• Aucun résultat trouvé

1.2 Th´ eories de l’´ emotion

1.2.3 Evolution d’une ´ ´ emotion au cours du temps et transitions entre ´ emotions 18

Dans notre travail de recherche, nous nous sommes focalis´es sur la reconnaissance d’´ emo-tions `a un instant ou sur une p´eriode de temps donn´es. Nous nous sommes limit´es `a ne pas consid´erer le probl`eme de l’´evolution d’une ´emotion au cours du temps ni de la mod´elisation de la transition entre deux exp´eriences ´emotionnelles. Ces probl´ematiques sont cependant in-t´eressantes `a aborder dans le cadre de travaux futurs. Nous pr´esentons donc ici la m´etaphore de la cloche de Picard [114], qui propose une mod´elisation de l’´evolution d’une ´emotion au cours du temps, et la transition en hyst´er´esis de Scherer [131]. Ces mod`eles datent de la fin des ann´ees 90, et ouvrent des perspectives sur la fa¸con de consid´erer l’´emotion d’un point de vue temporel dans un syst`eme informatique.

1.2. Th´eories de l’´emotion 19

´

Evolution d’une ´emotion au cours du temps : la m´etaphore de la cloche de Pi-card [114]

Picard utilise la m´etaphore de la cloche pour illustrer les propri´et´es d’un syst`eme ´ emotion-nel et en particulier l’´evolution de ces ´emotions au cours du temps. Ces propri´et´es sont les suivantes :

– Affaiblissement de la r´eponse au cours du temps. Une cloche est activ´ee par un choc et produit alors un son qui augmente rapidement en intensit´e avant de s’affaiblir progressivement. De mˆeme, une ´emotion est provoqu´ee par un stimulus. Une r´eponse ´

emotionnelle est de courte dur´ee ; elle monte rapidement en puissance avant de s’affaiblir progressivement jusqu’`a un niveau imperceptible (voir figure 2).

– Coups r´ep´et´es. Si l’on frappe une cloche de fa¸con r´ep´et´ee, le son produit augmente en intensit´e. Une s´erie de chocs d’importance moyenne peuvent provoquer un son bien plus fort qu’un unique choc fort. Un sujet subissant des stimuli r´ep´et´es provoquant la mˆeme ´emotion verra l’intensit´e de cette ´emotion augmenter (voir figure 2).

– Activation et Saturation. Un choc trop faible ne fera pas sonner la cloche ; de plus, une cloche ne peut sonner qu’au dessous d’une certaine intensit´e qu’elle ne peut d´ epas-ser. De mˆeme, des stimuli ´emotionnels de trop faible intensit´e ne provoqueront pas de r´eactions ´emotionnelles chez un sujet ; un stimulus de tr`es forte intensit´e, ou une s´erie de stimuli, ne pourront provoquer une r´eponse ´emotionnelle d’intensit´e sup´erieure `a un certain seuil.

– Influence de la personnalit´e et du temp´erament. Le temp´erament et la personna-lit´e d’une personne influencent ses r´eponses ´emotionnelles et les transitions entre ces r´ e-ponses. Dans la m´etaphore de la cloche, les propri´et´es physiques de la cloche influencent l’intensit´e du son produit par un choc et les seuils d’activation et de saturation. – Lin´earit´e. Le syst`eme ´emotionnel humain est non-lin´eaire. Cependant, Picard suppose

la possibilit´e de trouver des relations de lin´earit´es entre certaines informations d’entr´ee (caract´eristiques de stimuli ´emotionnels) et informations de sortie (caract´eristiques de l’expression ´emotionnelle).

– Invariance selon le temps. Sous certaines conditions, le syst`eme ´emotionnel humain peut ˆetre consid´er´e comme temporellement invariant. En g´en´eral, un mˆeme stimulus pro-voquera une r´eponse ´emotionnelle similaire. Le crit`ere E4 d’Ekman (paragraphe 1.2.2 page 17) impose d’ailleurs `a des ´emotions diff´erentes d’ˆetre ´elicit´ees par des stimuli diff´erents. Cependant, un effet d’habitude peut se mettre en place chez le sujet ; pour provoquer une r´eponse ´emotionnelle similaire, deux stimuli doivent satisfaire aux mˆemes crit`eres de nouveaut´e. D´efinir les conditions et les limites dans lesquelles on peut consi-d´erer un syst`eme ´emotionnel comme ´etant temporellement invariant et lin´eaire semble extrˆemement difficile, mais pr´esente l’avantage d’offrir un cadre de mod´elisation simpli-fi´e.

– Retour physique et cognitif. Les stimuli provoquant des r´eponses ´emotionnelles peuvent ˆetre des processus internes, qu’ils soient cognitifs ou physiques. Ainsi, l’ex-pression physique d’une ´emotion peut agir comme un stimulus provoquant une autre r´eaction ´emotionnelle : en effet, la th´eorie de Scherer stipule que les composants sont interd´ependants et qu’un changement d’´etat dans un composant peut influer les autres composants.

– Impact de l’humeur.Tous les param`etres per¸cus par le sujet, qu’ils soient internes ou externes, influent sur l’humeur du sujet `a un instant donn´e. L’humeur est un ´etat

affectif de dur´ee moyenne (de l’ordre de quelques heures), ´egalement influenc´ee par le temp´erament et la personnalit´e du sujet. L’humeur d’un sujet influence ses r´eactions ´

emotionnelles.

Fig. 2: M´etaphore de la cloche. En haut : “coups” ou stimuli ´emotionnels de diff´erentes intensit´es. Au milieu : r´eponses ´emotionnelles r´esultantes. En bas : somme des r´eponses ´ emo-tionnelles. Figure tir´ee de [114].

Picard propose ainsi une ´equation de type “non-lin´earit´e sigmo¨ıdale” (voir figure 3) pour repr´esenter la transition vers une r´eponse ´emotionnelle. Cette courbe illustre les diff´erentes propri´et´es ´evoqu´ees ci-dessus. En particulier, la sigmo¨ıde ´elimine les r´eponses aux stimuli de trop faible intensit´e et sature les r´eponses aux stimuli de trop forte intensit´e. La zone de la courbe entre activation et saturation est la zone de transition.

Fig. 3: Sigmo¨ıde repr´esentant la g´en´eration d’une ´emotion et son intensit´e en fonction de l’intensit´e du stimulus. Figure tir´ee de [114].

1.2. Th´eories de l’´emotion 21

La transition en hyst´er´esis de Scherer [131]

Scherer propose une autre courbe illustrant les transitions entre ´emotions. Il s’agit d’une hyst´er´esis (voir figure 4). L’hyst´er´esis implique que le chemin pour transiter d’une ´emotion `a une autre est diff´erent selon le sens dans lequel il est parcouru. Nous consid´erons la courbe en deux dimensions seulement afin d’illustrer le concept de fa¸con simplifi´ee ; Scherer propose ´egalement un mod`ele de transition surfacique que nous n’abordons pas ici.

Fig. 4: Illustration d’une hyst´er´esis dans une relation entre frustration et col`ere. Figure tir´ee de [131].

Cette hyst´er´esis est pr´esente pour les ´emotions `a forte activation. Compatible avec la sig-mo¨ıde pr´ec´edente, cette hyst´er´esis souligne n´eanmoins que les chemins sont diff´erents selon le sens de la transition. Cette courbe pr´esente donc une zone de “repli” (en pointill´e sur la figure 4) dans laquelle il est impossible de se trouver. En prenant l’exemple d’un sujet soumis `

a une frustration croissante :

– en faisant monter progressivement la frustration du sujet, on augmente sa col`ere. A un certain stade S1 de frustration, on arrive `a une cassure dans l’intensit´e : le sujet explose de col`ere. L’intensit´e de celle-ci monte jusqu’`a atteindre son maximum.

– on fait maintenant redescendre la frustration du sujet. Celui-ci est toujours dans une col`ere intense, qui d´ecroˆıt petit `a petit. Arriv´e au stade de frustration S1, sa col`ere est largement sup´erieure au cas pr´ec´edent. Il faut continuer de r´eduire la frustration jusqu’`a un stade S2, inf´erieur `a S1, pour observer finalement la col`ere du sujet retomber et revenir au niveau de d´epart (c’est-`a-dire calme).

1.2.4 Conclusion sur les th´eories de l’´emotion

Dans le cadre de ce m´emoire, nous retenons donc particuli`erement le mod`ele `a composants (CPM) d´evelopp´e par Scherer ainsi que les ´emotions basiques d’Ekman. Selon le mod`ele de Scherer, un stimulus, qu’il soit interne ou externe, est s´equentiellement ´evalu´e selon une s´ e-rie de crit`eres (Stimulus Evaluation Checks ou SECs). La s´equence d’´evaluation va ensuite provoquer des micro-changements d’´etats dans cinq composants : le composant “traitement cognitif du stimulus”, le composant “processus neurophysiologiques”, le composant “motivation et tendances d’actions”, le composant “expression motrice”, et le composant “ressenti-feeling”. Le mod`ele `a composants de Scherer offre une mod´elisation du fonctionnement interne de

l’exp´erience ´emotionnelle en mettant en avant la notion de processus ´emotionnel. Cette mo-d´elisation s’affranchit en outre de l’utilisation de mots pour d´ecrire l’´emotion, ´evitant ainsi les probl`emes inh´erents `a ce genre de repr´esentation que nous verrons dans la partie 1.3.1. Elle propose par contre une repr´esentation complexe de l’´emotion : une ´emotion y est en effet d´efinie par une s´equence de changements d’´etats dans les composants. Cette repr´esentation est bien plus complexe `a utiliser en informatique que les ´emotions basiques d’Ekman. Une solution est de consid´erer, comme Lisetti et al., que les r´eponses aux SECs caract´erisent tota-lement une exp´erience ´emotionnelle [89], et de repr´esenter une ´emotion par les r´eponses aux SECs au lieu des changements d’´etats dans les composants.

La th´eorie ´evolutionniste consid`ere que les ´emotions sont des processus physiques, physio-logiques et mentaux nous permettant de mieux r´eagir `a une situation donn´ee. Paul Ekman a isol´e plusieurs familles d’´emotions selon une s´erie de crit`eres permettant d’´etablir le caract`ere interculturel voire inter-esp`ece de certaines ´emotions. Nous retrouvons des similarit´es entre les crit`eres pos´es par Ekman pour isoler les ´emotions basiques et les crit`eres de Scherer de ca-t´egorisation d’un ´etat affectif en tant qu’´emotion. Le mod`ele des ´emotions basiques d’Ekman fournit un cadre moins complexe `a appr´ehender que celui offert par Scherer puisque chacune des ´emotions basiques est repr´esent´ee par une cat´egorie. Ces ´emotions basiques sont univer-selles. Se baser sur ce mod`ele permet donc de s’affranchir des biais amen´es par les diff´erences entre individus et les diff´erences culturelles, propres `a ce type de repr´esentation.

Enfin, nous avons pr´esent´e deux mod`eles de transition entre ´emotions : la m´etaphore de la cloche de Picard se traduit par une sigmo¨ıde permettant de d´eterminer l’intensit´e d’une ´emotion par rapport `a l’intensit´e d’un stimulus. La transition en hyst´er´esis de Scherer propose un repli dans la transition, ayant pour effet des chemins diff´erents lors des passages d’une ´emotion `a une autre et vice-versa.

En conclusion, nous consid´erons donc que les th´eories et mod`eles de Scherer et Ekman sont compl´ementaires. Le mod`ele `a composant de Scherer d´ecrit un processus liant un stimulus `

a l’apparition d’une ´emotion. La th´eorie d’Ekman et son mod`ele `a base de familles d’´ emo-tions permet d’isoler des ´emotions basiques universelles. L’apparition de ces ´emotions basiques suite `a un stimulus peut ˆetre d´ecrite grˆace au processus propos´e par Scherer. Scherer, dans sa th´eorie, n’exclue pas l’existence d’´emotions universelles dont l’´evaluation est presque “auto-matique” : par exemple, une ´evaluation forte du crit`ere de nouveaut´e (pouvant ˆetre provoqu´ee par un bruit fort et soudain comme une d´etonation) entraine une r´eaction de surprise (sur-saut) avant que la situation ne soit totalement ´evalu´ee. De mˆeme, Ekman inclue l’´evaluation du stimulus dans ses crit`eres discriminant les ´emotions basiques.