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L’activité d’un agent peut affecter le bien être d’un autre agent, sans que cela ne soit pris en compte par le marché et intégré dans le prix de marché. Il s’agit donc d’un effet externe (ou externalité) au marché qui entraîne un coût supplémentaire. L’effet externe peut être représenté par la différence entre les coûts marginaux privés (c'est-à- dire relatifs à la firme qui produit un bien) et les coûts marginaux sociaux, relatifs à la société (Faucheux et Noël, 1995). En présence d’externalités, les agents ne sont plus confrontés au juste prix des biens. Les décisions d’un agent A peuvent donc affecter le bien-être d’un agent B sans qu’aucune compensation ne soit versée. Une externalité est dite positive lorsque l’action d’un agent A entraîne une amélioration du bien-être d’un autre agent B sans que ce dernier n’ait eu à en payer le prix. Elle est dite négative, dans le cas par exemple des dégradations environnementales, lorsque B voit son utilité se réduire en raison de l’action de A, et ce, sans compensation monétaire de la part ce dernier.

Ces externalités négatives génèrent des dommages qui engendrent des coûts sociaux qui ne sont pas pris en compte par le marché (Pigou, 1932). En polluant sans aucune restriction, un producteur peut maintenir des prix plus bas que s’il était contraint par un quelconque traitement de ses déchets ou des pollutions provoquées par la production (Dales, 1968). L’absence d’un prix intégrant le coût social « génère une

asymétrie entre usage des actifs naturels comme biens manufacturés et comme générateurs de services environnementaux. » (Point, 1998, p. 14).

Les externalités sont notamment liées à la présence de biens collectifs auxquels aucun droit de propriété n’est associé. En tant que biens collectifs, les services environnementaux possèdent une double propriété définie par Samuelson (1954). Ils présentent d’une part, la caractéristique d’être non-exclusifs, c'est-à-dire que chaque agent peut utiliser ce bien même s’il n’en supporte pas le financement. D’autre part, ces biens sont dit non-rivaux, car en tant que biens indivisibles, ils peuvent être consommés simultanément par plusieurs agents sans que la consommation d’un agent ne vienne réduire celle d’un autre et donc affecter son bien-être. En l’absence d’un propriétaire identifié de ces biens (l’air, l’eau, etc.), leur accès et leur utilisation ne peuvent être restreints. G. Hardin (1968) explique qu’en présence d’une ressource commune, chaque agent va chercher à s’accaparer le plus de ressources possibles de façon à maximiser son utilité. Il remet ici en cause la théorie d’Adam Smith selon laquelle dans un marché en libre concurrence, la recherche de l’intérêt privé rejoint l’intérêt général. Baumol et Oates (1988) précisent que la plupart des cas d’externalités, qui impactent fortement la société, impliquent un nombre substantiel d’acteurs.

Les émissions de GES, cas d’externalité négative multilatérale, revêtent le caractère de non-rivalité. En effet, le préjudice subi par un agent ne diminue pas celui subi par un autre agent. Il s’agit d’un problème global qui a des répercutions sur une large échelle spatiale dans la mesure où les émissions de GES touchent la planète dans son ensemble. Elles résultent d’un grand nombre d’activités présentes sur une large partie de la planète et produisent des effets sur l’ensemble des écosystèmes (Faucheux et Joumni, 2005). Par ailleurs, ces externalités sont dites « dynamiques » - car la perte de surplus ne touche pas seulement des acteurs contemporains mais également les générations futures - et « diffuses » - dans la mesure où il est difficile de déterminer les responsabilités individuelles dans le niveau de pollution globale.

Par ailleurs, dans un contexte où les prix de l’énergie sont régulés et donc fixés au coût moyen et non au coût marginal, l’écart entre le signal-prix envoyé aux consommateurs et le prix optimal peut alors être important. La présence de tarifs régulés peut aussi éloigner les consommateurs du prix réel et les empêche de prendre des décisions socialement efficientes (Borenstein et Holland, 2005 ; Joskow et Tirole, 2007), la libéralisation des marchés de l’énergie est parfois présentée comme pouvant conduire à réduire cet écart. Néanmoins, si l’augmentation de la concurrence liée à cette libéralisation se traduit par une baisse des prix les consommations énergétiques pourraient croître.

Toutefois, le fait que les prix de l’énergie soient inférieurs aux coûts sociaux ou qu’ils soient très fluctuants22 ne suffit pas à expliquer le sous-investissement dans les biens et services d’efficacité énergétique. D’une part, même avec un prix bas de l’énergie, certains investissements sont rentables mais ne sont pourtant pas mis en œuvre et d’autre part, les études sur l’élasticité-prix de l’énergie23 montrent que les ménages ne réagissent pas « rationnellement » aux signaux-prix, notamment à court terme (Tableau 1, p.29) (Lijesen, 2007 ; Bressand et al. 2007 ; Besson, 2008 ; Gillingham et al.,, 2009 ; Clerc et Marcus, 2009 ; Madlener et Alcott 2009 ; Ryan et al., 2011). Dans ce contexte, une augmentation des prix engendrée par la meilleure prise en compte des externalités négatives, aurait – notamment à court terme – des conséquences assez limitées sur les investissements dans l’efficacité énergétique. Les réductions de consommation consécutives à une augmentation de prix sont limitées par la longue durée de vie et le faible taux de remplacement des équipements. La réduction peut être alors relativement faible car bornée par les besoins énergétiques qui dépendent certes des attentes du consommateur mais aussi de l’efficacité des équipements. Il faut toutefois noter une différence entre l’élasticité-prix du gaz qui est supérieure à celle de l’électricité (Dhal, 1993 ; Hasset et Metcalf, 1993 ; Reiss et White, 2005, Gillingham et al. (2009)).

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Les fluctuations des prix de l’énergie sont en partie dues à un autre type d’externalité négative non pris en compte, qui combine la rente de rareté et l’instabilité politique des pays producteurs. Ce sont en effet des événements politiques qui ont entraîné les deux chocs pétroliers des années 1970 et qui ont conduit l’Etat français à développer la production d’électricité d’origine nucléaire. Les recherches et les moyens mis en œuvre pour se prémunir contre l’insécurité énergétique ne sont pas entièrement intégrés dans les prix de l’énergie (on pourrait par exemple considérer qu’une partie des dépenses militaires devraient y être imputée).

23 L’élasticité-prix est définie comme le rapport entre la variation relative de la demande d'un bien et la variation

relative du prix de ce bien. Lorsque la part d’augmentation du prix du bien entraîne une diminution de la demande d’une part équivalente, celle-ci est parfaitement élastique et l’élasticité prix est égale à -1. Inversement, si pour toute augmentation du prix du bien la demande ne varie pas, l’élasticité est égale à 0 et la demande est considérée comme étant totalement inélastique au prix. Lorsqu’elle se situe entre ces deux extrêmes, par exemple lorsqu’elle est de -0,2, cela signifie qu’une augmentation de 1% du prix de l’énergie se traduit par une baisse de 0,2% de la demande énergétique.

Tableau 1 : Elasticités de la demande énergétique par rapport aux prix de l’énergie

Sources Court terme Long terme

Besson (2008) - 0,2 à - 0,06

Clerc et Marcus (2009) - 0,06 - 0,17

Dahl (1993) (gaz uniquement) - 0,76 à - 0,03 - 1,47 à - 0,26

Reiss et White (2005) - 0,39 à - 0,28

Alberini et al. (2011) -0.69 à -0.57

Bressand et al. (2007) - 0,4 à - 0,12 - 0,81 à - 0,32

Lorsque l’augmentation de prix persiste, cela affecte de façon plus significative la réduction des besoins énergétiques totaux dans la mesure où, en plus de veiller à maîtriser sa consommation énergétique, le consommateur peut également envisager d’investir dans des équipements plus performants afin de remplacer ceux qui sont les plus « énergivores » 24. Les entreprises ont quant à elles le temps de développer de nouveaux produits et processus de fabrication et une variation des prix peut donc peut avoir une influence sur le rythme des innovations dans l’efficacité énergétique Gillingham et al. (2009). Dans ce contexte, un réajustement des consommations énergétiques à long terme non proportionnel aux prix peut s’expliquer par le fait que l’estimation de l’élasticité-prix inclut les augmentations de la consommation énergétique qui peuvent survenir suite à la baisse du coût unitaire du service énergétique engendrée par l’augmentation de l’efficacité énergétique. Cet « effet rebond », dont la première description a été réalisée à travers le paradoxe de Jevons (1865)25, vient donc nuancer les estimations qui sont réalisées sur l’efficacité des technologies plus efficaces et les économies d’énergie attendues26

Aussi, une hausse des prix a des effets socialement régressifs puisqu’elle impacte davantage le niveau de vie des ménages ayant les revenus les plus faibles et ce, parce que ces derniers sont ceux qui consacrent la part la plus importante de leur budget à la consommation énergétique et ne peuvent ajuster parfaitement leur consommation avec l’évolution des prix.

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Les études qui se focalisent sur les facteurs influençant l’adoption de nouvelles technologies montrent, notamment pour les entreprises, qu’une augmentation des prix entraîne une plus grande adoption des équipements d’efficacité énergétique (Anderson et Newell, 2004)

25 Jevons expliquait à l’époque que l’amélioration de l’efficacité des machines à vapeur conduisait à une baisse

des coûts de production du travail mécanique engendrant alors une plus large diffusion de ces machines qui fonctionnaient avec du charbon et donc à un fort accroissement de l’utilisation de cette source énergétique.

26 Nous revenons plus en détail sur le mécanisme de l’effet rebond dans le chapitre 3 (notamment au §1.2.1,

p.156), lorsque nous traiterons de l’impact relatif des systèmes incitatifs sur les consommations énergétiques totales compte-tenu des potentiels réajustements de comportements de la part des agents.

En effet la part de ces dépenses est de 11% pour les 20 % des ménages les moins aisés et de 3,3% pour les ménages les plus aisés (op. cit.). L’augmentation des prix de l’énergie peut donc accroître les inégalités en impactant plus lourdement les ménages en situation de précarité énergétique (Bureau et Marical, 2012) (Encadré 2, p.30).