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Figure 16. Diagramme des acteurs de la surveillance des salmonelles en France présenté aux participants du groupe de travail Ondes pour révision et validation

2.6. Evaluation du processus d’accompagnement

Afin de pouvoir évaluer si le processus d’accompagnement avait permis une amélioration de

la compréhension mutuelle, les participants ont rempli le même questionnaire au début du premier atelier et à la fin du dernier. Nous avons pu collecter les deux questionnaires pour sept acteurs

seulement, dont deux qui n’avaient pas participé au second atelier.

A la suite de l’analyse des réponses des participants, nous n’avons pas noté d’amélioration significative en matière de connaissance du système (domaines couverts par le système et institutions officiellement en charge de la coordination des dispositifs). Concernant l’évaluation d’un objectif commun, la plupart des participants (cinq en début de processus et six en fin) partageait la même vision de la modalité de collaboration la plus pertinente dans la situation actuelle, à savoir le partage des résultats de la surveillance entre les différents secteurs pour avoir une connaissance commune de la situation générale. En fin de processus, tous considéraient que la raison primordiale qui appelle à la collaboration est de protéger la santé publique mais aussi d’assurer le bien-être animal, la sécurité alimentaire et de prévenir les dommages causés aux écosystèmes.

En fin de processus, tous les participants reconnaissaient que la lutte contre l’antibiorésistance était une responsabilité partagée entre les secteurs et qu’il n’y avait pas un secteur plus coupable qu’un autre.

Enfin, ils avaient tous augmenté le nombre de personnes présentes dans la salle avec qui ils avaient une expérience de travail.

La fiche d’évaluation distribuée à la fin du dernier atelier avait pour objectif d’évaluer la perception des participants vis-à-vis du processus d’accompagnement. Onze fiches ont pu être

recueillies et analysées. Tous les participants étaient en accord total avec le fait qu’ils avaient pris du

plaisir à participer au processus d’accompagnement et 10 d’entre eux considéraient avoir pu exprimer

leur point de vue librement et facilement. En revanche, seulement sept d’entre eux étaient en accord

total avec le fait qu’ils avaient gagné en connaissance du système et que les changements proposés

étaient pertinents. Les quatre autres ont exprimé un accord moyen avec ces deux affirmations. Sept participants ont répondu à la question ouverte sur les suites qu’ils prévoyaient de donner aux changements et actions identifiés : quatre allaient continuer de mettre en œuvre les tâches assignées par la stratégie nationale, deux étaient intéressés par une analyse plus approfondie des mécanismes de gouvernance intersectorielle et des bénéfices attendus par les acteurs du système de surveillance intersectoriel, deux n’ont pas exprimé exactement les actions qu’ils allaient entreprendre.

3. DISCUSSION

Le processus d’accompagnement mis en place au Vietnam pour guider les acteurs de la surveillance de l’antibiorésistance vers une définition concertée du système multisectoriel idéal s’est révélé fructueux pour caractériser en détail la situation actuelle (diagramme d’acteurs, cartographie des dispositifs, forces et faiblesses du système), définir une vision partagée d’un système de surveillance idéal et identifier les changements à apporter pour aboutir à celui-ci. Le processus a permis aux participants d’améliorer leur connaissance du système et de ses acteurs dans sa globalité mais aussi de la surveillance en général (organisation d’un dispositif, objectifs et finalités, etc.).

Cependant, l’évaluation des effets à court terme n’a pas montré une amélioration significative de la

connaissance des acteurs vis-à-vis des domaines couverts par le système et des institutions officiellement en charge de la coordination des dispositifs. Ceci peut s’expliquer de la façon suivante. Concernant la couverture du système de surveillance, les ateliers ont donné lieu à de nombreuses discussions sur le type de dispositif de collecte de données qui devait être considéré ou non dans le système de surveillance et, à la suite de ces discussions, certains participants ont pu réviser leur jugement entre les deux questionnaires sur ce qui relevait ou non de la surveillance et donc sur les domaines qui pouvaient être considérés comme couverts ou non par le système de surveillance. Concernant l’identification des unités coordinatrices, les participants ont gagné en connaissances sur l’ensemble des acteurs impliqués dans les dispositifs de surveillance, et lors du remplissage du questionnaire à la fin du dernier atelier, ils ont eu tendance à vouloir valoriser leurs nouvelles connaissances en listant tous les acteurs quel que soit leur rôle dans le dispositif et non plus

uniquement l’acteur en charge de la coordination.

Le processus d’accompagnement a mis en évidence que la situation idéale pouvait être

complexe à définir par les acteurs de la surveillance, faute d’avoir une vision claire de leurs attentes par rapport à l’établissement d’un système de surveillance One Health. Une façon de pallier cette difficulté est de partir du postulat que le système de surveillance idéal est un système qui est en mesure de produire l’information utile à un moindre coût pour les différents bénéficiaires potentiels afin qu’ils puissent poursuivre d’une part leur objectif propre mais aussi un objectif commun. En partant de cette définition, il est plus facile pour les acteurs de clarifier leurs attentes en travaillant

sur la caractérisation de l’information dont ils ont besoin pour accomplir leurs activités et mandats.

Une fois leurs attentes clarifiées, l’objectif du système idéal peut être défini et ses caractéristiques exprimées en termes de couverture, compétences et performance dans les différents secteurs, type et format de données à collecter, modèles de gouvernance et modalités de collaboration pour la réalisation des activités de surveillance, etc. D’autres attentes que celles en lien avec l’information peuvent être exprimées par les participants, tels que la réduction des coûts, l’établissement d’un réseau intersectoriel, etc. Ces demandes doivent également être prises en compte dans le processus d’accompagnement autant que faire se peut.

Au Vietnam, il est intéressant de noter que l’objectif décidé in fine par les acteurs pour le

système de surveillance de l’antibiorésistance idéal différait de celui communément promu par la communauté scientifique (Aenishaenslin et al., 2017 ; Queenan et al., 2016 ; Tacconelli et al., 2018) et les organisations internationales (AGISAR, 2017), qui vise à intégrer les différentes sources de données afin de mieux comprendre le risque lié à l’antibiorésistance et son impact sur la santé humaine. En effet, au regard du contexte et des faibles capacités de surveillance dans les différents secteurs, les participants n’ont pas jugé approprié de s’orienter en premier lieu vers un système intégré basé sur la comparaison de données recueillies sur des indicateurs communs aux différents domaines. Il leur a semblé plus opportun de se focaliser en priorité sur le renforcement des compétences et des mesures de gestion dans chaque secteur et d’instaurer la collaboration au seul niveau de l’échange et de la communication commune des résultats de surveillance. Ceci vient corroborer nos conclusions du premier chapitre de ce manuscrit, en illustrant l’idée que la pertinence des modalités et modèles de

collaboration sont largement influencés par le contexte (la maturité des dispositifs sectoriels dans le cas présent) et qu’il est illusoire de vouloir imposer des collaborations qui n’auront pas été spécifiquement développées pour un contexte donné et encore plus illusoire de penser que les acteurs vont y adhérer. La démarche de modélisation participative permet donc, via la co-construction d’une représentation commune, de sortir du cadre et offre un espace de parole aux acteurs de terrain dans lequel ils ont la possibilité de discuter, voire de réfuter, de façon transparente et partagée les points

de vue des experts. D’ailleurs, pour la conduite de ces travaux, nous avons préféré utiliser le terme de

« système de surveillance multisectoriel idéal » plutôt que celui de « système de surveillance One Health ». En effet, la surveillance One Health est la terminologie usitée par les organisations internationales et fait référence à une organisation et un fonctionnement précis de la surveillance de l’antibiorésistance (AGISAR, 2017). Utiliser cette terminologie aurait pu constituer un frein à

l’expression des points de vue des acteurs, influencés par le discours des organisations internationales

souvent considéré comme la norme, et donc à l’émergence de solutions collectives adaptées au contexte local.

Enfin, le processus a permis d’identifier des changements pour atteindre la situation idéale dans différentes dimensions. Partir d’une caractérisation détaillée du système de surveillance optimal souhaité permet aux participants d’identifier spécifiquement les changements et les actions nécessaires à apporter. La figure 23 montre par exemple comment les changements et les actions proposées par les participants s’articulent entre eux et avec les caractéristiques du système idéal précédemment identifiées pour créer un chemin jusqu’au système idéal. L’objectif premier de

l’approche que nous avions développée était de définir les modalités de collaboration pour la

gouvernance et la réalisation des activités de surveillance dans un système One Health à dires d’acteurs. Or, il s’est très vite avéré que l’on ne pouvait pas travailler à la définition des modalités de collaboration optimales en faisant abstraction de son contexte de mise en œuvre, et notamment de

l’organisation et de la performance de la surveillance dans les différents domaines couverts par le

système multisectoriel. Ainsi, les changements proposés par les participants concernaient pour

beaucoup l’organisation et le fonctionnement internes aux dispositifs dans lesquels ils étaient

impliqués (en termes de gouvernance et de performance) et lorsqu’ils s’adressaient au système dans sa globalité, ils se concentraient essentiellement sur les modalités de collaboration pour la gouvernance des activités de surveillance plutôt que pour leur réalisation. Cette observation semble

d’autant plus vraie pour les systèmes naissants où la priorité des acteurs de la surveillance réside dans

le renforcement des capacités de surveillance dans leur secteur avant d’envisager de collaborer avec les autres secteurs.

La démarche de modélisation participative, en mobilisant de façon collective la connaissance et en permettant la confrontation de plusieurs points de vue a abouti à une représentation de la situation différente de celle obtenue à la suite de l’analyse structurelle du système (Bordier et al.,

2018a). Des éléments nouveaux ont émergé, comme la nécessité d’impliquer plus fortement les

autorités au stade de la province et les partenariats public-privé. La démarche a permis aux participants d’appréhender le système non plus selon leur seule perspective individuelle mais comme un réseau au sein duquel ils entretenaient des relations sociales les uns avec les autres. Plusieurs participants ont reconnu que la représentation obtenue en suivant la méthode PARDI donnait une toute autre vision du système, habituellement représenté en silos verticaux, et qu’ils appréhendaient beaucoup mieux le système dans sa complexité avec sa grande diversité d’acteurs et d’interactions.

Malgré nos efforts pour rassembler un panel de participants représentatifs des acteurs clefs

du système de surveillance au Vietnam, il a été difficile d’engager certains acteurs dans le processus

ou de maintenir leur engagement tout au long du processus. Par exemple, le département en charge de la médecine préventive (GDPM) au ministère de la Santé, officiellement en charge de

l’antibiorésistance dans la population n’a participé qu’au dernier atelier et la représentante, bien que très active dans les discussions, n’était pas la personne en charge des questions en lien avec

l’antibiorésistance. Le département du contrôle de la pollution au ministère de l’Environnement n’a

jamais répondu aux invitations. Il en est de même pour le représentant des fournisseurs d’aliments

pour animaux. Aucun représentant des vétérinaires ou des éleveurs n’a participé aux ateliers alors

qu’ils sont des bénéficiaires potentiels de la surveillance dans le domaine animal. Enfin, pour les acteurs ayant été assidus tout au long du processus, leurs représentants pouvaient changer d’un

atelier à l’autre, et, dans certains cas, ils étaient peu expérimentés et avaient peu de connaissance à

partager. In fine, seules trois personnes ont participé aux trois ateliers. Ce manque de représentativité a vraisemblablement impacté la qualité des résultats obtenus.

Certaines catégories d’acteur apparaissent plus assidues que d’autres. C’est le cas des instituts

de recherche nationaux et étrangers, ainsi que les organisations internationales (FAO, OMS). L’intérêt

porté au progrès de la surveillance multisectorielle au Vietnam réside peut-être dans le fait que, pour les premiers, la surveillance One Health est source d’opportunités de recherche et de financements, pour les seconds, elle représente une de leur mission prioritaire de développement et leur engagement commun au niveau international14. Au contraire, il a été plus difficile d’obtenir et/ou

maintenir l’engagement des autorités compétentes qui manquent souvent de ressources humaines et

dont les priorités se situent plutôt à un niveau sectoriel qu’intersectoriel.

L’engagement des acteurs reste une problématique importante dans ce type de processus car elle impacte la qualité et la pertinence des résultats. Il faut donc porter une attention toute particulière à tous les facteurs qui peuvent influencer l’engagement des acteurs, telle que la

localisation dans un lieu neutre et facilement accessible, l’organisation à des dates ne risquant pas de

créer des conflits d’agenda, la légitimité de l’institution organisatrice à initier une telle approche, ainsi que celle du facilitateur à conduire les discussions. Lorsque des acteurs clefs sont manquants à un atelier, il est toujours possible de les solliciter de façon individuelle. Il est alors nécessaire de faire valider leur contribution lors de l’atelier suivant. Le fait de disséminer les résultats produits à la suite de chaque atelier à tous les acteurs invités, y compris ceux n’ayant pas participé, a eu pour effet d’augmenter le taux de participation de ces derniers à l’atelier suivant.

Au Vietnam, les effets attendus du processus d’accompagnement étaient de définir un

système multisectoriel optimal et d’améliorer la connaissance et la compréhension du système par les

acteurs. En revanche, le processus n’avait pas pour objectif d’évaluer si les changements identifiés pour atteindre le système idéal étaient les plus appropriés et s’ils allaient être réellement appliqués. En effet, dans la démarche de modélisation participative, le modèle en lui-même, dont le pouvoir

prédictif reste toujours incertain, n’est pas le résultat principal. C’est bien dans le processus de co

-construction du modèle que réside toute l’originalité et la puissance de l’approche en permettant aux acteurs de s’approprier des connaissances pertinentes pour le problème posé et de construire une vision et des solutions partagées. Pour que le travail de co-construction soit pertinent, il doit mobiliser toutes les catégories d’acteurs, publics et privés, concernés car eux seuls sont à même de décrire leurs propres actions.

14 FAO/OIE/WHO Tripartite Collaboration on AMR (https://www.who.int/foodsafety/areas_work/antimicrobial-resistance/tripartite/en/)

Figure 23.

Articulation des changements et actions proposés par les participants du processus d’accompagnement au Vietnam pour atteindre le système de surveillance idéal.

CONCLUSION

A cette étape de nos travaux, nous avons donc développé et appliqué au domaine de la surveillance One Health un processus d’accompagnement inspiré de la démarche ComMod habituellement utilisée dans la gestion des ressources renouvelables. La figure 24 offre un résumé de l’approche méthodologique et des résultats qu’elle a permis de générer.

Figure 24. Résumé du cadre méthodologique du processus d’accompagnement développé et des résultats obtenus.

Le cadre méthodologique développé et présenté dans cette partie s’articule ainsi autour de

quatre grandes étapes essentielles : la définition de la problématique, la caractérisation de la situation actuelle, la définition de la situation idéale, l’identification des changements pour atteindre la situation idéale. En revanche, la manière dont les étapes sont abordées, articulées entre elles et facilitées sera très dépendante du contexte et de l’information partagée par les acteurs au cours du

processus. Ainsi, les « porteurs » du processus doivent savoir faire preuve d’adaptabilité et

d’innovation d’un atelier à l’autre, et parfois même au sein d’un même atelier. Si des discussions autour de certains points prennent plus de temps que prévu mais produisent de la connaissance et du lien entre les acteurs, il est conseillé de ne pas les stopper quitte à reporter certaines activités prévues à l’atelier suivant ou sous forme de questionnaire en ligne dont les résultats seront restitués et validés à l’atelier suivant. L’approche proposée doit donc être vue comme une méthode adaptative et itérative qui se construit en cours de processus en s’adaptant à la connaissance partagée par les participants. Le facilitateur est donc bien dans une posture d’accompagnateur de la production de connaissance et de solutions collectives (Duboz et al., 2018).

A la suite du processus d’accompagnement, une évaluation de la collaboration peut être envisagée pour vérifier si les modalités organisationnelles et fonctionnelles identifiées par les

participants pendant le processus d’accompagnement ont été appliquées et sont appropriées et fonctionnelles pour répondre à l’objectif du système de surveillance optimal souhaité.