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B. La cornée

8. Sensibilité cornéenne

8.1. Evaluation de la sensibilité: les esthésiomètres

Un esthésiomètre apporte une évaluation semi-quantitative de la sensibilité. Il permet de déterminer le seuil de détection d’un stimulus exercé sur la cornée ou sur la conjonctive. (BELMONTE 1997) De façon plus concrète, on exerce une force d’intensité variable à l’aide de l’esthésiomètre et on note la force minimale nécessaire pour déclencher une réponse de la part du sujet. (BARRETT 2001) La réponse objective est le déclenchement du réflexe cornéen et la réponse subjective, évaluable uniquement chez l’Homme, correspond au seuil à partir duquel le sujet ressent le stimulus. (BORDERIE 2005) Pour évaluer la sensibilité cornéenne on note le seuil de réponse minimal à la stimulation mécanique cornéenne, appelé Corneal

Touch Treshold (CTT). (BARRETT 2001)

Dès le début du 19ème siècle, l’évaluation de la sensibilité cornéenne a suscité de l’intérêt. Il a cependant fallu attendre 1894 pour qu’une première méthode de mesure soit proposée par Von Frey. Le principe de base est le suivant : lorsque l’on applique un long cheveu perpendiculairement à une surface jusqu’à ce qu’il se courbe, sa force élastique exerce une contre-pression qui peut être mesurée en appliquant le cheveu sur une balance. (BOBERG-ANS 1955) Cette force est proportionnelle au diamètre et à la longueur du cheveu (BELMONTE 1997) : plus le cheveu est épais et court, plus la force exercée est importante. (GOLEBIOWSKI 2011) Ceci définit le principe de l’esthésiomètre à contact. En 1923, Régnier introduit ce procédé sur des animaux. Il utilise alors des crins pour stimuler la cornée et comparer l’efficacité de différents anesthésiques locaux. (REGNIER 1923) Par la suite,

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Strughold étudiera la sensibilité cornéenne chez différents animaux de laboratoire en se basant sur ce même principe. (STRUGHOLD 1930)

Toutefois, pour utiliser cette méthode il est nécessaire de posséder une batterie de cheveux calibrés, ce qui la rend inutilisable en pratique clinique courante. En 1955, Bober-Ans proposent donc de remplacer le cheveu par un fil de nylon (BOBERG-ANS 1955). C’est ainsi que prendra naissance l’esthésiomètre de Cochet-Bonnet, muni d’un filament de nylon d’une longueur ajustable allant de 0 à 6 cm et d’un diamètre de 0,8 ou 1,2 mm. (COCHET 1961; GOLEBIOWSKI 2011) La force exercée varie de 11 à 200 mg/mm² (intervalle variable selon les publications) et cette pression diminue lorsque la longueur du filament augmente. Son usage au cours de l’examen ophtalmologique se fait en appliquant le filament avec une longueur de 6 cm perpendiculairement à la cornée. Une personne possédant une sensibilité cornéenne normale détecte ce stimulus, si ce n’est pas le cas la longueur est diminuée de 0,5 cm et la mesure est répétée. Le résultat final est obtenu en faisant une moyenne de plusieurs mesures. (KRACHMER 2011) L’instrument s’accompagne d’une table de conversion permettant de relier la longueur du filament utilisé avec la pression exercée sur l’œil. (GOLEBIOWSKI 2011) Cet outil présente lui aussi ses limites, puisque la force exercée varie en fonction de l’âge du filament de nylon, de son nombre d’utilisations, de l’humidité et de la température ambiantes. (MILLODOT 1967; MURPHY 1998) De plus, l’esthésiomètre de Cochet – Bonnet présente l’inconvénient d’être invasif, de déclencher un stimulus visuel et de nécessiter un positionnement précis. (MURPHY 1996; BELMONTE 1999) Ces différents éléments rendent les tables de conversion moins fiables et les mesures de sensibilité cornéenne moins reproductibles. D’autre part, les esthésiomètres à contact ont aussi le défaut de ne pas permettre un stimulus d’une intensité assez faible pour être en dessous du seuil de clignement chez un sujet sain. (STAPLETON 2004)

Dans le cadre de recherches, plusieurs types d’esthésiomètres ont été étudiés pour stimuler plus spécifiquement les différents récepteurs sensoriels. Dans le but de stimuler les récepteurs thermiques, Brennan et Maurice ont par exemple utilisé l’esthésiomètre laser à CO2 (BRENNAN 1989) , de la même manière que l’esthésiomètre à solution saline chauffée (BEUERMAN 1979) il permet la création d’un signal thermique, mais en évitant le contact avec la surface cornéenne. En 1988, la capsaïcine, un alcaloïde retrouvé dans le piment et à l’origine d’une sensation de brulure, est proposée pour créer un stimulus chimique. (DUPUY 1988)

Les utilisations pratiques de l’esthésiométrie en médecine humaine sont variées, à la fois pour le diagnostic et le suivi thérapeutique, entre autre chez les patients diabétiques ou

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lors de lésions nerveuses. D’autant plus que ces dernières années, les signes de gêne oculaire représentent une préoccupation de plus en plus répandue chez l’Homme. Cette augmentation est consécutive d’une part aux changements du milieu de vie (l’exposition de l’œil à la pollution extérieure, à la climatisation et le port de lentilles de contact (MILLODOT 1978)) et d’autre part à des situations de plus en plus courantes, telles que la sécheresse oculaire (BOURCIER 2005) et les chirurgies réfractives de la cornée (MATSUI 2001; BRAGHEETH 2005; NEJIMA 2005). La montée de cette problématique a entrainé un regain d’intérêt pour l’étude de la sensibilité cornéenne. (MULLER 2003; JIUNCHENG 2010)

Dans ce cadre, les esthésiomètres sans contact ont été développés pour pallier les défauts des esthésiomètres à filament. En 1999, Belmonte a ainsi montré l’intérêt de l’esthésiomètre émettant un jet d’air de température contrôlée. Celui-ci permet d’exercer un stimulus mécanique non invasif, dont l’intensité varie selon le débit d’air et pouvant être en dessous du seuil de détection mécanique de la cornée. De plus, il peut aussi créer une stimulation chimique sélective en émettant un jet d’air dont l’intensité est en dessous du seuil de détection mécanique et dont la concentration en dioxyde de carbone (CO2) est variable. (BELMONTE 1999; STAPLETON 2004) De la même manière, cet outil permet de créer un stimulus thermique, froid ou chaud. (ACOSTA 2001)

Les esthésiomètres sans contact présentent donc l’intérêt d’être non invasifs, de permettre plus facilement l’émission d’un stimulus dont la localisation et les caractéristiques sont reproductibles et d’explorer les réponses des trois types de récepteurs sensoriels présents dans la cornée (mécano-nocicepteurs, thermorécepteurs et nocicepteurs polymodaux). (GOLEBIOWSKI 2011)