, ou penso ter avistado uma mulher. Ela montava, ou acho que montava, um cavalo branco317.

Tombé fou amoureux de cette femme, qui semble plutôt appartenir aux rêves de Salomon qu’à la réalité, le roi, lors de sa mort, demande à son fils de lui ramener cette Amazone. Mais Habacuc échoue sa mission. Cette histoire traverse tout de même la descendance des Habacucs, et, au XVIe siècle, l’un de ses descendants, lui

315 Moacyr Scliar, A Guerra no Bom Fim, op.cit., pp. 13-14.

316 Moacyr Scliar, Na noite do ventre, o diamante, Rio de Janeiro, Objetiva, 2005, p. 147.

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aussi magicien, décide de traverser l’océan en quête de la femme légendaire. L’image floue que Salomon avait aperçue devient nette et claire :

Montada, completamente nua, num cavalo branco. Sim, ele sabia quem era. Longos cabelos pretos, olhos amendoados, boca de lábios úmidos, seios empinados, perfeitos : uma amazona318.

Du moment où Moacyr Scliar place l’Amazone dans l’espace brésilien, celui-ci devient un espace de renouvellement des utopies. L’écrivain revisite effectivement l’imaginaire des premiers chroniqueurs qui mélangeaient leurs descriptions ethnographiques et géographiques à leurs imaginaires peuplés de mythes médiévaux et grecs. André Thevet, par exemple, dans Les Singularités de la France Antarctique, consacre le chapitre intitulé « Abordement de quelques Espagnols en une contrée où ils trouvèrent des Amazones » à la description des mœurs des Amazones brésiliennes :

Quelques-uns pourraient dire que ce ne sont Amazones, mais quant à moi, je les estime telles, attendu qu’elles vivent tout ainsi que nous trouvons avoir vécu les Amazones de l’Asie […] En cette part elles sont séparées d’avec les hommes et ne les fréquentent que bien rarement, comme quelquefois en secret la nuit ou à quelque autre heure déterminée. Ce peuple habite en petites logettes et cavernes contre les rochers, vivant de poisson ou de quelques sauvagines, de racines et quelques bons fruits que porte ce terroir. Elles tuent leurs enfants mâles, incontinent après les avoir mis sus terre ; ou bien les remettent entre les mains de celui auquel elles les pensent appartenir. Si c’est une femelle, elles la retiennent à soi, tout ainsi que faisaient les premières amazones./ Elles font guerre ordinairement contre quelques autres nations et traitent fort inhumainement ceux qu’elles peuvent prendre en guerre. Pour les faire mourir, elles les pendent par une jambe à quelque haute branche d’un arbre ; pour l’avoir ainsi laissé quelque espace de temps, quand elles y retournent, si de cas fortuit n’est trépassé, elles tireront dix mille coups de flèches ; et ne le mangent comme les autres sauvages, ainsi le passent par le feu, tant qu’il est réduit en cendres. Davantage, ces femmes approchant pour combattre, jettent horribles et merveilleux cris pour épouvanter leurs ennemis319.

Bien qu’André Thevet transpose le mythe des Amazones au Nouveau Monde, il est intéressant d’observer que ces êtres mythologiques gardent plus ou moins les mêmes traits caractéristiques. Si l’auteur ne mentionne pas le cheval, c’est que cet animal ne faisait pas originellement partie du décor, étant introduit dans le processus de colonisation européenne. Toutefois, il prend soin de souligner que différemment des Indiens qui entourent ces femmes guerrières, celles-ci ne se laissent pas du tout « cannibaliser », gardant leur culture intacte des apports indigènes. Les Indiens, en effet, se limitent au rôle de procréateurs.

318 id., ibid., p. 88.

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Cet espace brésilien, source de nouvelles utopies et de renouvellement de figures mythiques est donc le scénario propice à la métamorphose du cheval en centaure. Dans O Centauro no jardim l’énonciation commence avec les souvenirs de Guedali, fils d’un couple d’immigrés juifs, qui se trouve dans un restaurant avec son épouse et ses amis afin de fêter ses trente-huit ans, et remémore les différentes phases de son passé. Au moment d’organiser sa mémoire, il relate comment il est né centaure dans une petite propriété agricole à l’intérieur du Rio Grande do Sul, comment il a chevauché à travers les pampas, comment il a connu son épouse-centaure, Tita, subissant tous les deux une chirurgie au Maroc pour extraire leurs parties équines. Cependant, les premières paroles prononcées par Guedali : « Somos, agora, iguais a todos320 », trahissent une éventuelle sensation de fin du processus métamorphique, puisque des vestiges du passé équin font toujours partie intégrante de la constitution psychique et physique de Guedali :

Agora que não há mais cascos evidentemente não é possível, mas a vontade que tenho é de dar patadas no chão até que um graçom apareça.

Tenho medo de ficar de pé. Temo que as pernas não me sustentem : a verdade é que ainda não aprendi a confiar nelas. Os bípedes não têm a firmeza dos quadrúpedes321.

Cette façon de construire le discours, partant d’une éventuelle phase finale du processus métamorphique pour ensuite revenir à son début, a de points en commun avec les deux récits de Kafka évoqués au début de ce chapitre, en l’occurrence

Rapport pour une académie et Recherches d’un chien. À l’image des récits

kafkaïens, le centaure se soumet lui aussi à une auto-analyse, ce qui renforce l’objectivité et l’auto-ironie provoquée par la distance entre l’objet (l’être métamorphique) et le sujet (l’homme se trouvant à la fin du processus métamorphique).

Bien que l’on vérifie le processus de métamorphose chez les deux écrivains, il est intéressant d’observer que Moacyr Scliar, différemment de Kafka, insère tout au long de l’analepse de Guedali, qui constitue l’intrigue du récit, non pas la présence d’un personnage qui passe du stade animal à l’humain, mais plutôt la figure d’un être qui naît double pour penser le processus de transculturation. Appartenant à une génération de juifs nés au Brésil, Moacyr Scliar est bien placé pour formuler dans un

320 Moacyr Scliar, O Centauro no jardim, op.cit., p. 7.

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personnage hybride la crise identitaire du fait d’appartenir à la culture brésilienne qui est la sienne sans l’être, puisque la culture juive, léguée par ses parents, crée des tensions auxquelles le protagoniste sera confronté tout au long du récit.

Nelson Vieira observe que Guedali assume une identité différente selon les occasions : il peut parfois incarner un centaure juif, un juif brésilien ou tout simplement un Brésilien, ce qui fait preuve d’une hybridité sélective322

. Berta Waldman, en revanche, pense que l’allégorie du centaure résulte de la composition d’un esprit juif dans un corps goy, dans le but d’éliminer la différence sur le plan apparent. D’après elle, c’est dû au culte de son corps que Guedali refuse la soupe de betterave, le poisson et le pain azyme des Pâques, considérés comme des aliments inadaptés à son ventre de longs intestins323.

Suivant le raisonnement de Berta Waldman, la partie équine de ses membres correspondrait à une facette de son identité brésilienne, tandis que la partie humaine à sa facette juive. Qu’aurait-il d’anormal dans sa facette juive si au regard de tous elle passe inaperçue ? La partie équine ne serait pas plutôt associée à la facette juive dont il veut se libérer au profit d’une assimilation à la société brésilienne ? Serait-il possible de diviser les membres du centaure et d’affirmer que du ventre jusqu’à la tête prédomine l’identité juive et du ventre jusqu’aux sabots, l’identité brésilienne ?

La première lecture du roman nous amène à croire que la partie équine correspondrait plutôt à un refus de la culture juive dont il veut s’en débarrasser pour être perçu comme un ordinaire citoyen brésilien. Toutefois, lorsqu’on comprend le symbolisme du centaure au Brésil, on se rend compte, qu’au moment où Guedali décide d’ôter sa partie équine, c’est une partie de son identité brésilienne, plus précisément de son identité gaucho, qu’il ôte aussi.

Moacyr Scliar dans ce roman revisite l’un des mythes fondateurs de l’État du Rio Grande do Sul : le mythe du « centaure des pampas ». En ce sens, Guedali est le reflet de l’identité gaucho, il représente la nostalgie des origines, des pampas, d’un temps et d’un espace perdus qu’il veut à la fois retrouver et oublier. Pour que nous comprenions mieux l’association entre Guedali et le centaure des pampas il faut remonter dans le temps et localiser la figure clé de cette métamorphose : le gaucho.

322 Nelson Vieira, « Humor e melancolia : dimensões híbridas e centaurescas na obra de Moacyr Scliar », in Zilá Bernd et Regina Zilberman, O Viajante transcultural, op cit., p. 184.

323 Berta Waldman, « A Guerra no Bom Fim : uma forma seminal ? », in Zilá Bernd, Regina Zilberman, O Viajante transcultural, id., ibid., p. 53.

Dans l’origine du mot gaucho, João Batista Alves Bossle observe déjà une contradiction. À la base, il pouvait désigner un chasseur de troupeaux sauvages, un contrebandier, un tanneur, un marginal ou un descendant des tribus guerrières, métissé avec les portugais et les espagnols324. Toutefois, José Luis Bendicho Beired observe que ce métissage n’a pas été harmonieux. D’un côté et de l’autre de la frontière, le gaucho ne s’est jamais intégré ni à la société ibérique, ni à l’indigène, se trouvant ainsi dans un « entre-lieu ». Il survivait de la chasse, de la vente du bétail d’autrui ou du bétail sauvage, en plus de pratiquer la contrebande. En tant que hors-loi, il était un homme libre et pouvait bénéficier de la campagne à frontière ouverte325.

Il est intéressant d’observer que la contrebande était une pratique déjà ancrée dans la culture du Plata à tel point d'être considérée l’un des piliers de l’économie locale bien avant la formation du Vice Royaume du Rio de la Plata, en 1776. Cette pratique a constitué un levier du développement régional et a contribué à l’indépendance politique des colonies, jouant un rôle significatif dans les luttes pour la démarcation des frontières.

Léa Masina observe que, dans l’imaginaire de la population qui habitait les frontières, la contrebande n’était pas considérée comme une pratique sociale illicite, et, de ce fait, elle n’était pas un crime. Elle était plutôt un instrument d’intégration entre les habitants des pampas, les rassemblant au moment de violer les lois imposées par un roi portugais ou espagnol326. À ce sujet, Guilhermino César commente :

Crime ? Mas o contrabando ali não se enquadrava sequer na categoria de contravenção, que é um crime liliputiano. Passava-se até com os espanhóis, e seus descendentes platinos, que contrabandeavam também… Seus rivais e vizinhos daquela praça de guerra muitas vezes os auxiliavam a enviar para outros ‘clientes’, fora do Prata, suas mercadorias maculadas pela transgressão da lei. Isso ocorria, quase sempre, quando as relações entre a Colônia e Buenos Aires se turbavam por motivo de guerra ou de intransigência ocasional dos agentes do fisco327.

324 João Batista Alves Bossle, Dicionário gaúcho brasileiro, Porto Alegre, Artes e Ofícios, 2003, p. 265.

325

José Luis Bendicho Beired, Breve História da Argentina, São Paulo, Ática, 1996, p. 18.

326 Léa Masina, « O Contrabando na confluência de culturas », in J.R.Castello, Práticas de integração

nas fronteiras, Porto Alegre, EDUFRGS, 1995, p. 165.

327 Guilhermino César, O Contrabando no sul do Brasil, Caxias do Sul: Universidade de Caxias do Sul, Porto Alegre, 1978, p. 43.

C’est seulement dans la seconde moitié du XIXe

siècle, à l’occasion des guerres d’indépendance, et lorsqu’il était en voie d’extinction, que le gaucho a été revalorisé en fonction de son utilité dans les champs de bataille. João Batista Alves Bossle observe que le mot gagne d’autres contours, avec un contenu élogieux, d’homme digne, courageux et déterminé. C’est à partir de ce moment que le mot gaucho devient « le symbole du courage et de la force, de l’amour à la liberté et de l’enracinement dans la terre natale ; l’esprit chevalier, noble et accueillant, la gentillesse envers les femmes, l’amour profond et éternel aux traditions328

».

Toutefois, cette nouvelle identité romantique accordée à l’homme gaucho répondait à une volonté politique d’assurer définitivement l’intégration du Rio Grande do Sul dans le territoire brésilien et de limiter les frontières à travers la création d’une identité gaucho construite à partir de l’altérité. Ainsi, l’image du contrebandier et du marginal n’était plus associée au gaucho brésilien, mais à celui de l’autre côté de la frontière. « L’autre » devient progressivement le coupable de la dégradation de la morale et des pratiques sociales. Le vocable castillan acquiert une connotation négative et on oublie qu’il était seulement le gaucho de l’autre côté de la frontière, tandis que le terme gaucho passe à désigner le gentilhomme brésilien.

Il est évident que pour le gaucho brésilien, seulement un fort programme