• Aucun résultat trouvé

L’œuvre exclusive de l’Exécutif camerounais traduite en un régime pénitentiaire inopérant : décret du 27

mars 1992

Le régime pénitentiaire peut être entendu comme un ensemble de dispositions légales qui régissent le fonctionnement des prisons. La légalité du régime est comprise comme le fait d’être conforme aux lois. La loi quant à elle, est définie comme une règle établie par l'autorité de l'État, définissant les droits et les devoirs de chaque citoyen, ou l’ensemble de ces règles. Toutes ces définitions extensives du terme "légalité" nous mènent à déduire que le régime pénitentiaire camerounais établi par l’Exécutif est en conformité avec le principe même du droit. Cette légitimité de l’Exécutif à agir en matière de la privation de liberté le conduit à prendre à bras le corps l’organisation du régime pénitentiaire au Cameroun. C’est ainsi que l’agencement de l’ensemble des dispositions dans ledit domaine pénitentiaire semble être l’œuvre privilégiée, voire exclusive, de l’Exécutif camerounais.

En effet le décret présidentiel du 27 mars 1992 réglemente, dans sa totalité, le régime applicable dans les établissements pénitentiaires camerounais. Ce décret ouvre des perspectives plutôt louables. Mais, malgré cette ouverture, le bilan de sa mise en œuvre reste mitigé. Il convient ici d’essayer de comprendre les raisons de ce relatif échec, puisque, en effet, au-delà de ces dispositions réglementaires, seuls les détails du régime pénitentiaire adopté donnent la véritable physionomie du système. Et c’est à l’examen de ces détails qu’apparaissent les paradoxes pénitentiaires camerounais. Paradoxes qui se révèlent comme une incertitude de fond qui continuerait de

194 planer sur la fonction exacte et actuelle de la privation de liberté au Cameroun. La mise en place de ce décret nécessitait des ajustements importants : nouvelles méthodes de travail, adaptations de bâtiments, etc. Force est de constater qu’il existe un décalage entre la réalité et les principes émis dans le texte réglementaire.

L’étude ci-après n’a pas pour objet de décrire en détail tout le régime pénitentiaire camerounais. Elle vise à déceler les limites qui mettent en question l’efficacité du système pénitentiaire camerounais, et donc de l’exécution de la peine privative de liberté. Les dispositions réglementaires prévues par le décret de 1992 portant régime pénitentiaire présentent des équivoques qui le rendent inapplicable tout en favorisant l’institutionnalisation de l’insécurité juridique au Cameroun.

I. L’inapplication du régime pénitentiaire camerounais

L’environnement juridique qui sert de base à la mise en place du système pénitentiaire au Cameroun reflète l’histoire très mouvementée de ce pays qui n’a cessé de rechercher sa "propre identité juridique". Il s’ensuit que, dans une marche chancelante vers la "modernité" en matière de l’exécution de la peine privative de liberté, le pouvoir exécutif camerounais fait preuve d’un éclectisme laissant ainsi un vide idéologique quant à l’objectif poursuivi dans la mise en place du système pénitentiaire au Cameroun. En effet, d’un côté, il (l’Exécutif) ne veut pas abandonner complètement l’héritage colonial. Et de l’autre, il veut se mettre au même diapason que les autres pays développés sur la scène internationale. Malheureusement la seule volonté ne suffit pas. Il faut y associer les moyens adéquats.

195 Cette impasse réglementaire se traduit par l’ambiguïté de la fonction de la peine d’emprisonnement et par le manque d’objectivité quant à la classification des prisons. Et même si l’Exécutif partage le souci d’une classification objective des prisons, il faut néanmoins constater que, dans l’état actuel des choses, la concrétisation de ce régime pose un problème de moyens. On assiste donc à l’inadéquation du parc pénitentiaire qui limite l’application des règles de fonctionnement.

A. L’ambiguïté de la fonction de la peine privative de liberté

Bien qu’ayant pour but et finalité la protection de la société, la privation de liberté est d’abord une sanction qui a, dans l’immédiat, une double fonction découlant de sa nature propre. Elle sépare l’individu de la communauté des hommes libres, d’une part, et d’autre part, elle doit préparer le retour du condamné dans sa communauté. « La peine a ainsi une double finalité puisque la privation de liberté est bien en soi une sanction, mais que, en même temps, on entend pendant la détention agir sur le condamné à des

fins de resocialisation. »314 C’est dire que les deux fonctions, voire les

deux missions, doivent aller de pair. Et donc l’une ne doit pas être privilégiée au détriment de l’autre. Sinon, on pourrait s’orienter, soit vers une politique dite rétributive, fondée sur l’idée de répression et d’élimination, soit vers la politique qui met en avant les idées de resocialisation et de traitement pénal.

Dans le même ordre d’idées, les Nations Unies, lors du Congrès pour la prévention du crime et du traitement du délinquant, déclaraient que : « Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel

314 A. Marc, Les systèmes pénitentiaires en Europe occidentale, Paris, La Documentation française, 1981, p.19

196

but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure du possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses

besoins. »315

A la réflexion de tout ce qui précède, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle est la fonction exacte de l’incarcération au Cameroun ? Plus précisément quelle est la politique pénitentiaire mise en place ? La difficulté d’un choix radical d’un type précis de politique carcérale au Cameroun se traduit de façon éclatante. En effet, la volonté, pour l’Exécutif de 1992, de rechercher l’amendement du condamné n’apparaît que de façon subsidiaire par rapport à la discipline pénitentiaire qui bénéficie d’une surabondante réglementation. Il y a donc absence d’adaptabilité de l’institution carcérale à la fonction de resocialisation.

L’analyse du décret portant régime pénitentiaire camerounais du 27 mars 1992 révèle que les prisons camerounaises sont fondamentalement incapables de remplir d’autres fonctions que celles traditionnelles de garde et de sécurité. Ceci prête à une équivocité de la fonction de la peine privative de liberté du fait de la prédominance des mesures privilégiant la réalisation des fonctions classiques et dépassées.

315 Article 58, Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adopté

par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et du traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977