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Dans notre étude, les participants pensaient que le dépistage du risque suicidaire aux

urgences pédiatriques permettait de dépister plus d’adolescents, qui n’auraient pas été dépistés

autrement. L’étude de King et al.

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, s’intéressant au dépistage du risque suicidaire des adolescents

consultant aux urgences, que le motif de consultation soit psychiatrique ou non psychiatrique,

révélait que 16% des 298 adolescents participants, âgés de 13 à 17 ans, étaient dépistés avec un

risque élevé de suicide, dont environ 20% se présentaient avec une plainte non psychiatrique,

suggérant que ces jeunes n’auraient pas été identifiés autrement. Dans l’étude de Horowitz et al.

20

,

25% des 106 adolescents consultant pour un motif non psychiatrique étaient dépistés avec un

risque suicidaire via le questionnaire ASQ, 5,7% avaient des idées suicidaires importantes et 5,7%

un antécédent de tentative de suicide. 12 adolescents identifiés avec un risque suicidaire n’avaient

jamais été questionnés sur le suicide auparavant. Seulement 35% de l’ensemble des participants

avaient été questionnés sur le suicide auparavant. Dans l’étude de Ballard et al.

22

, seulement 43%

des adolescents avaient été questionnés sur le suicide auparavant, dont après ajustement,

principalement les filles et les patients avec des plaintes psychiatriques. Dans notre étude, le risque

suicidaire des trois adolescents avec un questionnaire ASQ positif était décrit également lors de

l’entretien qualitatif. Deux des trois adolescents ne consultaient pas pour un motif psychiatrique. Ces

études montrent donc un intérêt du dépistage généralisé aux urgences, devant des prévalences non

négligeables dans les populations consultant pour un motif non psychiatrique. Cependant, les

variations des prévalences retrouvées interrogent quant à la validité du test psychométrique de

dépistage dans ce contexte. Or tout programme de dépistage nécessite un instrument de dépistage

valide capable d’identifier les jeunes à risque suicidaire pendant qu’il minimise les faux positifs et les

faux négatifs. Dans leur revue de la littérature, Pe

ñ

a et al.

39

montraient que, par les programmes de

dépistage des jeunes suicidaires en population générale (aux urgences ou à l’école), l’identification

des adolescents à risque était améliorée. La sensibilité et la spécificité des sept outils de dépistage

étudiés étaient globalement bonnes. Par contre la valeur prédictive positive (VPP) en population

générale était relativement basse (de 16 à 33%), entrainant un taux important de faux positifs.

Dans l’étude d’Horowitz

20

, de validation du questionnaire ASQ, cet outil de dépistage, utilisé auprès

des adolescents consultant aux urgences, avait une sensibilité à 97%, une spécificité à 88% et, parmi

les adolescents dont le motif de consultation n’était pas psychiatrique, une VPN à 99% et une VPP

basse à 39%. Un nombre conséquent d’adolescents étaient donc dépistés positifs facticement. Pe

ñ

a

et al.

39

rappelaient que la VPP, qui dépend de la prévalence du phénomène dans la population, était

plus mauvaise en population générale que dans les populations à risque. Pour réduire le nombre de

faux positifs, la plupart des programmes de dépistage, comme dans notre étude, procédaient à deux

étapes : la première était la passation du questionnaire, la deuxième une évaluation plus

approfondie du risque des adolescents positifs au questionnaire par un entretien avec un

professionnel de la santé mentale, si possible un pédopsychiatre. Ces programmes nécessitaient

donc d’importantes ressources humaines. Dans leur étude auprès de lycéens, Hallfors et al.

montraient le décalage entre théorie et réalité

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: une prévalence élevée de 29% d’adolescents à

risque de suicide, après la passation du questionnaire, rendait la poursuite du programme de

dépistage irréalisable. Faute de moyens, un tiers des lycéens n’avaient pas reçu l’évaluation de phase

2 pour établir la signification du score positif, pour la plupart des autres seulement à trois semaines.

Les lycées abandonnaient le programme de dépistage. La confiance dans le test se perdait devant le

taux important de faux positifs. Ainsi une VPP basse pose la question de la rentabilité du dépistage,

sa faisabilité étant limitée par les ressources coûteuses nécessaires. Gutierrez et al.

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, pour ne pas

gaspiller des ressources de soins, proposaient de niveler le risque suicidaire déterminé par le

questionnaire, et proposaient ainsi une évaluation en phase 2 en conséquence : par exemple, si

l’adolescent, à la suite immédiate du questionnaire, correspondait à « en crise », il était évalué par

un psychiatre aux urgences ; si l’adolescent correspondait à « inquiétude notable », il lui était

proposé une consultation psychiatrique ultérieure et des coordonnées téléphoniques lui étaient

remises si besoin ; si l’adolescent correspondait à « besoin apparent », il était orienté vers un

psychologue pour prendre rendez-vous. Par ailleurs, Pe

ñ

a et al.

39

mais aussi O’Connor et al.

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décrivaient que les caractéristiques de validité et la fiabilité des tests de dépistage du risque

suicidaire étaient plus mauvaises chez les adolescents que chez les adultes. Récemment, Quinlivan

et al.

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démontraient que les échelles d’évaluation du risque d’automutilation avaient une utilité

limitée pour prédire les récidives et pouvaient gaspiller inutilement des ressources de soins. La

plupart de ces échelles ne faisaient pas mieux que l’évaluation par le clinicien ou par le patient.

Certaines étaient même beaucoup moins performantes et dans l’ensemble leur VPP était faible

(entre 13 et 35%). Ils concluaient qu’il n’y avait donc pas d’intérêt à utiliser ces tests de dépistage. La

validité de l’outil de dépistage, remise en cause par la littérature, reste une condition

indispensable pour qu’un programme de dépistage soit efficace.

Dans notre étude, les adolescents prévenaient de la possibilité de propos inauthentiques et

donc s’interrogeaient sur l’efficacité du questionnaire. Ils disaient qu’un adolescent suicidaire avait

tendance à cacher ses idées suicidaires. Il n’était alors pas dépisté par le questionnaire (faux négatif).

À l’inverse, des adolescents pouvaient exprimer des idées de mort sans réelle intention de se suicider

(faux positif). King et al.

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ont mis en évidence une différence significative de réponses des

adolescents, dont les familles recevaient des aides sociales, concernant le risque suicidaire, selon

qu’ils remplissaient un auto-questionnaire ou qu’ils participaient à un entretien en face-à-face. Ils

rapportaient moins d’idées suicidaires lors de l’entretien, évoquant la présence probable de faux

négatifs (ou à l’inverse peut être des faux positifs chez ceux remplissant l’auto-questionnaire). Pour

expliquer cette différence de réponses, les auteurs mettaient en avant l’hypothèse du biais de

désirabilité sociale. Dans notre étude, des entretiens pouvaient montrer des discordances entre les

propos des parents et des enfants. Des parents pouvaient faire le récit de tentatives de suicides ou

d’idées suicidaires de leurs adolescents, avec potentiellement un risque suicidaire actuel, que leurs

adolescents cachaient. Pour réduire le biais de désirabilité sociale, mais aussi pour économiser les

ressources humaines aux urgences et améliorer l’orientation des jeunes à risque, plusieurs études

proposaient l’utilisation des technologies informatiques. Les adolescents remplissaient de manière

autonome un questionnaire informatisé pendant les temps d’attente. Choo et al. montraient dans

leur revue de la littérature une amélioration de l’acceptabilité et de la faisabilité

50

. Les adolescents

décrivaient une plus grande satisfaction par ce mode de questionnaire et révélaient plus facilement

les difficultés en lien avec la santé mentale

51

. Dans l’étude de Cronholm

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, les soignants urgentistes

étaient partagés par l’utilisation de ces technologies, qui, en supprimant la relation soignant-patient,

était décrite comme une démarche impersonnelle et indifférente n’accordant plus d’importance à la

vertu diagnostique et thérapeutique de la relation. Pe

ñ

a et al.

39

ainsi que Mann et al.

52

, dans leurs

revues respectives de la littérature, rappelaient l’importance de prendre en compte les particularités

culturelles des populations dépistées (la variabilité symptomatique, les représentations culturelles

de la maladie, la distance culturelle)

53

, parfois différentes de la population avec laquelle l’outil a été

initialement développé, pour assurer la validité du dépistage et son acceptabilité.