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Chapitre 4 : Premiers pas avec le dispositif TheVIBE

5.2 Evaluer la mobilité

La mobilité est définie par Foulke (Shringledecker et Foulke, 1978) comme la capacité à se déplacer d'un endroit à un autre de manière gracieuse, sûre, confortable, et autonome8. Cette définition très générale a par la suite été complétée par Jansson (1986) qui identifie quatre composantes essentielles de la mobilité9 :

1 – Garder l'équilibre 2 – Marcher vers un but

3 – Marcher suivant une ligne directrice 4 – Eviter les obstacles

Le point 2, marcher vers un but, fait référence aux capacités d'orientation du sujet, qui implique qu'il soit capable de repérer sa propre position et celle de son but. La vision est bien sûr très impliquée dans la capacité d'orientation. Il peut s'agir de repérer des "landmarks", mais la plupart du temps, sur des trajets connus, c'est l'intégralité de la scène qui est utilisée pour s'orienter (bâtiments, allées, etc...) et ce de manière parfaitement automatique.

Le point 3, marcher suivant une ligne directrice, fait notamment référence au problème de "veering" observé chez les sujets mal et non-voyants. Sur un parcours rectiligne, ces derniers ont tendance à dévier de leur trajectoire. Cette déviation est de l'ordre de 1m50 pour 10 m (Kallie et al., 2007), ce qui pose de nombreux problèmes en environnement urbain en particulier lorsque le sujet s'éloigne des bâtiments, qui lui servent souvent de repères.

Le point 4, éviter les obstacles, considère à la fois les obstacles statiques du parcours et les obstacles en mouvement (autres piétons, voitures, etc...)

Compte tenu de la résolution du dispositif TheVIBE, qui ne permet pas a priori de distinguer des objets de petite taille, nous nous sommes focalisés sur les trois premières composantes de la mobilité. En particulier, nous n'avons pas considéré la question de détecter des obstacles sur le parcours, ou de reconnaître des landmarks de petite taille (panneaux, flèches, etc..).

5.2.1 Evaluer un dispositif de substitution : la question de l'apprentissage

La méthode la plus courante pour évaluer les capacités de mobilité d'un sujet consiste à construire un parcours que ce dernier devra effectuer (pour une revue des méthodes d'évaluation de la mobilité, voir Leat et Lovie-Kitchin, 2006). On mesure alors le temps de parcours ainsi que le nombre "d'erreurs de mobilité" commises par le sujet, comme par exemple une pause, ou un contact avec un obstacle. Ces erreurs sont en général comptabilisées par un observateur spécialisé dans le domaine de l'orientation et de la mobilité (O&M).

L'évaluation d'un dispositif de substitution pose toutefois une question supplémentaire : celle de

8"ability to travel between locations gracefully, safely, comfortably and independently"

l'apprentissage du dispositif. En effet, le temps nécessaire pour parvenir à un certain niveau de performance est également un critère à prendre en compte dans l'évaluation du dispositif. De plus, si l'on souhaite comparer les performances de deux dispositifs, il faut pouvoir s'assurer que les différents groupes ont bénéficié du même apprentissage.

Dans la plupart des études, les sujets suivent donc un entraînement systématique visant à leur permettre de réaliser le parcours de test. Un problème se pose alors : si l'on utilise le parcours de test pour entraîner le sujet, ce dernier est susceptible de le mémoriser, ce qui fausse la mesure de l'effet lié au dispositif. Néanmoins, les parcours d'entraînement doivent être plus ou moins similaires au parcours de test afin que le sujet puisse y acquérir des compétences utiles lors du test. L'obtention de compétences opérationnelles sur tout type d'environnement est en effet susceptible de nécessiter un entraînement très long, incompatible avec les contraintes expérimentales usuelles.

Dans ce but, Cha et ses collaborateurs (Cha et al., 1992) utilisent un dispositif constitué de panneaux et d'obstacles amovibles permettant de réaliser des parcours aléatoires de taille et de difficultés équivalentes (fig. 5.1). Cette méthode nécessite toutefois une infrastructure lourde (pour maintenir les panneaux et les obstacles), et est vraisemblablement difficile à mettre en pratique en extérieur.

De son côté, Dagnélie (2007) propose de sélectionner, dans un environnement donné, plusieurs parcours structurellement équivalents : en l'occurrence des parcours de petite taille correspondant à une portion de couloir muni de portes. Dans ce cas, la difficulté consiste à trouver suffisamment de parcours équivalents dans un lieu donné. Reste enfin la possibilité de tester les sujets dans des environnements virtuels (fig. 5.2, tirée de Dagnélie, 2007). Dans ce cas toutefois, il est souvent difficile d'établir si les résultats seront généralisables en environnement réel. Par ailleurs, les déplacements du sujet dans l'environnement virtuel sont réalisés à partir d'un joystick, ce qui limite les interactions sensorimotrices possibles.

Pour notre part, nous faisons le constat suivant : la réalité quotidienne d'un sujet non-voyant consiste bel et bien à réaliser systématiquement le même parcours, par exemple pour se rendre de son domicile à son lieu de travail. Nous nous sommes donc penchés sur la possibilité d'utiliser un seul et même parcours pour l'apprentissage et pour l'évaluation du dispositif. La question qui se pose alors est : comment dissocier l'effet lié au dispositif de l'effet lié à la mémorisation du

Figure 5.1 : le parcours utilisé par Cha et al. (1992). Des panneaux et des obstacles amovibles permettent de générer aléatoirement des parcours de difficultés et de longueur équivalentes.

Figure 5.2 : environnement virtuel utilisé par l'équipe de Dagnelie (2007)

parcours?

5.2.2 Méthode

La méthode d'évaluation que nous proposons utilise donc un seul et même parcours. Elle est séparée en deux phases : une phase d'apprentissage et une phase de test. Dans la phase d'apprentissage, le sujet, muni du dispositif de substitution, effectue plusieurs fois le parcours. La phase de test est, pour le sujet, totalement similaire aux phases d'apprentissages. A son insu néanmoins, nous perturbons le fonctionnement du dispositif, ce qui nous permet d'isoler très proprement son effet.

Phase d'apprentissage :

La phase d'apprentissage est réalisée sur plusieurs sessions séparées d'au moins un jour.

Chaque session démarre par ce que nous appelons la familiarisation : le sujet, équipé du dispositif, réalise le parcours en étant guidé par l'opérateur qui lui tient le bras (fig. 5.3). Ce type d'apprentissage passif est uniquement destiné à familiariser le sujet à la tâche, ou à le replonger dans l'utilisation du dispositif.

Vient ensuite l'apprentissage à proprement parler. L'utilisateur, toujours muni du dispositif est invité à réaliser le parcours seul. L'opérateur, situé derrière lui, fourni des indications verbales lorsque le sujet atteint les bords du parcours. Les seules indications fournies sont "à gauche" ou "à droite" de manière à ramener le sujet vers le parcours (fig. 5.4). Le nombre d'indications verbales fourni est comptabilisé. Il constitue ce que nous appelons le "nombre de contacts" (NC). Le temps mis par le sujet pour réaliser le parcours est également mesuré (RT pour Run Time). Cette opération est répétée plusieurs fois, selon le protocole choisi.

Phase de test :

La session de test est, du point de vue du sujet, totalement similaire à une session d'apprentissage. De manière à susciter une meilleure concentration, ce dernier est uniquement informé qu'il s'agit de la session de test. Tout comme dans les sessions d'apprentissage, après l'étape de familiarisation, le sujet est invité à réaliser plusieurs fois le parcours seul. Dans l'un des deux

Figure 5.3 : étape de familiarisation. L'opérateur guide le sujet le long du parcours en le tenant par le bras

Figure 5.4 : étapes d'entraînement. Le sujet effectue le parcours seul. L'opérateur fourni une indication verbale lorsque le sujet sort du parcours.

derniers passages toutefois, l'image provenant de la caméra est inversée à l'insu du sujet (en opérant une symétrie par rapport à l'axe vertical). Comme dans les sessions d'apprentissage, on enregistre le nombre de contact et le temps de parcours du sujet dans les deux conditions. La position de l'essai où l'image est inversée est contrebalancée entre les sujets. Afin d'assurer un test en double aveugle, l'opérateur ne sait pas dans quel essai l'image est inversée.

Effet du dispositif :

L'effet induit par le dispositif se mesure par la différence des performances du sujet entre la condition inversée et la condition normale. L'hypothèse est que les sujets sont meilleurs dans la condition "Normale", qui correspond au couplage sensori-moteur appris, que dans la condition "Inverse", où le couplage est différent du couplage appris.

Pour améliorer la sensibilité de la mesure, on définit la différence relative de temps de parcours (RRTD pour Relative Run Time Difference) et la différence relative de nombre de contacts (RNCD pour Relative Number of Contact Difference), qui correspondent aux mesures de performances ramenées à la performance moyenne du sujet :

RRTD=2.RTInverse−RTNormal

RTInverseRTNormal

RNCD=2.NCInverse−NCNormal

NCInverseNCNormal

A priori, aucun des indicateurs ne doit être significativement négatif : cela impliquerait que les utilisateurs sont meilleurs lorsqu'ils n'utilisent pas le couplage appris. Notre hypothèse se traduit de plus par le fait que l'un au moins des indicateurs doit être strictement positif. On doit donc avoir :

{RRTD ≥ 0 et RNCD ≥ 0} et {RRTD > 0 ou RNCD > 0}

Remarque :

Le lecteur s'interrogera peut être sur la pertinence d'utiliser, comme situation de comparaison par rapport à une utilisation du dispositif en fonctionnement normal, une condition où le sujet est muni du dispositif dans lequel l'image d'entrée est inversée, plutôt qu'une situation où le sujet n'est pas équipé du dispositif, par exemple.

L'origine de ce choix provient d'une interrogation sur l'effet de contexte lors du test : une situation où le sujet n'est pas équipé du dispositif est-elle équivalente, en tout autre point, à une situation où le sujet est équipé du dispositif ?

Nous pensons que non, et en particulier que le sujet, sans le dispositif, est susceptible d'utiliser des stratégies différentes que lorsqu'il en est équipé. Il peut en particulier se concentrer sur les autres informations en provenance du milieu extérieur : tactiles (courant d'airs ou bouches d'aérations), olfactives (par exemple les odeurs d'essences près d'un garage), et bien sûr sonores, puisqu'il n'est plus équipé du dispositif. Par ailleurs, s'il n'est pas équipé du dispositif, le sujet est dans une situation où seul l'expérimentateur est susceptible de lui fournir une information (autre que celles discutées précédemment). Il peut donc choisir de marcher plus vite, en attendant que l'opérateur lui fournisse des indications. Enfin, le fait de ne pas être munis du dispositif signale de manière évidente qu'il s'agit de la condition contrôle, ce qui peut altérer la motivation du sujet et le comportement de l'expérimentateur.

Pour cette raison, nous n'avons pas choisi de comparer une situation avec le dispositif avec une situation sans le dispositif. A ce titre, l'intérêt de notre méthode est qu'elle permet d'isoler un effet

induit par l'image, et seulement par l'image. Toutefois, pour s'assurer de la validité de ce propos, nous avons réalisé, dans l'expérimentation préliminaire, une mesure post-expérimentale des performances du sujet sans dispositif.

Une autre solution aurait été de fournir au sujet un "faux" signal, par exemple un signal enregistré lors de la passation d'un autre sujet. Dans ce cas néanmoins, le sujet s'aperçoit rapidement de l'absence de couplage sensori-moteur effectif (Auvray, 2005). Il est donc susceptible de se comporter comme s'il n'était pas muni du dispositif. Dans le cas où l'on inverse l'image, le couplage sensori-moteur reste effectif, même s'il ne correspond pas au couplage appris.

Enfin, cette méthode présente également un avantage majeur : elle permet de maximiser l'effet potentiel du dispositif. En effet, si l'on suppose que l'apprentissage du couplage sensori-moteur induit par le dispositif va améliorer les performances du sujet dans la tâche de mobilité, l'utilisation d'un couplage différent de celui appris est susceptible de perturber le sujet, de diminuer ses performances et donc d'augmenter d'autant l'effet mesuré. Cet élément est d'autant plus important que l'on s'attend, dans un premier temps et compte tenu du temps d'apprentissage réduit, à obtenir un effet petit.

Enfin, cette méthode permet de s'affranchir des différences inter-individuelles puisque l'on normalise les données par les performances globales du sujet. Les indicateurs ainsi utilisés sont donc à priori plus sensible que les données brutes. Ils sont également comparables d'un individu à l'autre, et d'une expérience sur l'autre.

Cette méthode ne permet pas, en revanche, de tester l'utilité du dispositif dans la pratique. Ce n'est d'ailleurs pas son objet : cette méthode permet de tester l'établissement d'un couplage sensori-moteur favorable à la mobilité, ce qui est une condition préalable à l'utilité pratique du dispositif. Elle permet donc de déterminer si le dispositif est un candidat potentiel pour être une aide à la mobilité. Le cas échéant, les résultats obtenus seront un argument favorable au test du dispositif à plus longue échelle. L'effet mesuré reste par ailleurs un indicateur relatif de la fonctionnalité du dispositif : un effet fort signalera un couplage fort, un dispositif induisant un effet fort dans cette expérience sera donc a priori plus efficace qu'un dispositif présentant un effet faible.

5.3 Expérience 1 : Validation de la méthode et du dispositif