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Le processus de cartographie de l’e-Diaspora marocaine s’est étalé sur près de deux ans, de 2008 à 2010. L’archivage de ces sites s’est alors présenté comme une nécessité, leurs traces commençant déjà à disparaitre de la toile. Dix ans plus tard, en 2018, sur les 153 sites observés à l’époque, seuls 53 peuvent encore être qualifiés de vivants, c’est-à-dire : toujours en ligne et ayant été mis à jour au moins une fois au cours de la dernière année passée. Les deux autres tiers sont pour la plupart hors-ligne, tombés à l’abandon ou récupérés par des cybersquatteurs1

. 1. Technique de hacking consistant

à prendre possession d’un nom de domaine existant et de publier à sa place un contenu autre (e-commerce, publicités, arnaques, pornographie. . .). Le Web est un environnement éphémère (Section 2.2) et les e-Diaspo-

ras ne sont, au final, que des images instantanées d’un espace qui, une fois la capture effectuée, n’est déjà n’est plus tout à fait le même. Il a continué à évoluer et s’est transformé.

Parmi les nombreux sites du corpus marocain, les plateformes insti- tutionnelles (Section 1.3) sont celles qui ont le mieux résisté au passage du temps. En effet, 50% d’entre elles sont toujours vivantes et leur ancrage durable en ligne semble résulter d’une stratégie planifiée. La petite dizaine de sites consulaires identifiés en 2008 s’est ainsi muée en un seul et même portail Web consulat.ma2

sous l’impulsion du gouver- 2. Voirhttp://www.consulat.ma/fr/ aide.cfm, site lancé en 2011 dans le cadre du Plan Maroc Numeric 2013 (http://www.egov.ma/sites/default/ files/Maroc%20Numeric%202013.pdf) nement marocain. Puis, derrière elles, viennent les sites des associations

et ONG dont 30% sont encore accessibles. Mais c’est le cas de la blogo- sphère qui, en ce début de chapitre, nous interpelle le plus : sur les 48 blogs cartographiés, seuls 5 sont aujourd’hui vivants (soit à peine 10%).

Au sein de l’e-Diaspora marocaine, la blogopshère avait été carac- térisée3

comme une communauté densément liée entre chacun de ses 3. Voir l’intervention de M. Renault (https://www.youtube.com/watch?v= 1sE5PZVG6iM)

membres. Soit un espace d’expression et de représentation où circu- laient, tout autant, commentaires politiques que témoignages de la vie quotidienne des marocains de l’étranger. Pourquoi ce groupe de blogs s’est-il à ce point réduit, perdant au cours du temps son influence et son dynamisme ? Les blogueurs ont-ils simplement disparu et quitté la toile ? Ou ont-ils migré vers d’autres territoires du Web ? Peut-on remonter le fil des potentielles traces archivées de cette cybermigration

et en déterminer la destination ?

Au cours de ce chapitre, nous mènerons deux explorations succes- sives, proposant chacune une utilisation différente des fragments Web. La première nous permettra de comprendre la mutation progressive des blogs marocains vers les plateformes de réseaux sociaux à la fin des années 2010. Cette transformation, nous le découvrirons, est autant le fait d’une évolution technologique inhérente au Web, que le résultat de l’influence d’événements socio-politiques extérieurs à la toile. Parmi ces événements, le Printemps arabe et, plus particulièrement, la mani- festation marocaine du 20 février 2011 semblent avoir été des moments déterminants de l’histoire de la blogosphère.

En suivant cette nouvelle piste, nous questionnerons la réception de ce même événement par les membres d’un autre collectif en ligne, central dans la vie de l’e-Diaspora marocaine : le forum de yabiladi.com. Nous comprendrons la manière avec laquelle les membres de ce site se sont momentanément organisés et retrouvés emportés par la vague révolutionnaire qui déferlait alors sur le Maghreb et le Moyen Orient.

Comme un bilan de ces deux explorations nous introduirons, pour terminer, la notion de moments pivots du Web : des instants parti- culiers de l’histoire de la toile où celle-ci change soudainement de direction par la rencontre d’une avancée technologique et d’un groupe d’utilisateurs capables de s’en saisir4

. 4. Ce chapitre a fait l’objet d’une pu-

blication : Q. Lobbé, (2018), Where

the dead blogs are, ICADL, 2018 Mais, avant de débuter notre analyse, nous souhaitons revenir sur les aspects théoriques de ce que nous nommons exploration depuis le début de ce manuscrit. Il s’agit pour nous de présenter comment, ce courant des statistiques qu’est l’analyse exploratoire de données (AED), peut aujourd’hui servir de cadre méthodologique à une recherche por- tant sur le Web passé.

5.1

À la recherche de l’étonnement

Dans le courant du 19e siècle, la théorie statistique prend un tour- nant rigoriste majeur en préférant, à la longue tradition exploratoire5

, 5. Les statisticiens ont longtemps été

des explorateurs de données, palliant certaines lacunes théoriques, par l’uti- lisation d’outils de recueil des don- nées simples et visuels, comme le comptage par Quipu chez les civi- lisations précolombiennes (https: //fr.wikipedia.org/wiki/Quipu).

des analyses et des inférences toutes tournées vers la seule quête de l’optimalité, de la moyenne et de la loi normale (Ladiray, 1997). Les statisticiens tombent alors dans une logique confirmatoire, faisant des hypothèses fortes sur la nature même des données étudiées qui, dès lors, ne sont plus sources de calculs statistiques, mais un moyen vers la validation d’un modèle. La donnée est subordonnée au modèle et le réel doit venir confirmer la théorie. La domination des statistiques confirma- toires s’établit ainsi au détriment des statistiques exploratoires, souvent décriées par l’appellation péjorative de statistiques descriptives.