3.2 Une structure math´ ematique adapt´ ee : les dio¨ıdes de coˆ uts
3.2.4 Exemples de dio¨ıdes de coˆ uts
Tout d’abord, nous commen¸cons par rappeler quelques d´efinitions. D´efinition 3.10.
Un dio¨ıde (Q,⊕, ⊗) est dit :
– s´electif si pour tout ´el´ement a, b de Q,
a⊕ b = a ou a⊕ b = b
– double-idempotent si les deux lois ⊕ et ⊗ sont idempotentes. – int`egre si pour tout a, b, c ´el´ements de Q,
(a⊗ b = a ⊗ c ∧ a 6= ⊥) ⇒ b = c
La propri´et´e de s´electivit´e implique que deux ´el´ements a, b de Q sont toujours comparables. Autrement dit, un dio¨ıde s´electif induit une structure d’ordre totale. Comme annonc´e, la notion de dio¨ıde de coˆuts recouvre une large vari´et´e de dio¨ıdes. La proposition suivante liste plusieurs cat´egories de dio¨ıdes de coˆuts. Proposition 2.
Soit (Q,⊕, ⊗) un dio¨ıde complet et commutatif. Pour que Q soit un dio¨ıde de coˆuts, il suffit que l’une des propri´et´es suivantes soit v´erifi´ee.
(2) Q est s´electif et muni d’un op´erateur racine n-ieme.
(3) Q est idempotent et int`egre, et pour tout ´el´ement q de Q, pour tout n > 0, l’´equation Xn= q admet au moins une solution.
Avant de d´emontrer cette proposition, nous listons dans la Figure3.2quelques exemples de dio¨ıdes des trois types pr´ec´edents et qui sont donc des dio¨ıdes de coˆuts.
ensemble sous-jacent ⊕ ⊗ √nq
Q∪ {+∞, −∞} min max q
Double- R∪ {+∞, −∞} max min q
idempotent P(S) ∩ ∪ q P(S) ∪ ∩ q R+∪ {+∞} max × q 1 n S´electif Q∪ {+∞, −∞} max + qn R∪ {+∞, −∞} min + qn Int`egre Rm + ∪ {+∞} min + q n
Figure 3.2 – Quelques exemples de dio¨ıdes de coˆuts
L’exemple R(max, +) est un dio¨ıde de coˆut qui peut ˆetre utilis´e pour la d´efini- tion du pire temps d’ex´ecution (WCET) : quand deux ´etats peuvent ˆetre joints par diff´erentes suites de transitions de coˆuts diff´erents, seul le pire temps est consid´er´e. Pour calculer le coˆut d’une suite de transitions, on somme les coˆuts de chaque transition. Le dio¨ıde P(S)(∩, ∪) est un autre exemple de dio¨ıde de coˆuts (S ´etant un ensemble fini ou infini). Dans ce dio¨ıde, le coˆut pour atteindre un ´
etat donne une information sur les ´el´ements de S qui ont ´et´e parcourus. Ceci peut ˆ
etre utilis´e pour connaˆıtre les parties du code qui ont ´et´e ex´ecut´ees.
Passons maintenant `a la d´emonstration de la proposition2. Afin d’am´eliorer la lisibilit´e de cette d´emonstration, nous utilisons plusieurs lemmes interm´ediaires. Tout d’abord, montrons que les dio¨ıdes de type (1) sont naturellement munis d’un op´erateur racine n-ieme.
Lemme 3.4.
Soit Q(⊕, ⊗) un dio¨ıde double-idempotent. La fonction identit´e est un op´erateur racine n-ieme de Q.
D´emonstration.
Soit n > 0. L’op´erateur ⊗ ´etant idempotent, l’´equation Xn = q admet q comme
solution ´evidente. D’autre part, cette solution est unique car toute solution ˜q v´erifie ˜q n = q par d´efinition, et aussi ˜q n = ˜q par idempotence. ut
Pour chacune de ces trois classes de dio¨ıdes, nous avons `a montrer que l’op´e- rateur puissance n-ieme est ⊕-mc. En fait, grˆace au lemme suivant, il suffit de d´emontrer que cet op´erateur est un ⊕-morphisme.
Lemme 3.5.
Dans un dio¨ıde complet et idempotent muni d’une racine n-ieme, la
puissance n-ieme est ⊕-mc si et seulement si c’est un ⊕-morphisme. D´emonstration.
Soit n > 0. Le sens direct de l’´equivalence ´etant ´evident, nous montrons qu’ˆetre un ⊕-morphisme suffit pour ˆetre ⊕-mc. Supposons donc que la puissance n-i`eme est un⊕-morphisme. La racine n-i`eme est alors aussi un ⊕-morphisme. En effet, on a, pour tout m > 0,
(⊕mi=1 √nx
i)n=⊕mi=1 (n
√
xi)n=⊕mi=1 xi
En appliquant la racine n-i`eme aux membres de gauche et de droite de cette ´egalit´e, on conclut que cette fonction est un⊕-morphisme. Ceci permet d’affirmer que cette fonction est monotone [BCOQ92].
Soit maintenant X un sous-ensemble non vide de Q. Si x∈ X, on a :
x ≤ Lx∈Xx
xn ≤ (L
x∈Xx)
n (par monotonie de la puissance n-i`eme)
(Lx∈Xxn) ≤ (L
x∈Xx)n (par idempotence)
Prouvons maintenant l’in´egalit´e inverse. Si x∈ X, on a : xn ≤ Lx∈Xxn
x ≤ pLn
x∈Xxn (par monotonie de la racine n-i`eme)
(Lx∈Xx) ≤ pLn
x∈Xxn (par idempotence)
(Lx∈Xx)n ≤ L x∈Xx
n (par monotonie de la puissance n-i`eme)
Ainsi, (Lx∈Xx)n =L x∈Xx
n, ce qui prouve, par d´efinition, que la puissance n-
i`eme est⊕-mc. ut
Pour les dio¨ıdes de type (3), nous devons aussi montrer que la puissance n-ieme est un ⊕-morphisme [DS87, DS92].
Lemme 3.6.
Soit Q(⊕, ⊗) un dio¨ıde idempotent commutatif et int`egre. Alors : ∀n ∈ N, ∀a, b ∈ Q, (a ⊕ b)n = an
D´emonstration.
Soit n > 0. Dans un premier temps, remarquons que si a = ⊥ alors (a ⊕ b)n =
bn. Ainsi, si a = ⊥ ou b = ⊥ l’´egalit´e est trivialement satisfaite. Supposons
maintenant que a 6= ⊥ et b 6= ⊥ et raisonnons par r´ecurrence sur n. Pour n = 0 et n = 1, la propri´et´e est trivialement satisfaite. On suppose alors n≥ 1, et on d´emontre la propri´et´e au rang n + 1. On a :
(a⊕ b)n+1⊗ (a ⊕ b) = ((a ⊕ b)n⊗ (a ⊕ b)) ⊗ (a ⊕ b)
= ((an⊕ bn)⊗ (a ⊕ b)) ⊗ (a ⊕ b) (par hyp. d’ind.)
= (an+1⊕ abn⊕ anb⊕ bn+1)⊗ (a ⊕ b) = an+2⊕ abn+1⊕ an+1b⊕ bn+2
⊕ a2bn⊕ anb2 (∗)
(an+1⊕ bn+1)⊗ (a ⊕ b) = an+2⊕ abn+1⊕ an+1b⊕ bn+2 (∗∗)
Il suffit alors de d´emontrer que les termes (∗) et (∗∗) sont ´egaux pour conclure. En effet, si c’est le cas, nous avons (a⊕ b)n+1⊗ (a ⊕ b) = (an+1⊕ bn+1)⊗ (a ⊕ b). Comme a⊕ b 6= ⊥ et que le dio¨ıde est int`egre, on peut simplifier cette ´egalit´e `
a gauche et `a droite par (a ⊕ b), ce qui montre la propri´et´e au rang n + 1. Regardons maintenant de plus pr`es les termes (∗) et (∗∗). On a a2bn⊕ anb2 = ab(abn−1 ⊕ an−1b). De plus, par hypoth`ese d’induction, on a an
⊕ bn = (a
⊕ b)n = abn−1⊕ an−1b ⊕ (an⊕ bn⊕ (⊕n−2k=2akbn−k)), ce qui permet d’affirmer que abn−1 ⊕ an−1b ≤ an ⊕ bn. L’op´erateur ⊗ pr´eservant l’ordre, on peut multiplier chaque membre de cette in´egalit´e par a⊗b. On obtient a2bn⊕anb2 ≤ an+1b⊕abn+1
et ainsi a2bn⊕ anb2⊕ an+1b⊕ abn+1 = an+1b⊕ abn+1 par d´efinition de l’ordre dans
un dio¨ıde idempotent. Cette ´egalit´e suffit pour d´emontrer l’´egalit´e des termes (∗)
et (∗∗), ce qui conclut cette d´emonstration. ut
On montre finalement que les dio¨ıdes de type (3) sont munis d’une racine n-i`eme.
Lemme 3.7.
Dans les dio¨ıdes idempotents commutatifs et int`egres, si, pour n > 0, l’´equation Xn= q admet une solution, alors cette solution est unique.
D´emonstration.
Soit n > 0. Tout d’abord, consid´erons le cas q =⊥. L’´equation ci-dessus se r´e´ecrit alors xn=⊥. L’unique solution de cette ´equation est λ = ⊥. En effet, λ = ⊥ est
solution, et si λ6= ⊥ est solution alors λn =⊥ = ⊥⊗λ, ce qui prouve par int´egrit´e
que λn−1 = ⊥ et, en it´erant ce proc´ed´e, que λ = ⊥. Supposons maintenant que q6= ⊥. Si λ1 et λ2 sont deux solutions de l’´equation Xn = q, on a λn1 = λn2 = q et
λ1 6= ⊥, λ2 6= ⊥. Comme la puissance n-i`eme est un ⊕-morphisme (lemme3.6),
on peut utiliser le lemme 3.2 pour montrer :
λn−11 ⊗ λ2 = λ1⊗ · · · ⊗ λ1⊗ λ2 ≤ λn1 ⊕ λ n
2 = q⊕ q = q = λ n 1
c’est `a dire
λn−11 ⊗ λ2 ≤ λn1
On a alors λ2 ≤ λ1 par divisions successives par λ1. En utilisant un raisonne-
ment sym´etrique, on montre λ1 ≤ λ2. Ainsi, λ1 = λ2 et l’´equation Xn = q admet
une unique solution. ut
Nous pouvons maintenant d´emontrer la proposition 2. D´emonstration.
Dans un dio¨ıde double-idempotent, l’op´erateur puissance n-ieme est la fonction identit´e. Ainsi, cet op´erateur est⊕-mc, ce qui prouve que les dio¨ıdes de type (1)
sont des dio¨ıdes de coˆuts.
Dans le cas des dio¨ıdes s´electifs, pour tout n > 0, (a⊕ b)n = soit an ou bn et
ainsi la puissance n-ieme est un ⊕-morphisme. Ceci permet de conclure, par le lemme3.5, que les dio¨ıdes de type (2)sont des dio¨ıdes de coˆuts.
Comme les dio¨ıdes de type(3)sont munis d’une racine n-ieme, les lemmes3.5
et 3.6 permettent de conclure que la puissance n-ieme est ⊕-mc. Les dio¨ıdes de
type(3) sont ainsi des dio¨ıdes de coˆuts. ut