PARTIE 1 : ETAT DE L’ART ET PROBLEMATIQUE DE LA RECHECHE
3. Chapitre 3 – Les approches et critères d’évaluation de l’innovation
3.1. Evaluation ou mesure
Nous utilisons de manière indifférente les notions de mesure et d’évaluation dans ce
manuscrit. Il faut tout de même souligner les différences et nuances qui existent entre ces
deux termes.
La métrologie est la science de la mesure. « C’est la mère de toute relation d’ordre, de toute
comparaison ou classement, de toute relation économique et, de ce fait, elle a été de tout
temps l’acteur et le moteur du progrès et des sciences » (Engrand, 1976).
La métrologie est utilisée dans plusieurs domaines :
• Etalonnage, vérification, d’appareils de mesure et d’équipements en service,
• Certification, contrôle technique d’activités,
• Service d’inspection, de contrôle, d’essais et de certification à des entreprises de tout
secteur d’activité, ainsi qu’à des gouvernements,
• Contrôle qualité de chaînes de production, de chantiers de travaux publics et de la
gestion de projets ou encore inspection des véhicules.
Depuis quelques années, les besoins métrologiques ont fortement évolué et se sont intensifiés
dans beaucoup de secteurs. La métrologie touche davantage de secteurs tels que la santé,
l’agroalimentaire, l’environnement, les biotechnologies, les mesures sensorielles, la
pharmaceutique et bien d’autres encore. Cette progression rapide résulte de plusieurs facteurs
parmi lesquels :
• L’augmentation des demandes de traçabilité des mesures,
• La nécessité de disposer de produits de meilleure qualité et d’appareils de mesure de
plus en plus précis avec très peu de marge d’erreur (c’est le cas pour la médecine par
exemple),
• Les besoins de contrôle et de surveillance de la qualité des produits (surveillance des
salles propres, contrôle de l’activité bactéricide, etc.),
• L’arrivée de nouvelles technologies dans des domaines variés,
• La définition de nouvelles directives et normes (régionales, nationales et
internationales).
La métrologie est de plus devenue un élément capital dans la reconnaissance des compétences
des entreprises et des laboratoires. Elle est surtout indispensable dans les échanges
commerciaux nationaux ou internationaux. La maîtrise du processus de mesure est devenue
un véritable enjeu économique, commercial et réglementaire. C’est un outil de qualité
indispensable à la prise de décision : déclaration de conformité ou de non-conformité d’un
produit manufacturé, diagnostic à la suite d’une analyse médicale, respect ou non de la
législation en matière de sécurité et d’environnement.
Les exemples montrant l’importance de la mesure dans notre vie quotidienne sont nombreux.
La mesure représente donc une donnée essentielle pour toute activité humaine en général et
pour l’économie en particulier. Parallèlement, l’essor des nouvelles technologies et le progrès
des connaissances scientifiques rendent nécessaires une évolution permanente des mesures et
des instruments avec lesquelles celles-ci sont effectuées.
Mesurer consiste à comparer une grandeur physique inconnue avec une grandeur de même
nature prise comme référence. C’est exprimer le résultat de la comparaison à l’aide d’une
valeur numérique associée à une unité qui rappelle la nature de la référence et assortie d'une
incertitude qui dépend à la fois des qualités de l'expérience effectuée et de la connaissance
que l'on a de la référence et de ses conditions d'utilisation (Himbert, 1998). La caractéristique
majeure de la mesure est la répétabilité. En d’autres termes une opération de mesure peut être
reproduite plusieurs fois et doit donner la même valeur voir sensiblement la même valeur. La
mesure s’appuie le plus souvent sur des étalons qui sont des unités de mesure de base à partir
desquelles la mesure de tout objet sera trouvée (multiple de la valeur de cet étalon). C’est le
cas du kilogramme en physique, utilisé pour la mesure des masses. Outre la répétabilité, la
qualité d’une mesure dépend d’autres critères fondamentaux tels que l’uniformité, l’exactitude
(repérage des incertitudes) et la stabilité dans le temps.
Cependant des différences peuvent être observées dans les mesures d’une même grandeur.
C’est ce qu’on qualifie d’incertitude de mesure due généralement au processus de mesure
lui-même, aux conditions dans lesquelles la mesure est réalisée (différence de pression, présence
ou absence de vent, différence de température, erreur humaine, etc.), à la qualité et à la
précision des instruments de mesure (les instruments de mesure doivent pour cela être
régulièrement inspectés et étalonnés). Ainsi à toute mesure, il est important d’associer un
intervalle de confiance ou un domaine d’incertitude. D’énormes progrès sont faits de jour en
jour dans le domaine de la métrologie pour minimiser les imprécisions et erreurs de mesure
qui peuvent être souvent préjudiciables, notamment dans certains secteurs d’activité tels que
la médecine ou l’industrie pharmaceutique. Pour cela davantage d’outils plus performants
pour la mesure de haute précision font leur apparition et le rôle du métrologue devient de plus
en plus important dans tous les domaines d’activité. C’est dans ce sens que Jean-Michel POU,
PDG de la société Delta Mu Conseil déclarait
14: « en s’intéressant aux incertitudes de
mesure, à la maîtrise des capacités et à la notion de risque, le métrologue devient un élément
clé de l’amélioration des process industriels. Au-delà même des gains de productivité qu’il
pourra apporter par cette approche (en aidant à exprimer le juste besoin et à le maîtriser), il
participera à la démarche vitale dans laquelle chacun doit s’inscrire : le développement
durable ».
L’évaluation vient en soutien à toutes les autres professions et en retour, elle est soutenue par
un grand nombre d’entre elles ; aucune profession ne peut exceller sans évaluation
(Stufflebeam et Shinkfield, 2007). L’évaluation est donc omniprésente et sert à améliorer tous
les aspects de la société. Elle touche tous les domaines de la connaissance, de la production et
des services ; elle a des implications importantes dans le maintien et l’amélioration des
services et dans la protection des citoyens dans tous les domaines de la société. De plus, elle
couvre une large gamme d’entités : les programmes scolaires, les librairies, les musées, les
hôpitaux, la physique, la justice, les services de télécommunication, les politiques
environnementales, la prévention de maladies, la défense nationale, etc.
L’évaluation en général est destinée à porter un jugement sur un objet qui peut être des
individus, des projets, des services, des produits, des équipements, des concepts, etc. Elle
permet aussi d’attribuer une valeur à cet objet en fonction de critères déterminés(De Peretti et
al, 1998). Selon (Stufflebeam et Shinkfield, 2007), la notion de valeur étant le terme central
de l’évaluation, elle implique essentiellement de porter un jugement de valeur. Par conséquent
l’évaluation n’est pas exempte de toute valeur. Elle doit être fondée sur un ensemble complet
de principes directeurs et devra déterminer la position ou l’état de l’évaluande
15par rapport à
ces valeurs. Pour ces mêmes raisons, (Audisio, 1990) affirme que l'évaluation a pour objectif
de repérer et mesurer la déviance par rapport à une norme de référence. Cela consiste
également selon (Jacot, 1991) à assigner une valeur, bonne ou mauvaise, meilleure ou pire, à
une entité ou à un événement.
L’évaluation peut être vue comme un processus permettant de donner des certifications sur
des sujets tels que la validité, l’efficacité, l’objectivité des prix, la sureté, l’efficience, la
facilité d’utilisation et la probité d’un objet. Elle fournit à la société des preuves et des
justifications sur le mérite, la valeur, les améliorations à faire, les accréditations, la
certification et si nécessaire une base pour l’arrêt ou l’abandon dans le développement d’un
objet (Stufflebeam et Shinkfield, 2007). Les étapes techniques concernant la recherche en
évaluation sont : la collecte, l’organisation, l’analyse et la synthèse de l’information.
(Stufflebeam et Shinkfield, 2007) résument leur vision de l’évaluation ainsi : « c’est un
processus systématique de description, de recueil, de compte-rendu et d’utilisation de
l’information descriptive et de jugement sur les notions de valeur, de qualité, de probité, de
faisabilité, de sureté, de portée et/ou de valeur résiduelle d’un objet ».
14
Tiré de la Revue : Contrôles – Essais – Mesures, Octobre 2007, p.58.
L’évaluation peut aussi être considérée comme une pratique scientifique de mesure pour tout
ce qui n’est pas mesurable directement pour diverses raisons : soit parce qu’une mesure
directe de l’objet ne peut être obtenue faute d’instruments adaptés ou manquants (il s’agit de
l’évaluation au sens métrologique du terme), soit parce que l’objet d’étude n’est à priori pas
« mesurable » et qu’il faille au préalable fixer un référentiel de mesure relativement et
conjointement à l’objet d’étude (Ribau, 2000). Si l’objet de la science est la description et
l’explication des phénomènes qui nous entourent, l’objet de l’évaluation est davantage
l’action ou plutôt le jugement pour la décision et l’action.
En synthèse de cette section, nous pouvons dire qu’en métrologie, le caractère de neutralité ou
d’objectivité de la mesure ne peut pas (ou très peu) être remis en cause. Ce qui n’est pas le cas
de l’évaluation qui dépend quant à elle des critères de mesure de l’opérateur. De plus,
l’évaluation ne s’appuie que sur des ensembles de grandeurs non composables (c’est-à-dire
qu’il n’est pas possible d’égaler entre elles des quantités de celle-ci en utilisant une opération
mathématique telle que la somme, la différence, le produit vectoriel, …) et les notions de
métrologie qu’elle s’approprie sont celles applicables aux grandeurs non composables. Pour
ces raisons, (Ribau, 2000) affirme que la métrologie une science nécessaire à l’évaluation,
puisque tout classement ou comparaison utilise cette science.
De plus, l’évaluation se distingue fondamentalement de la mesure par le fait qu’elle repose sur
un jugement de valeur, donc contient une grande part de subjectivité. De plus, l’évaluation n’a
d’utilité que dans l’action ; elle est indissociable de l’action, n’a de sens que par rapport à la
décision prise et a trait à l’objet particulier dont on souhaite connaître la valeur (Beauvois,
1990).
Dans notre étude, nous manipulerons principalement des données qui sont susceptibles de
varier selon les objectifs de l’opérateur. Ainsi, si un praticien intervient sur le processus
d’innovation, ses objectifs seront établis en tenant compte de ses capacités de financement. De
ce fait, les évolutions attendues du processus devront être circonscrites à ces moyens
financiers mobilisables. L’évaluation sera donc dépendante des ressources financières
allouées.
De plus, nous aurons à faire face à des problèmes de « non mesurabilité » de certains
indicateurs. Par exemple, nous avons vu dans le second chapitre que le degré de nouveauté
n’était pas une variable associée à une mesure rigoureuse.
Enfin, notre recherche se place dans une logique générale d’ingénierie. Le but est d’élaborer
un corpus de connaissances permettant une meilleure compréhension des phénomènes
d’innovation, mais aussi de créer des méthodes pour le pilotage de ces processus. L’action est
donc interreliée à la réflexion.
Dans le document
Évaluation des processus d'innovation
(Page 50-54)