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Les premières études sur le phénomène d’exacerbation intra-source (Beehr et al., 2003; Duffy et al., 2002; Hobman et al, 2009) ont proposé qu’une incohérence soit perçue par les employés lorsqu’un gestionnaire est à la fois une source de stress et de soutien. Cette incohérence serait un facteur d’incertitude dans la relation (Duffy et al., 2002) qui

s’accompagnerait de plus d’anxiété et de stress (McLean Parks et Kidder, 1994), en plus de susciter un état de dissonance cognitive (Festinger, 1957). Dans cette situation, les employés seraient plus vigilants par rapport aux informations relatives à la qualité de la relation avec leur gestionnaire (Morrison et Robinson, 1997), ce qui rendrait les comportements délétères plus visibles et dommageables (Major et Zubek, 1997).

Subséquemment, il a été proposé que le phénomène d’exacerbation intra-source, ainsi que l’explication théorique avancée soient intégrés dans le paradigme plus large la théorie de la régulation de l’incertitude (Herr et al., 2018; Nahum-Shani et al., 2014; Shu et al., 2018). Cette théorie avance que l’état d’incertitude corresponde à la difficulté de prédire son

environnement (van den Bos, 2001). Cette incapacité est notamment présente lorsque l’employé est confronté à des incompatibilités entre différentes cognitions, ou entre des cognitions et divers aspects de son expérience ou comportements au travail (Lind et van den Bos, 2002).

L’incertitude émanant des comportements de gestion se définit quant à elle comme la perception des employés que les actions et les décisions de leur supérieur hiérarchique sont imprévisibles, surprenantes et inattendues (Thau, Bennett, Mitchell et Marrs, 2009). Cette difficulté à anticiper les actions de son gestionnaire mènerait généralement à une diminution de la capacité perçue de l’employé à exercer du contrôle sur son environnement (Lind et van den Bos, 2002; Nahum-Shani et al., 2014; Tan et Lipe, 1997). De plus, du point de vue relationnel, Nahum-Shani et collègues (2014) proposent que cette inconsistance des comportements du gestionnaire et l’incertitude qui en découle seraient parallèlement à la source d’une série de perceptions négatives chez les employés vis-à-vis leur conception d’eux- mêmes et de leur relation avec leur gestionnaire, aggravant encore plus cette incapacité de prédire et de contrôler leur environnement, tel qu’expliqué par le mécanisme suivant.

La contradiction des messages envoyés par le gestionnaire remettrait en cause le sentiment de cohérence du concept de soi de l’employé (Swann, Rentfrow et Guinn, 2003). Le concept de soi ou l’identité au travail (Brown, 2015) se développerait en partie par

l’observation du traitement reçu par autrui et du reflet à travers ses relations d’une image cohérente du soi avec ses schèmes personnels (Swann, 2012). Au fur et à mesure des

interactions, l’employé deviendrait de plus en plus certain de son identité jusqu’au point où il utiliserait son concept de soi comme guide comportemental lui permettant de prédire son

Lorsqu’un gestionnaire renvoie une image cohérente à son employé par l’intermédiaire de comportements consistants, celui-ci encourage le développement du concept de soi au travail, ce qui rend leur relation plus prévisible et réduirait l’anxiété générale (Swann, 2012). Au contraire, renvoyer une image inconsistante à son employé remettrait en cause son concept de soi et serait perçue comme une menace à la continuité de la relation (Eberly, Holley, Johnson et Mitchell, 2011), qui serait une source d’anxiété et de détresse émotionnelle supplémentaire (Baumeister et Leary, 1995; Uchino et al., 2012). D’une importance particulière, les gestionnaires sont généralement perçus comme étant des agents de

l’organisation, par l’intermédiaire desquels celle-ci va montrer la valeur qu’elle accorde aux contributions et au bien-être des employés (Eisenberger, Huntington, Hutchison et Sowa, 1986). De plus, la relation avec son supérieur hiérarchique est imposée. La perte de celle-ci présente donc des conséquences beaucoup plus grandes pour l’employé. Par exemple, la perte anticipée de la relation avec un gestionnaire pourrait être perçue comme une entrave à

l’atteinte de ses objectifs au travail, le gestionnaire pouvant diminuer son offre de ressources. Elle pourrait aussi signifier ne pas recevoir une promotion anticipée (Eberly et al., 2011), voire même la perte de son emploi.

L’ensemble de ces menaces découlant de l’incertitude déclencherait un mécanisme de défense fondamental, nommé système d’alarme humain (traduction libre de human alarm system) qui aurait pour objectif la réduction de l’incertitude (Proudfoot et Lind, 2015; van den Bos et al., 2008). Plus spécifiquement, une fois l’incertitude perçue, ce système augmenterait le niveau de vigilance de l’individu et focaliserait son attention sur les dangers présents dans son environnement, notamment le traitement reçu, mais aussi des menaces sociales telles l’exclusion et la perte d’une relation (Eisenberger, Lieberman et Williams, 2003; van den Bos

et Lind, 2009). La finalité de cette vigilance augmentée serait pour l’employé de déterminer s’il peut faire confiance ou non à son gestionnaire ou si celui-ci va l’exploiter ou l’exclure de la relation ou du groupe (Colquitt, LePine, Piccolo, Zapata et Rich, 2012; van Den Bos, Wilke et Lind, 1998). Pour ce faire, ils chercheraient spécifiquement toute information relative à l’équité et à la justice de leur supérieur immédiat (Proudfoot et Lind, 2015). Cela expliquerait pourquoi dans ce contexte d’incertitude, les comportements destructifs auraient une

importance plus grande (van den Bos, 2001; van den Bos, Poortvliet, Maas, Miedema et van den Ham, 2005).

À ce jour et comme stipulée précédemment, seule l’étude de Chénard Poirier et collègues (manuscrit) s’est spécifiquement intéressée aux amalgames de comportements destructifs et constructifs de leadership. Celle-ci a montré qu’un gestionnaire amalgamant des comportements tyranniques et transformationnels présents à des niveaux moyens serait lié à des niveaux plus faibles d’épanouissement au travail et d’habilitation comportementale des employés, comparativement aux gestionnaires étant plus clairement tyranniques ou

transformationnels. Cette présente étude vise donc à élargir l’étendue des comportements investigués par Chénard Poirier et collègues (manuscrit) et à vérifier si les amalgames de comportements destructifs et constructifs s’avèrent plus délétères pour l’épanouissement au travail et l’habilitation comportementale, que des amalgames plus clairement destructifs ou constructifs.

À cet égard, l’épanouissement au travail et l’habilitation comportementale ont été choisis, car elles représentent respectivement des attitudes et des comportements des travailleurs en regard à leur bien-être, ainsi qu’à leur performance. Spécifiquement,

d’énergie et l’impression de se développer au travail (Porath, Spreitzer, Gibson et Garnett, 2011; Spreitzer et al., 2005). L’épanouissement s’avère être une attitude fortement influencée par les relations avec le gestionnaire (Paterson, Luthans et Jeung, 2014). L’habilitation comportementale englobe un ensemble de comportements relatifs à la performance de

l’employé dans son rôle et dépassant son rôle, qui vise à assurer l’exécution efficace du travail et l’amélioration des façons de faire dans ses tâches, dans son équipe de travail et au sein de l’organisation (Boudrias, Morin et Lajoie, 2014). Les comportements définissant l’habilitation comportementale touchent spécifiquement à la réalisation consciencieuse de ses tâches,

l’amélioration des façons de faire ses tâches, la collaboration efficace avec les membres de son groupe de travail, l’amélioration des façons de faire dans celui-ci, ainsi que l’implication dans l’organisation.

Parallèlement, cette étude vise à investiguer l’incertitude vis-à-vis les comportements du gestionnaire comme résultantes des amalgames de leadership destructif et constructif. Bien que le fondement théorique des recherches ayant porté sur le phénomène d'exacerbation intra- source y ait fait abondamment allusion (p. ex. : Chénard Poirier et al., manuscrit; Herr et al., 2018; Nahum-Shani et al., 2014), aucune étude à notre connaissance n'a montré que

l'utilisation conjointe de comportements constructifs et destructifs par le gestionnaire conduit à cette perception d’incertitude. Le seul indice probant avancé consiste au fait que les employés réagiraient plus fortement et négativement aux comportements destructifs de leur gestionnaire, lorsqu’ils ont plus difficulté à prédire ses comportements, suggérant son rôle dans

l’exacerbation intra-source (Thau et al., 2009). Notons toutefois que la source de perception d’incertitude n’était pas identifiée.

Exacerbation intra-source et domaines des comportements de leadership