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Partie 3 : Une synthèse des facteurs associés aux CSP 31!

3.3 Les expériences de victimisation 38!

Les écrits cliniques témoignent de l’importance des expériences de victimisation dans l’explication des CSP. Il est entre autres avancé par Araji (1997) que tous les jeunes qui

présentent des CSP agressifs sont victimes d’au moins une forme d’abus. Comme nous l’avons vu, le modèle théorique de Rasmussen (2000) est aussi basé sur le trauma, ce qui met en lumière l’importance de ce facteur de risque dans l’émergence des CSP. Il demeure toutefois que certains enfants présentant des CSP n’ont été victimes d’aucune forme de maltraitance rapportée.

Plus récemment, certains chercheurs ont testé empiriquement la proposition que les expériences de victimisation intrafamiliales (autres que la victimisation sexuelle) exercent une influence importante sur l’émergence des CSP. Les études ayant évalué l’influence de l’abus physique, la négligence, l’abus émotionnel et le fait d’être témoin de violence sur l’émergence de CSP l’ont fait avec des enfants d’âge préscolaire (Silovsky et Niec, 2002) et des enfants d’âge scolaire (Merrick et al., 2008 ; Tarren-Sweeney, 2008). Certaines études ont aussi évalué l’influence de ces expériences de victimisation, mais dans des échantillons où une grande partie des jeunes avaient aussi été agressés sexuellement (Adams et al., 1995 ; Hall et al., 1998). Plusieurs associations significatives ont été décelées entre ces variables et les CSP.

Par exemple, l’étude de Silovsky et Niec (2002) montre que 47% des enfants d’âge préscolaire de leur échantillon avaient vécu un abus physique et 58% avaient été témoins de violence physique. Bien que les études sur les enfants d’âge scolaire soulignent l’importante prévalence des victimisations au sein de leurs échantillons, il est difficile de se positionner

quant à l’influence des différentes formes de victimisations sur les CSP. Pour Tarren-Sweeney (2008), qui a étudié un échantillon composé de 347 enfants âgés entre 4 et 11 ans et présentant des psychopathologies complexes, aucune forme de maltraitance (mise à part une

victimisation sexuelle avec contact) ne prédisait la présence des CSP. Pour cet auteur, c’est l’exposition cumulative à l’adversité, c’est-à-dire un cumul d’évènements stressants (p. ex : un âge précoce de placement, l’exposition à de la maltraitance, les conflits familiaux) qui

prédisait le mieux l’apparition des CSP chez les enfants.

En analysant les données longitudinales de 690 enfants tous âgés de 8 ans et n’ayant pas d’historique de victimisation sexuelle, Merrick et ses collègues (2008) ont pour leur part observé des liens significatifs entre le moment où différentes formes d’abus ont eu lieu [c.-à-d. « précoce » (avant 4 ans) ou « tardif » (entre 4 et 8 ans)] et certaines caractéristiques des CSP. Ainsi, les enfants victimes d’un abus physique « tardif » ont deux fois plus de risque de présenter des difficultés sur le plan des frontières personnelles, comparativement aux enfants n’ayant pas vécu d’abus physique. De plus, les enfants ayant vécu un abus physique, peu importe le moment où il est survenu, ont significativement plus de risque de montrer leurs parties génitales en public que les autres enfants. De la même manière, un vécu d’abus physique « tardif » ou de négligence « précoce » prédisait la présence de comportements d’intrusion sexuelle chez ces enfants. L’abus émotionnel a aussi été évalué, mais son effet sur les CSP était moins clair. Les enfants ayant vécu un abus émotionnel « tardif » étaient deux fois plus à risque de démontrer des connaissances sexuelles inappropriées pour leur âge, ce qui n’est pas forcément considéré comme un CSP, bien que cela puisse être un indice d’une problématique en émergence.

Finalement, Adams et ses collègues (1995) ont évalué des enfants et adolescents âgés entre 5 et 18 ans issus d’une population clinique et ont trouvé des liens significatifs entre l’abus physique, la négligence et l’abus émotionnel et les comportements sexuels. De la même manière, Hall et ses collègues (1998) concluent que les enfants présentant des CSP étaient 11 fois plus susceptibles d’avoir été victimes d’abus physique. Cependant, selon Boisvert et collègues (2016), d’autres études avec une qualité méthodologique plus élevée (c.-à-d. avec un plus grand échantillon et la présence d’un groupe contrôle) n’ont pas conclu que l’abus

physique prédisait de façon significative la présence de CSP.

La recension des écrits ne permet pas d’arriver à un consensus quant à l’influence des expériences de victimisation non sexuelles sur l’émergence de CSP chez les enfants pour trois raisons. Premièrement, les études arrivent à des résultats discordants à cause de méthodologies et d’échantillons différents. Il semblerait donc qu’une évaluation plus approfondie des formes de victimisation, mis à part la victimisation sexuelle, soit nécessaire pour pouvoir généraliser les résultats de ces quelques études. Deuxièmement, les victimisations sont très souvent conceptualisées comme des pratiques parentales coercitives. Or, plusieurs indices dans la littérature scientifique nous portent à croire que les victimisations extra familiales, telle l’intimidation par les pairs, peuvent avoir un effet tout aussi important sur les enfants que les expériences de victimisation vécues au sein de la famille. À notre connaissance, une seule étude a porté sur la violence vécue à l’école et dans la communauté en regard des CSP, et ces deux variables étaient associées à l’émergence de CSP chez les enfants (Szanto et al., 2012). De plus, une étude récente portant sur la polyvictimisation des jeunes Québécois (Cyr, Chamberland, Clément et Lessard, 2014) a montré que les voies de fait, le harcèlement et

l’intimidation représentent la catégorie de victimisation la plus souvent vécue par les enfants de moins de 12 ans. Puisque l’intimidation n’est pas le résultat de pratiques parentales coercitives, nous avons considéré qu’elle doit être évaluée au même titre que les autres types de victimisation quant à son lien probable avec les CSP.