• Aucun résultat trouvé

Dans la suite de cette thèse, nous nous intéresserons plus particulière- ment à l’e-Diaspora marocaine66

et à son corpus de sites et de blogs, 66. http ://www.e-

diasporas.fr/wp/moroccan.html sélectionnés par D. Diminescu et M. Renault en 2008. Support de nos

explorations à venir, l’e-Diaspora marocaine présente plusieurs avan- tages permettant de l’intégrer facilement comme base de travail. Tout d’abord, nous conservons une proximité directe avec les chercheurs ayant cartographié ce réseau, pouvoir échanger régulièrement sur la base d’hypothèses ou de résultats étant un avantage non négligeable. Par ailleurs, lors de la cartographie initiale des sites, D. Diminescu et M. Renault avaient établi des contacts avec les créateurs de certains blogs marocains. Il pourrait, par exemple, être intéressant de réactiver ces connexions pour de futurs entretiens.

L’e-Diaspora marocaine a, ensuite, la particularité d’agréger un grand nombre de sites Web écrits en français. Bien que nous prévoyons un certain nombre de traitements automatiques (applicables à un large panel de langues), il ne faut pas négliger la part importante de travail manuel à réaliser. Être locuteur de la langue d’un site reste donc un avantage. Enfin, cette e-Diaspora peut faire l’objet d’une lecture topogra- phique relativement claire, présentant différents espaces et différentes communautés de sites, amenant chacun et chacune vers plusieurs pistes de réflexion.

Le corpus marocain est composé de 156 sites Web et de 397 liens de citations hypertextes. Majoritairement écrits en français et en anglais, les sites se répartissent en trois grandes catégories : 1) sites d’associations et d’ONG (50 sites), 2) blogs (47 sites), 3) sites institutionnels (22 sites). Leurs thématiques sont diverses et variées, mélangeant développement, citoyenneté et politique ou encore sujets intimistes et billets d’humeur (voir la Figure 1.13 pour un comptage complet).

catégorie 32 % associations/ong 31 % blog 14 % institution 13 % communauté 7 % média 3 % business, religion, ... sous-catégorie 11 % étudiant 9 % consulat 8 % développement 8 % intimiste 8 % mixe 8 % portail 7 % citoyenneté 6 % littérature 5 % politique 5 % humeur 4 % pays hôte 3 % ambassade 3 % information 25 % forum, cuisine, ... langue principale 69 % français 14 % anglais 8 % espagnol 4 % arabe russe, danois, ... 5 %

Figure 1.13: Répartition des sites de l’e-Diaspora marocaine par catégo- rie, sous-catégorie et langue prin- cipale (source : Atlas e-Diaspora https://frama.link/Pyt3Aq2x)

La Figure 1.14 représente la carte de l’e-Diaspora marocaine sous la forme d’un graphe : les nœuds sont les sites, les arcs sont les liens hypertextes et la taille des nœuds est proportionnelle au degré de chaque site67

. D’un point de vue de la topologie du réseau et de sa 67. Le degré peut ici être compris

comme une mesure d’impor- tance. Voir la Figure 2.6 et la Sec- tion 2.2 pour une explication plus détaillée de la notion de degré.

seule structure, nous pouvons observer un premier groupe de sites (Figure 1.14, a), non liés entre eux et très isolés du reste du graphe. Ce sont principalement des sites d’associations qui, au regard de leur production de liens de citations, semblent s’ignorer mutuellement. Ce faisant, la carte commence à nous interroger et à tracer des hypothèse entre le Web et le réel. Cette méconnaissance entre sites associatifs

est elle uniquement visible sur le Web ou peut elle être vérifiée sur le terrain ? Pourquoi les associations refuseraient-elles de faire collectif ?

bladi.net yabiladi.com

(c) blogs

(b) sites institutionnels

(a) associations et ONG

Figure 1.14: Cartographie de l’e- Diaspora marocaine (Par D. Diminescu & M. Renault)

Deux autres groupes de sites sont également très clairement visibles (Figure 1.14, b & c), mais présentent un profil différent. Très forte- ment liées entre elles, chacune de ces communautés de sites semble en revanche détachée du reste du graphe, toujours un peu à l’écart. Le premier groupe (Figure 1.14, b) est ainsi composé de sites institutionnels (consulats, ambassades. . .), formant un ensemble dense et homogène. Mais, théoriquement construits par l’État marocain à destination de ses ressortissants vivant à l’étranger, il est frappant de voir que ces sites ne sont pas très bien connectés au reste du réseau et encore moins à la se- conde communauté de sites. En effet, ce dernier ensemble (Figure 1.14, c) témoigne tout particulièrement de la présence en ligne des migrants marocains, puisqu’il est principalement constitué de blogs personnels d’émigrés.

Les sites institutionnels donnent, ainsi, l’impression d’échouer dans leur volonté (pourtant affichée) de structurer et d’organiser la vie de la diaspora, en polarisant l’attention autour d’eux (tout au moins sur le Web). Ils ne sont pas centraux, ce rôle est déjà occupé par deux autres sites (Figure 1.14, points rouges), faisant le pont entre chacun des trois groupes de l’e-Diaspora marocaine. Cet état de fait est-il nouveau ? Peut-être que ces sites viennent tout juste de s’installer ? L’État marocain est-il au courant de cette situation ? Pourquoi les blogs ne se connectent-ils pas aux sites institutionnels, est-ce de l’ignorance, voire de l’indifférence ou est-ce fait en conscience ?

De leur côté, les sites yabiladi.com et bladi.net occupent une position d’autorité étant, de fait, plutôt bien cités. Ce sont des portails commu- nautaires, bien établis dans l’écosystème et dans l’histoire longue de l’e-Diaspora marocaine68

. Leurs forums en ligne attirent notamment 68. Le site yabiladi.com et le groupe

de blogs migrants feront l’ob- jet d’explorations dédiées au Chapitre 5 de cette thèse.

plusieurs centaines de visiteurs chaque jour. Enfin, l’utilisation de la langue anglaise permet de faire un dernier lien69

entre les groupes 69. Voir la carte de la distri-

bution des sites par langue https://frama.link/2hFDT02Q

institutionnels et l’ensemble des blogs, plusieurs sites anglophones étant ainsi situés autour de bladi.net

***

Ces premières interrogations ne sont que des exemples pris parmi l’ensemble des problématiques soulevées par l’Atlas. Chaque nouvelle observation attentive d’une e-Diaspora amenant son lot de pistes à explorer, soit qu’elles portent sur une dimension singulière d’une po- pulation migrante, soit qu’elles interrogent plus largement le Web en tant qu’écosystème. Par exemple, les communautés de sites, révélées par l’e-Diaspora marocaine, suivent-elles un comportement particulier à ce seul réseau ? Ou peut-on dire que la forte connectivité des blogs entre eux est un fait général du Web ?

Aussi, les e-Diasporas doivent être comprises et analysées vis-à-vis de trois aspects : 1) le Web et ses règles propres, 2) les connaissances rassemblées en amont et en lien avec la diaspora concernée, 3) les retours et les confrontations à postériori avec le terrain sociologique ou historique. Mais une grande famille de questions semble pourtant difficile à adresser, et ce partant uniquement des e-Diasporas telles que nous les avons présentées. Comment prendre en compte le temps long, l’éphémère, les dynamiques et autres événements dans l’analyse de ces réseaux ?

Car les e-Diasporas ne sont, au final, que des images fixes, des captures instantanées d’une petite partie du Web. Or, les pages et les sites évoluent et se transforment en continu, rendant rapidement obsolètes les cartes réalisées pour l’Atlas. Ainsi, lorsqu’après dix années d’attente, nous revenons enfin visiter chacun des sites collectés, force est de constater qu’une grande majorité d’entre eux ont disparu, ont

été effacés ou ne sont plus ce qu’ils étaient.

Mais anticipant le caractère éphémère du Web, les chercheurs coor- donnant les travaux de l’Atlas décident d’ajouter une dernière brique à leur chaîne méthodologique (Figure 1.10) : l’archivage. Cette volonté de garder une trace des sites observés était même antérieure à la création de l’Atlas puisque la question de l’archivage fut posée dès 2004. Aussi et afin de préserver la tenue de recherches futures, portant sur l’histoire et l’évolution de chacune des e-Diasporas, une campagne d’archivage des sites cartographiés est lancée en 2010. Ce faisant, cette thèse et les chapitres à venir auront pour principal objet l’exploration au présent des archives Web de l’Atlas e-Diasporas.