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Cet exemple montre que les Directives pour l'établissement des rapports statistiques du CAD (OCDE 2010a), bien qu’elles soient régulièrement actualisées, ne parviennent pas à assurer une

interprétation uniforme de la part de tous les pays donneurs. Certains d’entre eux font une

interprétation large des critères du CAD, alors que d’autres font une interprétation plus

restrictive. Ainsi, certaines dépenses déclarées par les uns sont exclues d’emblée – ou

comptabilisées différemment – par les autres.

Dans ces conditions, les différentes interprétations des règles de notification peuvent

effectivement conduire à fausser les comparaisons internationales. Si le volume d’aide déclaré

par chaque pays donneur ne s’appuie pas sur les mêmes critères, les comparaisons de l’effort

d’aide ne peuvent être qu’arbitraires. Or, l’APD constitue la référence à laquelle se rapporte la

totalité des objectifs chiffrés. Le fait que sa mesure présente des faiblesses importantes – qui

puissent fausser les comparaisons internationales – questionne sa pertinence en tant que

référence pour juger de l’accomplissement de tels objectifs.

En somme, dans l’actuelle définition de l’APD, le critère qui se réfère à sa finalité comporte

des zones d’ombre importantes. Ces zones d’ombre concernent, d’une part, la contestable

contribution au développement de certaines dépenses qui sont comprises dans l’agrégat

statistique de l’APD. Elles concernent, d’autre part, l’interprétation parfois ambivalente des

règles de notification de l’APD. Évidemment, il existe des limites pour parer à la subjectivité

de pays donneurs. Les Directives pour l'établissement des rapports statistiques du CAD (OCDE 2010a)

sont claires. Elles exposent tout le détail nécessaire afin d’effectuer des déclarations de

dépenses qui ne transgressent pas la définition de l’APD. Néanmoins, c’est dans la propre

définition de l’APD que se trouve le piège. En effet, la finalité des dépenses comprises dans

l’APD est d’être dispensée dans un but de développement. Autrement dit, la finalité de l’APD

est jugée « par l’intention » (Charnoz et Severino 2007 : 9) des pays donneurs à promouvoir le

développement, et non par leur contribution effective à celui-ci.

I.5. Les conditions financières de l’APD

Enfin, le dernier des critères sur lequel se fonde la définition de l’aide est celui qui se réfère

aux conditions financières des ressources allouées. L’APD doit être octroyée « à des conditions

financières libérales. Dans le cas des prêts, l’élément de libéralité doit être d’au moins 25 % » (OCDE

2010d : 291), « sachant que la libéralité d’un crédit rend compte de l’avantage consenti à l’emprunteur par

rapport à un prêt au taux de marché » (OCDE 2012a : 123). Par conséquent, les subventions ou

dons accordés aux pays en développement font partie de l’APD, mais aussi les prêts accordés

à des conditions financières favorables

37

.

Selon la définition du CAD, les dons sont des « transferts effectués en espèces ou en nature et qui ne

sont assortis d’aucune obligation de remboursement » (OCDE 2010d : 293). En ce qui concerne les

prêts, ils sont définis par le CAD comme des « transferts qui impliquent un remboursement. Seuls les

prêts d’une durée de plus d’un an sont inclus dans les statistiques du CAD. Les données correspondent aux

versements et aux remboursements pendant la durée des prêts et non à leur équivalent don. Les chiffres relatifs

aux prêts nets fournissent le montant des prêts, déduction faite des remboursements de principal (mais non des

paiements d’intérêts) au titre de prêts antérieurs » (OCDE 2010d : 296). Cette définition mérite une

explication plus approfondie.

I.5.1. L’APD brute et l’APD nette

Il convient tout d’abord de faire la distinction entre l’APD brute et l’APD nette. Cette

distinction est importante car c’est bien sur le volume de l’APD nette que repose l’atteinte des

objectifs chiffrés d’APD. L’APD brute constitue la somme de tous les versements réalisés au

cours d’une année. Pour obtenir l’APD nette, il faut déduire de l’APD brute tous les

remboursements des prêts effectués au cours de la période annuelle. Ce sont uniquement les

remboursements du principal des prêts – et non pas des intérêts – qui sont déduits de l’APD

37 Il existe un intense débat sur l’opportunité de financer le développement, en fonction des différentes circonstances, par le biais des dons et/ou des prêts (voir, par exemple, Cohen et al. 2007). Nous nous intéressons dans ce travail aux dépenses qui rentrent dans le cadre de l’APD et non pas aux différentes modalités d’intervention. Par conséquent, ce débat reste en dehors de notre périmètre d’étude.

brute pour obtenir l’APD nette. Ainsi, l’effet d’un prêt concessionnel sur l’APD brute sera

positif, néanmoins, une fois qu’il est entièrement remboursé, l’impact cumulé sur l’APD nette

sera nul (Charnoz et Severino 2007).

Ces règles, qui définissent les conditions financières et la comptabilisation des prêts dans

l’APD, présentent des limites qu’il faut détailler. La première limite concerne le fait que les

prêts, une fois remboursés, n’ont aucun impact sur le montant de l’APD nette. Cela malgré le

fait qu’ils aient été octroyés à des conditions financières favorables. Charnoz et Severino

(2007 : 11) qualifient cette situation d’« étonnante », en même temps qu’ils soulignent qu’il est

indéniable qu’un flux constant de prêts concessionnels implique un coût récurrent pour les

pays donneurs.

I.5.2. L’élément de libéralité des prêts et son taux d’actualisation

Deuxièmement, il convient de définir ce que l’on entend par l’élément de libéralité (ou élément

don). L’élément don est un indice mathématique qui reflète les termes financiers d’un prêt :

son taux d’intérêt, sa maturité (délai jusqu’au dernier remboursement) et son délai de grâce

(délai jusqu’au premier remboursement du capital). Il mesure la libéralité d’un prêt, autrement

dit « l’écart, en pourcentage, entre la valeur actualisée de l’ensemble des remboursements prévus et le montant

des remboursements qui auraient résulté de l’application d’un taux d’intérêt de référence donné. Par convention,

le taux de référence est fixé à 10 % dans les statistiques du CAD » (OCDE 2010d : 294). Ce taux de

référence est aussi nommé taux d’actualisation et, comme nous le détaillerons dans les

paragraphes suivants, il soulève de très fortes critiques.

Un prêt ne pourra être comptabilisé au titre de l’APD que si, après calcul de son élément don,

celui-ci représente au moins 25 % de sa valeur faciale. C’est à partir de ce seuil qu’un prêt est

considéré concessionnel, autrement dit octroyé à des conditions financières favorables. Le

calcul de cet élément don est basé sur l’application du taux de référence de 10 % fixé par le

CAD. Ainsi, l’élément don d’une subvention est par définition 100 %, car elle n’entraîne

aucune obligation de remboursement. Pour un prêt dont le taux d’intérêt est de 10 %,

l’élément de libéralité est nul et pour un prêt à un taux inférieur à 10 %, l’élément de libéralité

se situe entre 0 % et 100 % (OCDE 2010d :294).

Les critiques les plus vives sur les conditions financières de l’aide concernent le taux

d’actualisation fixe de 10 % annuel. Reposant sur des conventions adoptées au sein du CAD

dans les années 1960, ce taux est jugé arbitraire et dépassé (Manning 2006 et 2012 ; Charnoz et

Severino 2007). Cela parce qu’il est déconnecté de l’évolution des taux d’actualisation reflétés

par le marché. Lorsque ces taux sont bas, le volume de l’APD tend à être surévalué, car il

inclut des prêts octroyés à des conditions qui in fine pourraient même être moins avantageuses

que celles du marché (et à l’inverse, si les taux connaissent une augmentation). L’une des

explications avancées dans les documents du CAD est que les statistiques de l’aide mesurent

en général les coûts pour les pays donneurs. Suivant cette règle générale, elles seraient plus

enclines à prendre en compte le coût d’opportunité pour le prêteur que l’avantage allant à

l’emprunteur (OCDE 2007a). Dans ce même document, le CAD affirme que la prise en

considération du coût d’opportunité pour le donneur a joué un rôle important dans la

détermination du taux d’intérêt de référence qui a été, « pour des raisons pratiques », fixé à 10 %

(OCDE 2007a : 13).

Si le taux d’actualisation invariable de 10 % semble arbitraire, la même logique s’applique à

l’élément de libéralité, fixé à au moins 25 % de la valeur faciale du prêt. D’emblée, cette règle

implique l’exclusion de l’APD des prêts dont l’élément de libéralité n’atteint pas ce montant.

Ces prêts sont enregistrés dans les statistiques du CAD, dans la catégorie « autres apports du

secteur public » (AASP). Cette catégorie regroupe les « apports financés par le secteur public au profit

de pays figurant sur la liste des bénéficiaires d’APD qui ne répondent pas aux critères de définition de l’APD,

soit parce que leur objectif principal n’est pas le développement, soit parce qu’ils comportent un élément de

libéralité inférieur à 25 % » (OCDE 2010d : 293).

Certains considèrent qu’il faudrait mieux rendre justice à ces apports car, même s’ils sont