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Les hautes technologies et les problèmes qu’elles engendrent ont réussi, paradoxalement, à susciter des volontés de recherches sur le sujet des basses technologies. Le sens de l’innovation s’est retourné vers des technologies plus simples mais élaborées, écologiques, plus légères en poids et en impacts environnementaux. Certains ingénieurs, scientifiques, philosophes… se posent dorénavant des questions, et publient de plus en plus.

Corentin de Chatelperron est un ingénieur breton sorti de l’ICAM (Institut Catholique des Arts et Métiers) de Nantes qui a aujourd’hui 35 ans. À la suite de ses études, il travaille trois ans pour des projets d’écotourisme et d’éolien. Il est également membre de la Société des Explorateurs Français ainsi que membre du conseil scientifique de l’école de design The Sustainable Design School.

Début 2009, il a rejoint le Bangladesh et le chantier naval moderne Tara Tari d’Yves Marre pour y construire des bateaux en composite de fibre de verre. Le Bangladesh, un des pays dont la population est la plus dense, occupe le delta du Gange et est très menacé par les cyclones et la montée des eaux. Malgré une mauvaise gestion des installations portuaires, le pays connaît une légère croissance annuelle et il a vu une expansion de sa classe moyenne.

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Cet ingénieur breton dénonce un sérieux problème au sein du pays, illustré par le transfert local des technologies occidentales. Les Bengalis réalisent actuellement un transfert des technologies si rapide et si brutal qu’ils n’ont pas le temps de s’adapter. Ils absorbent tellement vite les nouveautés de l’Occident qu’ils en oublient leurs richesses locales. Corentin de Chatelperron trouve donc aberrant qu’un pays comme le Bangladesh en arrive à rêver et même à copier notre mode de vie occidental alors que son histoire, sa culture, sa situation géographique, son climat, ses ressources naturelles et ses savoir-faire sont complètement différents de ceux de l’Occident. Dans l’idéal, il faudrait que chaque territoire se développe en fonction de son identité. Les Bengalis possèdent le plus grand nombre de pêcheurs et de bateaux au monde dont la plupart sont fabriqués en bois, à l’origine local.

En raison d’une grande quantité de bateaux fabriqués, les déforestations ont commencé à se faire de plus en plus nombreuses, et maintenant, les Bengalis importent du bois venant de Malaisie, de Birmanie, du Ghana et même d’Amérique du Sud. Mais les importations ne se font pas si facilement, les bateaux en bois sont souvent détruits par les cyclones, et donc les Bengalis ont tendance à construire leurs nouveaux bateaux avec des matériaux composites : un mélange de fibre de verre et de résine. Cependant, il y a deux inconvénients à utiliser cette fibre de verre : tout d’abord la production de ce matériau est très gourmande en énergie puisque qu’on utilise des bains de fusion à plus de 1500°C pour assembler tous les fils de la fibre, ce qui en fait un matériau non recyclable. En effet, à la fin de vie des bateaux, le recyclage coûte excessivement cher, et n’est pas forcément possible. Enfin, ce matériau pénalise l’activité économique du pays, car il est importé de l’Occident.

Le paradoxe des Bengalis, entre trouver une alternative pour sauver leurs pêcheurs et contourner le problème de la déforestation, les fait opter pour l’emploi de matériaux composites pour les coques de leurs bateaux, comme ce qu’on fait en France depuis 40ans.

C’est pourquoi, en voyant l’impasse à sa question – est-ce que le Bangladesh doit sacrifier ses pêcheurs ou est-ce que l’Occident doit transférer sa technologie de fibre de verre en répliquant la même erreur écologique ? – Corentin de Chatelperron a l’idée de contourner cette fibre de verre par un matériau local au Bangladesh : la toile de jute. Habitant sur un bateau en bois mais travaillant dans un chantier naval de fibre de verre à côté d’une usine de production de toile de jute, naturellement, il a voulu remplacer la fibre de verre par la toile de jute.

Le jute est une plante de trois à quatre mètres de haut, qui pousse en trois

« L’EXPÉDITION TARA TARI »

Corentin de Chatelperron, amoureux de la noix de coco, n’était pas grand navigateur, a 27 ans quand il part pour son expédition du Bangladesh

vers la France pendant 6 mois. De février 2010 au 17 août 2010, il aura parcouru 9000 milles à travers l’Océan Indien, la Mer Rouge et la

Méditerranée et aura visité 9 pays.

Le bateau Tara Tari de 9 m, construit en 3 mois avec l’aide d’ouvriers et de partenaires, est inspiré des bateaux de pêche traditionnels bengalis. Il est composé de 40% de toile de jute ainsi que de la résine de polyester

classique et des matériaux de récupération venant d'épaves bengalis. Le début de son expédition est difficile et ces six mois vont lui réserver

beaucoup de surprises et de déconvenues.

Lorsque le soleil se couche en février 2010 sur le Tara Tari, au milieu de l’océan indien, Corentin de Chatelperron ne s’endort pas, car tout s’éteint, même son pilote automatique. Il a donc dû barrer toutes les nuits pendant

presque une semaine.

Fin février, le temps est trop calme, le bateau n’avance pas ; en contrepartie, ces temps calmes lui permettent de développer sa technique

de pêche au lancé, inspirée d’un pêcheur djiboutien. Quand ce n’est pas le pilote automatique qui l’oblige à garder l’œil ouvert toute la nuit, ce sont plutôt les nombreux cargos au large du Sri Lanka qui ne le laissent pas

faire des siestes de plus de 10 minutes.

C’est donc en avril, que cet aventurier va entrer dans la zone la plus dangereuse en nombre d’attaques pirates : prévenu par des militaires, il s’est tout de même fait une grosse frayeur lorsqu’il a vu un cargo sans

radar se pointer. Après six jours dans la zone à rester attentif, il rejoint Oman et y reste sept jours, pour ensuite être tracté par la Navy omanaise

et un cargo militaire afin de rejoindre la Mer Rouge.

La traversée de la Mer Rouge est difficile car le temps est trop calme et l’oblige même à utiliser son moteur de secours alors que le bateau n’est pas vraiment adapté. Le canal de Suez est dangereux, parce que près des rifs, et après plusieurs pannes, il restera bloqué deux semaines en Egypte,

au canal de Suez en raison de problèmes administratifs.

Le canal de Corinthe a été traversé par le Tara Tari fin juillet, et Corentin de Chatelperron est arrivé en France à la Ciotat le 17 août 2010. Les pannes, les pirates, le canal de Suez et le mauvais temps ont été des obstacles supplémentaires, mais finalement, le Tara Tari a prouvé qu’il pouvait résister à presque tout, bien qu'étant constitué à 40% de toile de

jute. C’est un pari réussi pour Corentin de Chatelperron.

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mois environ et correspondait, il y a 40 ans, à 80% des exportations du pays. Après un traitement dans l’eau, puis une période de séchage, le jute est envoyé en usine par bateau pour créer la toile de jute. Les Bengalis ont développé un réel savoir-faire de travail du jute qui a ainsi contribué à la richesse du pays jusqu’à la fin des années 1980, impliquant 40 millions de personnes. Maintenant, avec le plastique et les fibres synthétiques, le Bangladesh n’exporte plus que 5% de son jute.

Corentin de Chatelperron a alors imaginé les impacts écologiques, économiques et sociaux de la toile de jute sur le pays, si on remplaçait la fibre de verre des coques de bateaux par ce jute. Il a alors entrepris des recherches et, à l’aide d’Yves Marre, patron du chantier naval Tara Tari et de l’architecte naval Marc Van Peteghem, ils ont construit un bateau de pêche fait à 40% de fibre de jute et 60% de fibre de verre. Pour prouver la solidité du matériau mais aussi convaincre des sponsors et trouver des partenaires pour continuer les recherches, il a entrepris un voyage de six mois avec ce voilier, partant du Bangladesh jusqu’à la France en passant par le canal de Suez. Il a parcouru 14 000 kilomètres.