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Evolution de l’occupation périphérique et irrégulière à Nouakchott

Encadré 2: Les difficultés à obtenir une connexion à but commercial et leur impact sur les revenus :

I. LE FONCIER URBAIN EN MAURITANIE : UNE QUESTION COMPLEXE

2. Evolution de l’occupation périphérique et irrégulière à Nouakchott

La croissance urbaine de Nouakchott s’est toujours effectuée sous la forme d’extensions spontanées, l’Etat se retrouvant toujours devancé dans ses tentatives de planification. La

« bidonvilisation » de la périphérie de Nouakchott est apparue très tôt dès les premières manifestations des conséquences des sécheresses répétées qui ont marqué tout le sahel entre 1968 et 1973. Face à cette situation, les autorités mauritaniennes ont réagi en morcellant et distribuant de vastes zones au Nord-est et au Sud-ouest de la ville. Cette procédure

46 Entre 1990 et 2000, la direction du Domaine et de l’Enregistrement des Timbres aurait attribuée 10 000 lots et les walis 60 000, soit un total de 70 000 parcelles. (Durand-Lasserve A., Serageldin M., Vigier F., 2000 : 9). J-F Tribillon et M. Jarjat estimaient en 2 000 que plus de 50 000 parcelles étaient attribuées mais inoccupées (2000 : 4).

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exceptionnelle que justifiait une situation d’urgence, va par la suite se banaliser puisque les opérations de recasement et/ou de régularisation vont se succéder à un rythme soutenu :

d’abord entre 1974 et 1988, ce sont près de 200 000 parcelles qui auraient été distribuées

dans des zones sommairement préparées à accueillir des populations. Ce sont ces zones qui

constituent aujourd’hui les quartiers évolutifs47

. Les distributions de terrains se poursuivront ensuite au cours de la période suivante, certes à rythme moins intense, mais suffisant pour attiser le désir de nombreuses populations à accéder à la propriété foncière.

L’occupation irrégulière s’est traduite à Nouakchott par différentes formes qui distinguent

principalement les Kébbés et les Gazras suivant les caractéristiques physiques de l’habitat qui les composent. Les deux termes renvoient initialement à la formation de quartiers périphériques, dont les terres ont été investies de manière irrégulière, et sur lesquelles se sont construits des habitats précaires. Leur définition respective demeure cependant floue et imprécise et renvoient à des réalités urbaines qui ont profondément changé au cours du temps.

Les Kébbe sont la forme locale des « bidonvilles » qui abritent les populations les plus démunies. Celles-ci s’installent de façon très précaire sur les terrains qu’elles trouvent en y dressant des abris de fortune réalisés en planches et/ou tôles récupérées. Leur caractéristique

fondamentale est l’inexistence de constructions en dur comme si les occupants redoutaient un

déguerpissement à tout moment ; la proportion de ce type de quartier s’est considérablement

réduite dans l’espace nouakchottois à la suite des opérations de réinstallation entreprises par

les pouvoirs publics au milieu des années 80.

Les Gazra quant à elles abritent une population plus hétérogène qui conforte son usurpation des terrains publics par une mise en valeur ou un début de mise en valeur en dur des parcelles illégalement occupées. La Gazra apparaît ainsi comme un défi à l’autorité qui est ainsi mise devant le fait accompli de l’occupation spontanée et du risque de déguerpissement.

47 : Dans ces zones, la mise en valeur des lots n’est soumise à aucune règle contraignante ; cela veut dire que les propriétaires réalisent leur habitation à leur rythme suivant les disponibilités financières sans avoir besoin d’une autorisation de construire

Kebbe Gazra

Etymologie Kerr : verser/jeter Yagzar : squatter Date d’apparition Les années 1970 Les années 1980

Dynamique sous- jacente

Exode rural forcé par les sécheresses

Comportement opportuniste né de la politique de dons fonciers

de l’Etat

Population concernée

Populations pauvres Populations aisées puis généralisation aux classes moyennes et pauvres

Type d’habitat Tentes, baraques, campements

Mixte, plus grand degré de durcification

Densité Très dense Moyennement dense

Référentiel foncier Occupation au sens traditionnel

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Tous ces quartiers étaient confrontés à la même réalité, celle d’une sous-intégration

poussée. Celle-ci maintient leurs populations dans une situation de dépendance absolue par rapport aux franges voisines de la ville, mieux équipées, voire dans certains cas par rapport au centre-ville, lieu de concentration des principaux équipements structurants (grands marchés,

hôpitaux, services administratifs….)48

.

Les populations de ces quartiers subissent la précarité physique de leurs habitations ainsi

que les carences liées à la faiblesse des services et l’insuffisance, voire l’absence d’infrastructures et d’équipements de base. Les ménages continuent de se ravitailler en eau

potable aux bornes fontaines en y consacrant un budget important au regard des revenus

déclarés. Sur le plan de l’assainissement, les retards enregistrés dans la mise en place d’un

réseau collectif empêchent le raccordement des ménages et les risques sanitaires et les

désagréments liés à l’entassement des ordures ménagères et à la stagnation des eaux usées se

multiplient. Au fil du temps, ces quartiers se sont apparentés à des "réservoirs de pauvreté"

avec comme corollaire des problèmes aigus sur le plan de l’encadrement et de la sécurité des

populations. Le regroupement de populations vulnérables y rend en effet plus visibles les symptômes de la précarité et de la pauvreté.

En 2000, la population des gazras était estimée à 108 351 habitants répartis dans 21 335 ménages (soit 18% de la population totale de la ville) et occupait 890 ha. En 2008, cette population a atteint 194 000 habitants répartis dans 38 800 ménages (soit 24,25% de la population de la ville). Elle occupe alors près de 1072 ha. Ce sont les Moughataa49 de Toujounine, Arafat et Dar Naim (cadran Nord-est / Sud-est) de la capitale qui concentrent la quasi-totalité de ces populations.50

Figure 2 : Estimation de la proportion des quartiers précaires (QP) dans la population de Nouakchott Moughataa Population totale estimée en 2008 Population estimée habitant les QP en 2008 % Superficie des QP en 2008 en ha Toujounine 85 000 67 000 79 450 Arafat 155 000 85 000 55 445 Dar naim 92 000 42 000 45 175 Total 332 000 194 000 58 1070

Source : étude sur la restructuration des Quartiers Précaires, Gret-Urbanis, 2008.

48 : I.Diagana, Croissance urbaine et dynamique des espaces à Nouakchott, thèse de Doctorat, Université Lumière Lyon II, décembre 1993.

49 Moughataa : circonscription administrative correspondant au Département 50

: Gret/Urbanis, étude sur la restructuration des quartiers précaires de Nouakchott, mémoire descriptif, avril 2008

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La configuration de l’occupation irrégulière telle qu’elle ressort de l’observation de la

carte de localisation met en exergue plusieurs constats :

- Cette forme d’occupation se concentre essentiellement à l’est, le long de la route de

l’espoir ;

- Les zones ciblées sont exclusivement des zones dunaires qui s’opposent aux sols

argileux des sebkhas au sud et au sud-ouest ;

- Seuls trois des 9 moughataa de la capitale sont concernés par cette occupation irrégulière : Arafat, Toujounine et Dar Naïm sont en effet les lieux de concentration

des populations en provenance du Nord et de l’est du pays. Ces régions concentrent la majorité des populations dont l’existence s’est fondée sur la mobilité. La spécificité du

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pratiques liées à différents espaces et empêchait de ce fait, un attachement particulier à un quelconque espace.

Les efforts consentis par les pouvoirs publics au cours des années précédentes pour

contenir l’occupation illégale des terrains, loin de stopper le phénomène, ont au contraire attisé l’instinct d’appropriation des populations. Au lieu de s’attacher à un espace unique, les populations du nord et de l’est du pays se sont, de tous temps, appuyés sur la complémentarité de plusieurs espaces pour leur existence. C’est ce qui explique ce lien fragile qui caractérise

leur rapport à l’espace. Cette fragilité des rapports entre populations et territoires se retrouve

en ville sous la forme d’une forte mobilité résidentielle des ménages au sein des différents

quartiers de la capitale.

En tout état de cause, le volontarisme des Pouvoirs Publics et la virulence des stratégies individuelles se sont combinées pour repousser toujours plus loin les limites des fronts

d’urbanisation. Cette occupation irrégulière des espaces périphériques traduit dans les faits,

une gestion foncière chaotique et une faiblesse notoire en matière de régulation et de contrôle urbain.