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Etudes portant sur le lien entre mémoire de travail et développement linguistique chez l’enfant

Il a été montré dans la littérature scientifique que la boucle phonologique avait un lien certain avec l’acquisition du vocabulaire chez l’enfant. Baddeley (Gathercole, Willis, Emslie

& Baddeley, 1992, In Baddeley 2003) a investigué le rôle joué par la BP sur le vocabulaire en réception d’enfants âgés de 4 et 5 ans. Les performances de la BP ont été appréhendées à l’aide d’une épreuve de répétition de pseudo-mots. Les corrélations trouvées indiquaient clairement une association entre les compétences de la BP et la taille du vocabulaire réceptif.

Le même auteur a trouvé des résultats identiques à plusieurs reprises chez des enfants âgés de 4 à 13 ans (Baddeley et al., 1998, In Baddeley, 2003). De plus, Majerus, Poncelet, Greffe et Van der Linden (2006) ont montré que les performances en mémoire à court terme étaient liées au développement du vocabulaire chez des enfants âgés de 4 à 6 ans.

Plusieurs études ont également investigué les liens entre la boucle phonologique, la mémoire de travail et les capacités syntaxiques chez les enfants. Nous allons dans cette section en résumer certaines afin de mettre en évidence les liens déjà identifiés entre la mémoire de travail et le développement syntaxique au cours de l’enfance. Nous allons également aborder le lien entre ces domaines cognitifs chez l’enfant présentant un développement langagier atypique ainsi que chez l’adulte.

Dans leur étude de 1995, Adams et Gathercole ont étudié les relations entre la boucle phonologique et le développement langagier chez des enfants tout-venant âgés de 3 ans. Les auteurs ont réparti ces enfants en deux groupes distincts suivant leur performance à une tâche de répétition de pseudo-mots : 19 enfants avec de bonnes capacités de la boucle phonologique et 19 autres avec de moins bonnes performances. Un échantillon de langage spontané a été transcrit pour chaque sujet. A partir de cette transcription, différentes mesures ont été calculées, telles que la diversité du vocabulaire (nombre de mots différents utilisés), la longueur moyenne d’énoncés et la complexité des phrases produites (énoncés contenant un verbe, énoncés sans verbe, nombre de questions/négations/relatives). Les corrélations indiquent clairement que les enfants dotés d’une boucle phonologique plus performante utilisent un vocabulaire plus diversifié et produisent des phrases plus longues et plus complexes que les enfants avec une BP moins performante. Les auteurs ont ainsi pu établir un lien certain entre la production lexicale et syntaxique et les capacités de la BP chez des enfants âgés de 3 ans. Les mêmes auteurs ont répliqué ces résultats en 2000 chez des enfants âgés de 4-5 ans et ont donc à nouveau montré que les enfants présentant une meilleure BP

produisaient plus de mots variés, des phrases plus longues et des constructions syntaxiques plus complexes.

Montgomery, Magimairaj & O’Malley (2008) ont investigué la contribution de la mémoire de travail à la compréhension orale d’énoncés complexes chez des enfants tout-venant âgés de 6 à 12 ans. Une tâche de répétition de pseudo-mots a été administrée afin d’évaluer les capacités de la BP des sujets. Une tâche de « listening span » a été utilisée afin d’appréhender les capacités de MdT. Enfin, la compréhension syntaxique a été testée à l’aide d’une épreuve de désignation d’images à partir d’énoncés oraux simples et complexes1. Les analyses de corrélations indiquent qu’il y a un lien entre la compréhension de phrases complexes et la MdT. Cependant, aucune corrélation entre la BP et la compréhension syntaxique n’a été trouvée. Une analyse de régression montre que la MdT explique 30% de la variance de la compréhension syntaxique. Il semblerait donc que la compréhension de phrases complexes chez les enfants âgés de 6 à 12 ans soit en partie expliquée par les performances en mémoire de travail.

Montgomery et Evans (2009) ont également investigué les relations entre mémoire de travail et compréhension de phrases complexes, mais cette fois-ci chez des sujets avec TSL âgés de 6 à 12 ans, appariés en âge avec des enfants au développement langagier typique et également appariés en niveau langagier et mnésique avec d’autres enfants tout-venant. Les auteurs ont choisi de faire passer à leurs sujets une tâche de répétition de pseudo-mots, une adaptation de l’épreuve du « listening span », ainsi qu’une épreuve de désignation d’images à partir d’énoncés oraux simples et complexes. Leur hypothèse principale était que les difficultés de MdT chez les enfants atteints d’un TSL seraient associées à leur difficulté de compréhension de phrases complexes. Les résultats indiquent en effet qu’il existe des corrélations entre les performances de la MdT et la compréhension des phrases complexes chez les enfants avec TSL. Par contre, aucune corrélation entre la BP et la compréhension syntaxique n’a été trouvée. Les auteurs précisent toutefois que l’absence de corrélation entre la BP et la complexité syntaxique ne veut pas dire qu’il n’y a aucun lien entre ces deux domaines.

Willis et Gathercole (2001) ont quant à eux investigué le lien entre la boucle phonologique et la capacité de répéter des phrases complexes. Ils ont évalué la BP d’enfants 







1Montgomery et al. (2008, 2009) ont considéré comme complexes les structures suivantes : les passives (p.ex :

« The baby was kissed by the baby. »), les phrases contenant un pronom réfléchi (p.ex : « Daffy Duck says Bugs Bunny is hugging himself. »), les phrases contenant un pronom objet (p.ex : « Bugs Bunny says Daffy Duck is hugging him. »). Ces mêmes auteurs ont considéré comme simples les structures respectant l’ordre canonique des constituants de la phrase, c’est-à-dire des phrases n’impliquant aucun mouvement (p.ex : « The little boy kissed the happy little girl. »).

âgés de 4-5 ans à l’aide d’une épreuve de répétition de pseudo-mots, ainsi que d’une tâche d’empan de chiffres endroit. Leurs résultats indiquent que les sujets ayant des capacités plus faibles au niveau de la BP répètent significativement moins de phrases complexes de manière correcte par rapport aux enfants ayant de bonnes performances en BP. La répétition de phrases complexes serait donc directement liée à de bonnes capacités de la BP.

Les liens entre mémoire de travail et compréhension écrite sont également à l’heure actuelle bien établis. Seigneuric et Megherbi (2008) ont investigué les liens entre les performances en mémoire de travail (évaluées à l’aide de l’épreuve du « listening span ») et les capacités de traitement des pronoms par écrit chez des enfants âgés de 9 et 10 ans. Les résultats confirment que les enfants ayant une MdT plus performante effectuent un traitement des pronoms par écrit plus précis et plus rapide que les sujets présentant une MdT plus faible.

Dans une autre étude, Seigneuric et al. (2008) ont mis en évidence des corrélations significatives entre les capacités de la mémoire de travail (évaluées à nouveau à l’aide du

« listening span ») et la compréhension de l’écrit chez des enfants tout-venant âgés de 8 à 10 ans. De plus, au travers d’une analyse de régression multiple, la compétence en MdT ressort comme un prédicteur significatif de la compréhension de l’écrit chez les enfants. Il semblerait donc que « la capacité à traiter et à maintenir en mémoire des informations joue un rôle central dans l’acquisition de la compréhension de l’écrit chez des enfants tout-venant » (Seigneuric et al, 2008). Siegel (1994) a, quant à elle, montré que des enfants atteints d’un trouble de la lecture présentent de moins bonnes capacités en BP et en MdT que des enfants tout-venant, et ce tout au long du développement (de 6 à 20 ans).

Gathercole et Baddeley (1989 In Baddeley 2003) se sont également intéressés à la relation entre la BP et le langage oral chez des enfants présentant un développement langagier atypique (TSL). Les enfants atteints d’un TSL ont de moins bonnes performances en répétition de pseudo-mots que les enfants tout-venant appariés en âge ou en niveau langagier. Ainsi, Baddeley suggère que les troubles langagiers seraient dus à un déficit de la boucle phonologique. De même, Parisse et Mollier (2008) ont montré que des enfants avec un TSL âgés de 6 à 12 ans présentent une BP significativement plus faible que des enfants tout-venant d’âge équivalent. Danahy, Windsor et Kohnert (2007) ont quant à eux évalué la MdT d’enfants touchés d’un TSL, ainsi que d’enfants tout-venant âgés de 7 à 13 ans à l’aide de l’épreuve du « counting span » (présentée en section 2.2.2.2) qui évalue précisément donc les compétences de l’administrateur central et de la BP. Leurs résultats indiquent clairement que les enfants présentant un trouble du langage obtiennent des résultats au counting span plus faibles que les enfants au développement typique. Ces auteurs affirment que la mémoire

de travail est un domaine généralement déficitaire chez les enfants avec un TSL et qu’il est nécessaire d’évaluer ce domaine pour diagnostiquer un tel trouble.

Le lien entre mémoire de travail et complexité syntaxique a également été investigué chez des adultes. Gimenes, Rigalleau & Gaonac’h (2007) ont étudié plus spécifiquement le rôle des ressources de mémoire de travail dans la compréhension de phrases à double enchâssement chez 24 adultes. Selon eux, une phrase contenant plusieurs propositions enchâssées placerait un « coût excessif en mémoire de travail » (Gimenes et al., 2007). En effet, la MdT permettrait de maintenir les éléments syntaxiques de l’énoncé jusqu’à l’accès au sens final. La compréhension serait donc plus difficile si les ressources de MdT sont limitées ou occupées. Les auteurs postulent également que cette compréhension serait d’autant plus difficile si l’information à retenir est très similaire aux énoncés à traiter. Dans leur étude, les sujets devaient mémoriser une liste de mots (nombres de mots à retenir variant de 3 à 12), tout en jugeant simultanément la compréhensibilité d’une série de phrases lues.

Les mots à mémoriser étaient soit très similaires aux mots des phrases lues, soit différents. Le nombre de mots non correctement rappelés, les scores de compréhensibilité, ainsi que les temps de lecture des phrases ont été récoltés. Les résultats indiquent que le rappel de mots est moins bon lorsque les mots à mémoriser sont identiques aux mots de la phrase. Ce résultat est d’autant plus fort si les phrases sont complexes. Ainsi, chez l’adulte, si la mémoire de travail est trop « chargée », elle n’est plus disponible pour traiter des énoncés syntaxiquement complexes. La BP semble également jouer un rôle important pour l’acquisition d’une seconde langue chez l’adulte. Un patient atteint d’un important trouble de la BP (Baddeley, Papagno et Vallar, 1988 In Baddeley, 2003) a montré une incapacité à apprendre de nouveaux mots dans une langue étrangère. La boucle phonologique serait donc indispensable à l’acquisition de vocabulaire dans une langue seconde chez l’adulte.

La plupart des études présentées précédemment ont donc prouvé qu’il y avait un lien certain entre la mémoire de travail et la faculté de langage, que ce soit au niveau lexical ou syntaxique. Les résultats de Montgomery et al. (2008, 2009) confirment que la mémoire de travail explique une part importante des performances en compréhension d’énoncés complexes chez les enfants. Une relation prédictive semble donc exister entre ces deux domaines, du moins en compréhension. Cependant, aucune étude, à l’heure actuelle, n’a investigué les liens prédictifs entre la mémoire de travail et les compétences en production syntaxique. De plus, aucune étude n’a cherché à prouver que la boucle phonologique pouvait aussi prédire les capacités syntaxiques chez l’enfant.

1.4 PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESE THEORIQUE

Notre présente recherche vise à préciser les relations entre les capacités de mémoire de travail et le développement de la complexité syntaxique du langage oral chez l’enfant tout-venant. Nous allons tenter de démontrer les liens entre ces deux composants cognitifs au cours du développement. Notre hypothèse théorique principale postule donc qu’il existe une relation prédictive entre les capacités de mémoire de travail et la maîtrise des structures syntaxiques complexes. Plus précisément, nous avançons, suivant Jakubowicz, que les capacités en mémoire de travail vont directement prédire les performances en complexité syntaxique chez l’enfant. L’enfant plus âgé possédant une mémoire de travail plus développée et donc plus performante pourra utiliser et comprendre plus d’énoncés syntaxiquement complexes qu’un enfant plus jeune avec une mémoire de travail encore immature.

2. PARTIE EXPERIMENTALE

2.1 PARTICIPANTS

Notre échantillon est composé de 48 enfants âgés de 5;2 ans à 12;9 ans (âge moyen = 9;0 ans ; écart-type = 2;4 ans). Nous avons constitué trois groupes d’âge distincts, détaillés dans le tableau II ci-dessous.

Tableau II : Données des groupes expérimentaux

Groupes d’âge Nombre Âge moyen

(ans;mois) Ecart-type

(ans;mois) Sexe

5-6 ans : « 5-6 » 16 6;0 0;5 9 F et 7 G

8-9 ans : « 8-9 » 16 9;1 0;5 8 F et 8 G

11-12 ans : « 11-12 » 16 11;10 0;6 8 F et 8 G

(F= filles ; G= garçons)

Tous les sujets sont de langue maternelle française, monolingues et n’ayant jamais eu de suivi en logopédie. 32 enfants suisses ont été testés dans deux écoles ordinaires de Genève et 16 enfants français ont été testés soit à domicile, soit au sein d’une école de la région Rhône-Alpes. La catégorie socio-professionnelle des parents a été relevée, dans la mesure du possible, pour chacun des participants.

A titre indicatif, nous présentons également des données récoltées auprès d’adultes par Cruz (2011) aux mêmes tâches expérimentales que notre présente recherche.

L’échantillon est composé de 20 adultes (18 femmes et 2 hommes) francophones monolingues ne présentant pas de troubles langagiers et n’ayant jamais eu de suivi logopédique ultérieur (âge moyen = 20;7 ans ; écart-type = 1;8 ans). Ces données d’adultes vont nous permettre, en comparaison avec celles des enfants, d’établir s’il y a encore une évolution développementale des performances entre l’âge de 11-12 ans et l’âge adulte ou si les enfants âgés de 11-12 ans atteignent déjà un niveau plafond pour certaines tâches.

2.2 MATERIEL ET PROCEDURE

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